![La "route de la soie" moderne : un pari chinois à près de 1 000 milliards de dollars La "route de la soie" moderne : un pari chinois à près de 1 000 milliards de dollars](/data/posts/2022/07/22/1658485849_La-route-de-la-soie-moderne-un-pari-chinois-a-pres-de-1-000-milliards-de-dollars.jpg)
Pékin accueille un forum international consacré à "la route de la soie" du XXIe siècle, un gigantesque projet d'infrastructures aux multiples ramifications économiques et géopolitiques.
La "route de la soie" du XXIe siècle pèse environ 1 000 milliards de dollars. C’est probablement le programme d’infrastructures le plus important de l’Histoire, et il est signé Pékin. La Chine compte bien le célébrer, dimanche 14 mai, lors d’un forum international réunissant dans la capitale chinoise les chefs d’État ou ministres de 29 pays, dont la Russie, l’Argentine ou encore la Turquie. La France, quant à elle, y a dépêché le très sinophile président de la Commission sénatoriale aux Affaires étrangères, Jean-Pierre Raffarin.
Ce grand raout diplomatique vise à "formaliser au niveau international un concept développé pour la première fois par le président chinois Xi Jinping en 2013 [année de son accession au pouvoir]", explique Jean-François Dufour, responsable du China Control Panel pour le cabinet de conseil Montsalvy Consulting, contacté par France 24. C’est une sorte de coup d’envoi officiel pour un gigantesque programme d’investissements chinois, de près de 1 000 milliards de dollars, à destination de l'Asie à l'Europe en passant par l'Afrique.
Ponts au Bangladesh, centrale nucléaire au Royaume-Uni
Ce projet prévoit la construction de ports au Pakistan, de chemins de fer en Russie ou encore de ponts au Bangladesh. Mais il ne s’agit pas seulement de chantiers à venir. "Ce programme est surtout une manière pour Pékin de donner un cadre conceptuel à toutes une série d’investissements déjà engagés ou à venir", explique Jean-François Dufour. Ainsi, la participation chinoise à la construction de la centrale nucléaire d’Hinkley Point, au Royaume-Uni, a été ajoutée à ce plan, tout comme le rachat du port grec du Pirée par l’armateur chinois Cosco en avril 2016.
Avec cet immense chantier, Pékin entend moderniser les réseaux commerciaux entre l’Europe et la Chine, tout en investissant au passage dans toutes les régions (Asie, Moyen-Orient et Afrique), qui peuvent se trouver sur le tracé virtuel de cette "route de la soie", version XXIe siècle.
La Chine offre de financer la construction de projets et obtient, en contrepartie, que des entreprises chinoises soient en charge ou associées aux travaux. "Pékin veut ainsi exporter son modèle de développement", analyse Jean-François Dufour. Pendant des décennies, la croissance chinoise a été entretenue par le béton et la pierre pour moderniser le pays, mais "le marché intérieur arrive à saturation", précise l’expert. Pékin achète, en fait, des débouchés à ses groupes nationaux.
Un plan pas si Marshall
Sur le plan géopolitique, le forum de Pékin ne pouvait, en outre, pas mieux tomber. Alors que l’Amérique de Donald Trump se place sous le signe du protectionnisme, ce grand rassemblement permet à Xi Jinping de se draper des habits du protecteur du libre-échange commercial. "En termes d’image internationale, c’est la grande réalisation du premier mandat de Xi Jinping. Il peut ainsi démontrer – carnet de chèques à l’appui – que son pays s’insère dans le grand concert économique des nations en étant profitable aux autres pays”, résume Jean-François Dufour.
Les États-Unis risquent de ne pas partager cette analyse. Ils sont les grands oubliés de ce vaste programme, et pas seulement parce que la "route de la soie" ne passe pas par le continent américain. Pékin cherche "clairement à renforcer l’axe eurasiatique pour contrebalancer l’espace Pacifique, où la concurrence avec les États-Unis est rude pour Pékin", explique l’économiste français.
D’autres pays, pourtant concernés par les largesses financières chinoises, ne trouvent pas non plus que cette route va de soi. Des manifestations ont éclaté au Sri Lanka contre un projet lié à cette "route de la soie", tandis que l’Inde a refusé de s’y associer, pour des questions de souveraineté sur le Cachemire par où la route doit passer. Ces pays, tous asiatiques, n’ont aucune intention de dépendre davantage financièrement de Pékin.
D’autres, qui comparent le programme à une sorte de plan Marshall à l’échelle mondiale, craignent l’émergence d’un bloc eurasiatique sous la férule chinoise, à l’instar du bloc de l’Ouest de l’après-guerre, aligné sur les intérêts américains. Jean-François Dufour n’y croit pas : "Il y a trop de pays concernés et je vois mal un bloc qui regrouperait des pays aux intérêts aussi différents que la Russie, l’Ukraine ou encore le Royaume-Uni".