
Des images satellite prises à intervalle régulier depuis début avril montrent comment l’armée israélienne construit un nouveau corridor entre les villes de Rafah et de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza.
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Accepter Gérer mes choixLe Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a annoncé la mise en place de ce corridor le 2 avril 2025. "Nous nous emparons du corridor de Morag", a-t-il déclaré sur X. Cet axe reprend le nom d’une colonie israélienne qui se trouvait entre Rafah et Khan Younès et avait été démantelée dans le cadre du plan de désengagement de la bande de Gaza de 2005.
Dix jours plus tard, le 12 avril, Israël annonçait avoir achevé de prendre le contrôle du corridor. Le porte-parole arabophone de l’armée, Avichay Adraee, partageait alors sur X des images montrant une large route de terre s'étendant à travers les champs.

En analysant des images satellite, la rédaction des Observateurs de France 24 a pu mesurer qu’au 3 mai, environ dix kilomètres de route avaient été tracés depuis la frontière israélienne en direction du nord-ouest et de la mer Méditerranée. Il restait alors environ quatre kilomètres entre l'extrémité nord de la route et la côte.
Les images montrent comment l’armée s’est activement attelée à la construction de cette route. En 12 jours, entre le 21 avril et le 3 mai, 1,5 kilomètre de route a par exemple été tracé à l’extrémité nord du corridor.

Le corridor s’appuie en partie sur des infrastructures existantes. Une analyse d’images satellite réalisée par la rédaction des Observateurs de France 24 montre que sur les dix kilomètres du corridor, quatre utilisent des routes préexistantes, qui ont dans la plupart des cas été élargies. Mais la plus grande partie du tracé – environ six kilomètres – a été nouvellement construite.

Serres et maisons détruites
L’établissement du corridor s’est accompagné de destructions massives le long de l’axe.
Les images satellite montrent que des centaines de bâtiments, à la fois des serres et des maisons, ont été détruits en seulement un mois.
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Accepter Gérer mes choixDes images de la partie sud du corridor, qui traverse des espaces agricoles, montrent aussi de nombreux champs détruits.
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Accepter Gérer mes choixL’armée israélienne a fait visiter la zone du corridor à des médias israéliens. Les images tournées par ces médias montrent des destructions importantes, notamment des champs ravagés et des maisons réduites en ruines.
"Une fois la conquête de l'axe achevée, celui-ci atteindra une largeur de plus d'un kilomètre et une longueur de 12 kilomètres", soulignait un journaliste dans un reportage de la chaîne de télévision israélienne conservatrice C14 publié le 9 avril.
"Diviser le territoire"
Ce n’est pas le premier corridor mis en place par Israël depuis le lancement de son offensive de représailles le 7 octobre 2023.

En mars 2024, Israël avait établi le corridor de Netzarim, un axe de six kilomètres de long qui s’étend de la frontière israélienne à la côte méditerranéenne au sud de la ville de Gaza, et sépare le nord de Gaza du Sud. Les forces israéliennes s’étaient ensuite retirées du corridor dans le cadre de l’accord de cessez-le-feu de janvier 2025, avant d’en regagner le contrôle le 19 mars après la rupture du cessez-le-feu.
Deux mois plus tard, en mai 2024, Israël s’emparait de l’axe de Philadelphie, un corridor de 14 kilomètres de long et 100 mètres de large le long de la frontière entre Gaza et l’Égypte, reliant la mer Méditerranée au point de contrôle de Kerem Shalom.
En décembre 2024, la rédaction des Observateurs de France 24 avait aussi documenté la construction par l’armée israélienne d’une route reliant la frontière israélienne à Jabalia, parfois désignée sous le nom de corridor de Mefalsim.
"Diviser pour régner"
Quel est l’objectif de ces corridors ?
Daniel Byman, le directeur du programme "Guerre, menaces irrégulières et terrorisme" au Centre d'études stratégiques et internationales (CSIS), explique :
Les corridors sont une question de mouvements. Ils sont conçus pour permettre à Israël de déplacer rapidement ses forces dans différentes parties de Gaza. Et en même temps, ils sont conçus pour perturber les mouvements du Hamas. Lorsqu'Israël pénètre dans une certaine partie de Gaza, les forces du Hamas ne peuvent tout simplement pas partir ; c'est une façon de les piéger dans une zone spécifique pour permettre à Israël de les cibler plus efficacement.
Mais pour Andreas Krieg, professeur associé au département des études de sécurité du King's College de Londres, ces corridors sont aussi une manière de "contrôler le territoire" :
Tous les corridors terrestres ont été un moyen pour l'armée israélienne de contrôler le territoire d’une certaine manière. Ce que nous observons au fil du temps est une politique de ‘diviser pour régner’ : les Israéliens divisent le territoire de plus en plus, créant des enclaves toujours plus petites que l’armée israélienne trouve plus faciles à contrôler. Plus le territoire est petit, plus vous êtes en mesure de répondre efficacement à tout problème qui pourrait survenir au sein de l'enclave.
"Opérations de contre-terrorisme"
La rédaction des Observateurs de France 24 a contacté l’armée israélienne, qui a fait savoir qu’elle avait "établi la route de Morag [...] dans le cadre d’efforts visant à assurer le contrôle opérationnel de la route centrale et à mener des opérations de contre-terrorisme dans la région".
Le 21 avril, le porte-parole de l’armée israélienne, Effie Defrin, a aussi déclaré que l’opération visait à "ramener les otages à la maison" et à "démanteler" le Hamas.
À l’occasion de sa visite des troupes le 9 avril, Israël Katz, le ministre israélien de la Défense, a aussi affirmé aux journalistes de la chaîne de télévision publique israélienne Kan 11 que "l’objectif de l’axe" était de "diviser davantage la bande de Gaza et de la débarrasser des terroristes, des infrastructures terroristes, des tunnels et des infrastructures en surface". "Cela deviendra une zone de sécurité", avait-il dit.
Sur X, l’armée israélienne a communiqué sur la conduite d’opérations dans la zone du corridor de Morag, affirmant qu’elle avait procédé à "l’élimination de dizaines de terroristes", à la "détection de nombreuses armes" ou à la "détection de tunnels". Une carte animée publiée par l’armée sur YouTube positionne également de prétendus "tunnels terroristes souterrains" situés à proximité du corridor et prétendument démantelés pendant les opérations de l’armée. Nous n’avons pas été en mesure de vérifier indépendamment ce qui avait été détruit par l’armée.
Daniel Byman explique :
Le corridor de Morag est situé entre deux parties importantes de la bande de Gaza : Rafah et Khan Younès. Si Israël parvient à l’établir, ils seront capables de diviser les forces du Hamas et à empêcher le Hamas d’aller et venir entre ces zones. Israël pourra mieux cibler le Hamas et, en même temps, être capable de contrôler l’aide et les autres biens qui entrent dans Gaza pour empêcher le Hamas de les utiliser.
Mais pour Andreas Krieg, ce n’est pas la seule raison :
Combattre le Hamas n'est pas quelque chose qui se passera en surface. Cela se passera principalement sous terre. On estime toujours qu'un tiers des infrastructures construites par le Hamas sous terre est encore intact. En prenant le contrôle d’une partie du territoire en surface, vous ne détruisez pas nécessairement ces réseaux de tunnels. Les Israéliens devront donc montrer que c'est réellement ce qu'ils essaient de faire.
La ligne officielle israélienne est toujours qu'ils combattent le Hamas et qu'ils essaient de récupérer leurs otages. Mais une grande partie de ce que nous avons vu consiste également à pousser dehors les civils et à ne pas les laisser retourner dans leur territoire. C'est un peu des deux.
"Isoler les Gazaouis"
Le corridor pourrait être particulièrement stratégique dans le cadre de l’opération "intensive" approuvée par le cabinet de sécurité israélien le 5 mai, qui inclut "la conquête de la bande de Gaza et le contrôle des territoires" ainsi que le déplacement de la population du territoire "pour leur protection". Israël a fait savoir qu’il lancerait cette opération, désignée sous le nom de "Chariots de Gideon", si aucun accord sur la question des otages n’est trouvé lors de la visite du président américain Donald Trump au Moyen-Orient qui se déroule du 13 au 16 mai.
Andreas Krieg explique :
Si l'objectif général – et cela semble être ce qui a été annoncé par l'armée et le gouvernement israéliens – est de s'emparer de la totalité de la bande de Gaza, la manière d'y parvenir est de créer des corridors, de contrôler ce territoire et, à partir de là, de grignoter toujours plus ce territoire, de le nettoyer, non seulement des agents du Hamas, mais aussi des civils, pour ensuite prendre complètement le contrôle de toute la bande de Gaza.
Pour Andreas Krieg, la localisation du corridor de Morag pourrait lui permettre de jouer un rôle stratégique dans ce plan :
Nous estimons qu'il y a actuellement environ 1,4 million de personnes dans la zone d'Al-Mawasi qui a été créée au nord de Rafah et à l'ouest de Khan Younès [Al-Mawasi est situé au nord du corridor de Morag, NDLR]. C'est plus de la moitié de la population totale de Gaza. Le corridor de Morag isolerait ces communautés du sud de Rafah, et le corridor de Netzarim les empêcherait de se déplacer vers le nord.
D'après le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l'ONU (Ocha), 66 % du territoire de l'enclave "se trouve dans des zones interdites ou font l'objet d'un ordre de déplacement, ou les deux".
"La population de Gaza est évacuée des zones de combat, et de nombreuses zones sont saisies et ajoutées aux zones de sécurité de l'État d'Israël, ce qui rend Gaza plus petite et isolée", a ainsi déclaré le ministre israélien de la Défense le 9 avril.
Il avait annoncé à cette occasion que les zones dites "de sécurité" allaient être étendues pour inclure Rafah. Cette dernière, qui représente près d’un cinquième du territoire gazaoui, était à 51 % détruite fin avril, selon des données des chercheurs Corey Scher (Université de la ville de New York) et Jamon Van Den Hoek (Université de l’Oregon).
"Dans les environs de Shabourah et de Tel al-Sultan [deux quartiers de Rafah], il ne reste plus un seul bâtiment debout", avait ainsi constaté un journaliste dans un reportage publié par Kan 11 le 9 avril. "La majorité de la population qui se trouvait ici a évacué vers le quartier d'Al-Mawasi [situé au bord de la mer Méditerranée, au nord de l'axe de Morag, NDLR]."
Andreas Krieg décrypte :
Ce corridor signifie confiner ce grand nombre de personnes dans une zone très petite [à Al-Mawasi] et potentiellement, si telle est toujours la politique, exercer une pression sur elles pour qu'elles quittent la bande de Gaza.
Il y a toujours ce plan qui fait partie de cette idée que Trump a exprimée, qui est de créer une Riviera [Côte d'Azur] du Moyen-Orient, afin de nettoyer le territoire des Palestiniens. Une fois que vous avez 1,4 million de personnes près de la frontière sud avec l'Égypte, il pourrait y avoir un moyen de les pousser dehors sans qu'elles ne retournent au nord de Rafah.
Israël aura des points de contrôle le long du corridor de Morag où une circulation contrôlée est possible. Le corridor est une barrière qui pourrait être ouverte pour permettre le déplacement de population de la zone d'Al-Mawasi vers le point de passage de Rafah. L'objectif ultime du gouvernement israélien est de créer une situation où les populations peuvent être déplacées d'une enclave à l'autre et, si les pressions sont trop fortes, de les forcer à partir. La zone d'Al-Mawasi sera probablement évacuée au cours de la campagne actuelle. Ensuite, ces personnes doivent être déplacées et elles pourront être déplacées vers le sud.
Le corridor de Morag est mentionné dans ce que le média israélien Ynet présentait le 6 mai comme le détail des "étapes planifiées de la campagne de Gaza". Selon le média, la deuxième étape du plan "Chariots de Gideon" – baptisée "transfert de population" – inclut le déplacement de Gazaouis vers "la partie sud-ouest de la bande de Gaza, entre le corridor de Morag et la route de Philadelphie".
Le média israélien a également affirmé que l'un des objectifs déclarés de l'opération était de "pousser de nombreux Gazaouis plus près des points de passage frontaliers avec l'Égypte et Israël, ainsi que de la côte, encourageant l'émigration volontaire et réalisant ainsi la vision générale de Trump pour Gaza".
Talus de terre
Des images satellite et des images prises au sol montrent l’ampleur de la construction en cours et à quel point l’axe s’annonce hermétique.
Des images filmées par la chaîne israélienne d'information en continu i24NEWS montrent une route de terre assez large pour que deux véhicules puissent se croiser. Des images satellite montrent aussi qu’Israël construit des talus de terre de chaque côté de la route, parfois séparés de plus de 130 mètres.

Des engins de chantier sont également visibles sur des images partagées par l’armée israélienne le 12 avril et présentées comme montrant "les étapes initiales de l’établissement du corridor de Morag".

Des talus de terre formant un carré sont également visibles à plusieurs endroits, notamment au niveau de la partie sud du corridor.

Une image du 8 mai 2025 montre l’apparition d’une autre fortification similaire à l’extrémité nord du corridor. Celle-ci est plus vaste : elle mesure plus de 130 mètres de côté. Des structures sont visibles à l’intérieur de la formation.
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Accepter Gérer mes choix"Ces remblais ressemblent à des fortifications pour des avant-postes. Cela pourrait être utilisé pour des bases d'opérations avancées ou juste des tours de guet", décrypte Andreas Krieg.
Nous avons également montré cette image à Avihai Stollar, un chercheur en armes et tactiques militaires au sein de Breaking the Silence ("rompre le silence"), une ONG composée d’anciens militaires de l'armée israélienne et recueillant des témoignages de soldats. Il explique :
Ces remblais carrés semblent impliquer l'établissement d'avant-postes militaires dans le corridor de Morag. Leur taille, leur forme et les bermes environnantes sont compatibles avec les bases temporaires de l’armée israélienne. Ils sont similaires aux avant-postes qui ont été érigés dans le corridor de Netzarim [voir ces images prises au sol, NDLR]. Mais ils sont également compatibles avec des campements plus temporaires qui ont été établis dans l’ensemble de la bande de Gaza.
L’armée établit régulièrement des campements temporaires comme points de départ et haltes de repos pour les forces opérant dans la bande de Gaza et les entoure de talus afin de protéger des tirs ennemis les forces à l'intérieur.
S’il est difficile d’affirmer avec certitude à quoi correspondent les objets visibles dans l’enceinte des fortifications, il estime que certains de ces éléments (entourés en noir dans l’image ci-dessus) pourraient correspondre à "des tentes" utilisées par l’armée ou des "grands conteneurs".
"Le coût humanitaire de tout ça est immense"
Andreas Krieg alerte sur les conséquences dévastatrices de ce corridor et des évacuations qu’il provoque :
Le problème avec cette politique, c'est que les gens sont constamment sur le départ. Nous avons vu des personnes déjà vulnérables, sous-alimentées, qui n'ont pas eu accès à l'aide humanitaire. Elles n'ont pas d'abri. Elles ont des abris temporaires qui doivent ensuite être déplacés d'un endroit à l'autre, et elles finissent généralement par perdre cet abri.
Le coût humanitaire de tout cela est immense à un moment où aucune aide n'arrive. Dans le nouveau plan proposé par les Israéliens, ils ne laisseront entrer que 50 camions par jour, ce qui représente 10 % de ce qui est réellement nécessaire pour nourrir les 2,2 millions de personnes de la bande de Gaza.
Et avoir ces corridors partout, avec des infrastructures physiques comme des murs, des clôtures, des routes et des barrières, rend presque impossible pour les agences d'aide humanitaire de déplacer de l’approvisionnement d'une enclave à l'autre. Si vous n'êtes pas dans la partie principale du Sud, où la plupart de l'aide arrivera, vous n'aurez probablement aucun accès physique à ces centres de distribution. Cela signifie que la famine que les gens connaissent déjà va s'aggraver considérablement dans les territoires du Nord. Ces couloirs constituent un obstacle majeur à l'alimentation de 2,2 millions de personnes.
Andreas Krieg pointe aussi du doigt les effets qu’aura la destruction des maisons et des champs le long du corridor :
Le corridor [de Morag] a été établi sur des terres agricoles. La majeure partie de ces terres est de toute façon en train d'être détruite. Mais cela prive également les Palestiniens de la possibilité, même à l'avenir, d'utiliser ce territoire pour cultiver et subvenir à leurs besoins. L'objectif général devrait être que les Gazaouis puissent se nourrir eux-mêmes, vivre de la terre. Cela les prive de ce moyen de subsistance. Cela rend plus difficile pour eux de rester sur ce territoire.
L’offensive israélienne a à ce jour tué plus de 52 000 personnes à Gaza, selon le ministère de la Santé du gouvernement du Hamas.
La guerre a été déclenchée par l'attaque sans précédent du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023, laquelle a entraîné la mort de 1 218 personnes selon un bilan de l'AFP basé sur des chiffres officiels israéliens.