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Distribution d'aide humanitaire du 1er juin à Rafah : retour sur une journée de chaos
Le 1er juin au matin, les secouristes de Gaza ont annoncé que 31 personnes ont été tuées et au moins 176 blessées par balle à Rafah alors qu'elles se dirigeaient vers l'un des nouveaux centres de distribution d'aide humanitaire mis en place par l'armée israélienne. Cette dernière nie avoir tiré sur la population “à l'intérieur du site de distribution”, bien qu'elle contrôle étroitement la zone. Retour sur cette nouvelle journée de chaos autour du nouveau système de distribution de l'aide humanitaire.
Par : La rédaction des Observateurs

Que s'est-il passé le 1er juin sur le chemin d'un des centres de distribution d'aide humanitaire gérés par l'armée israélienne dans le sud de Gaza ? Ce matin-là, quelques heures avant le lever du soleil, des milliers de Gazaouis étaient déjà en route à pied dans le sud de l’enclave vers un des centres de distribution d’aide à Rafah. 

Depuis le 25 mai, ce centre fait partie des quatre nouveaux points de distribution d'aide humanitaire contrôlés par l'armée israélienne et la Gaza Humanitarian Foundation, nouvelle organisation très critiquée soutenue par les États-Unis qui organise la distribution de l'aide humanitaire à Gaza depuis fin mai.

Distribution d'aide humanitaire du 1er juin à Rafah : retour sur une journée de chaos

Mais alors que le chemin pour se diriger vers la zone de distribution est étroitement contrôlé par l'armée israélienne, plusieurs témoins et des vidéos indiquent que des rafales de tirs ont été entendues sur le chemin vers le centre de distribution.

"J'ai reçu une balle à 3h10 du matin"

"J'ai reçu une balle à 3h10 du matin", affirme notamment Mohammad Daghmeh, un Gazaoui de 24 ans pris en charge par l’organisation humanitaire Médecins sans Frontières dans un témoignage sur leur site. "Comme nous étions pris au piège, j'ai saigné en permanence jusqu'à 5 heures du matin. Il y avait beaucoup d'autres hommes avec moi. L'un d'entre eux a essayé de me sortir de là. Il a reçu une balle dans la tête et est mort sur ma poitrine". Un témoin interrogé par le New York Times évoquera lui des tirs qui ont débuté aux alentours de 4 heures et demie du matin, mais décrira une scène similaire.

"Il y avait beaucoup de monde, c'était le chaos" et "l'armée a tiré depuis des drones et des chars", a raconté à l'AFP Abdallah Barbakh, 58 ans, un autre témoin disant s'être rendu sur place.

Dans une vidéo de la scène, filmée avant le lever du jour par Hammam Abou Taha, un habitant venu chercher de l'aide et diffusée par de nombreux comptes en ligne, on peut également entendre près d'une dizaine de salves de tirs en moins de trente secondes, tandis que des groupes de personnes dans la pénombre se baissent dans le sable pour éviter les balles. L'auteur de cette vidéo a indiqué à notre rédaction que la séquence avait été filmée près du rond-point d'Alalam, dans le sud de Gaza, à plusieurs centaines de mètres du centre de distribution.

Distribution d'aide humanitaire du 1er juin à Rafah : retour sur une journée de chaos

Une autre vidéo, filmée alors que le jour se lève et largement diffusée en ligne, montre au moins sept corps sans vie le long de la côte, alors que de nombreux habitants portent des sacs d'aide humanitaire sur leurs épaules. 

Distribution d'aide humanitaire du 1er juin à Rafah : retour sur une journée de chaos

L'armée israélienne et la GHF nient, le CICR décrit un "afflux massif de blessés"

Dans les heures qui suivent, la Défense civile palestinienne a déclaré que des tirs israéliens avaient visé le matin même des personnes qui se dirigeaient vers un centre d'aide alimentaire dans le gouvernorat de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, faisant au moins 31 morts et plus de 176 blessés.

Peu avant 10 h, l'armée israélienne soutient pourtant sur Telegram ne "pas être au courant de blessures causées par des tirs de l'armée israélienne à l'intérieur du site de distribution de l'aide humanitaire".

Même son de cloche du côté de la Gaza Humanitarian Foundation : dans un communiqué publié à 6 h du matin le 1er juin, l'organisation dénonce "de fausses informations sur les décès, les blessures massives et le chaos qui règnent sur les sites de distribution sécurisés, diffusées par de grands organes de presse qui s'appuient sur des rapports non vérifiés et non étayés". 

L'organisation a même publié des vidéos de caméras de sécurité du site pour montrer le bon déroulement de la distribution de l'aide au sein du site de distribution à son ouverture. "Les rapports faisant état de blessures et de décès sont totalement faux et fabriqués. Ne vous laissez pas abuser".

Les vidéos montrent toutefois uniquement l'intérieur du site de distribution, et non les alentours. Les vidéos distribuées aux médias contenaient des infos indiquant qu’elles avaient été enregistrées entre 5 h et 6 h du matin. Or le New York Times a relaté qu'un responsable anonyme de l'armée israélienne avait déclaré à des journalistes que des soldats avaient bien effectué des tirs de sommation à un moment où le centre d'aide humanitaire “n’était pas en opération.” Selon cet officiel, ces tirs étaient dirigés contre des "suspects" qui s'approchaient des soldats israéliens, bien qu'étant à une distance d'environ un kilomètre.

En fin de journée, le Comité international de la Croix-Rouge, qui a installé un hôpital dans les environs du centre de distribution, a déclaré dans un communiqué publié sur Facebook avoir reçu "tôt dans la matinée du 1er juin un afflux massif de blessés, au nombre de 179, dont des femmes et des enfants", dont la majorité souffrait "de blessures causées par des balles ou des éclats". 

Le CICR a également indiqué que "vingt-et-une personnes ont été déclarées mortes à leur arrivée à l’hôpital", et que toutes "tentaient d’accéder à un point de distribution d’aide humanitaire". 

Victoria Rose, une chirurgienne britannique se trouvant à l'hôpital Nasser de Khan Younès, où ont été transportés de nombreux blessés, a également décrit dans un message vidéo une scène de "carnage absolu" dans l'établissement.

Malgré ces éléments, l'armée israélienne et la GHF s'en sont tenues tout au long de la journée à la même version, à savoir qu'aucun blessé ni mort n'avait été recensé "au sein du centre de distribution" et dans les environs. 

"Ces dernières heures, de fausses informations ont été diffusées, y compris de graves allégations à l'encontre de l'armée concernant des tirs contre des habitants de Gaza dans la zone du site de distribution de l'aide humanitaire dans la bande de Gaza", a de nouveau déclaré l'armée peu avant 18 h le 1er juin, déclarant que "les conclusions d'une première enquête indiquent que l'armée israélienne n'a pas tiré sur des civils alors qu'ils se trouvaient à proximité ou à l'intérieur du site de distribution de l'aide humanitaire et que les informations à ce sujet sont fausses".

La Gaza Humanitarian Foundation a également de nouveau dénoncé le 2 juin des reportages "incorrects" et réaffirmé qu'il n'y avait "pas eu de blessés, de morts ou d'incidents au cours de nos opérations [du 1er juin], "dans ou près de nos installations". 

L'organisation a aussi indiqué ne pas contrôler "la zone située en dehors de nos sites de distribution et des environs", tout en reconnaissant n'avoir "aucune connaissance des activités de l'armée israélienne au-delà de notre périmètre, qui est toujours une zone de guerre active". 

Les centres de distribution sont en effet tous situés dans la zone tampon sous contrôle de l'armée israélienne (voir carte ci-dessus). Cette zone, qui enserre la bande de Gaza, décrite comme dangereuse pour la population gazaouie par l'armée elle-même, a été dénoncée comme étant une "zone de mort" par l'ONG israélienne Breaking the Silence.

Une vidéo de drone publiée par l'armée israélienne, à quelques kilomètres de Rafah

Dans son communiqué du 2 juin, la Gaza Humanitarian Foundation a également déclaré : "ce que nous savons, c'est que des images de drone ont été diffusées, montrant des militants armés tirant sur des civils hier". Une référence à une vidéo de drone diffusée le 1er juin au soir par l'armée israélienne peu avant 19 h, sur laquelle on peut voir un homme armé en civil tirer sur un civil lors de ce qui s'apparentait à une distribution d'aide informelle. 

L'armée décrit la vidéo comme montrant des soldats du Hamas tirant sur des "civils en route pour aller chercher de l'aide humanitaire". "Le Hamas fait tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher la distribution de nourriture à Gaza", déclare l'armée dans son message.

Distribution d'aide humanitaire du 1er juin à Rafah : retour sur une journée de chaos

La vidéo, filmée en plein jour, n'a toutefois rien à voir avec les distributions d'aide humanitaire contrôlées par l'armée israélienne et la Gaza Humanitarian Foundation. Selon le compte spécialisé en géolocalisation sur X AbuLocation, la vidéo de drone montre en réalité une distribution informelle qui aurait été réalisée à Khan Younès, à plus de sept kilomètres du centre de distribution de Rafah.

Ce compte s'est appuyé sur une vidéo diffusée le 1er juin par un compte Facebook local de Khan Younès, qui mentionne une distribution de farine volée par un groupe armé de la bande de Gaza autour du rond-point d'Al Tahlia. Si notre rédaction n'a pas géolocalisé avec précision le lieu de la vidéo, plusieurs témoignages recueillis par AbuLocation montrent également qu'une telle distribution s'est déroulée dans la zone. Le point de distribution ne ressemble par ailleurs pas aux nouveaux centres de distribution étroitement contrôlés par l'armée. Contacté par notre rédaction, le compte n'a pas encore répondu à nos demandes.

Un système de distribution "déshumanisant" et "dangereux"

Cet événement est loin d'être isolé depuis la reprise en main de la distribution de l'aide humanitaire par l'armée israélienne et la Gaza Humanitarian Foundation : le dimanche 1er juin, la Défense civile a également déclaré que des tirs israéliens avaient fait un mort et de nombreux blessés près d'un autre site d'aide humanitaire dans le centre du territoire le long du corridor Netzarim. 

Claire Manera, coordinatrice d'urgence de MSF, a qualifié dans un communiqué le système de distribution d'aide de la GHF de "déshumanisant, dangereux et sévèrement inefficace". 

"Il a entraîné des décès et des blessures de civils qui auraient pu être évités. L'aide humanitaire doit être apportée uniquement par des organisations humanitaires qui ont la compétence et la détermination de le faire en toute sécurité et efficacement."