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Procès de Nuremberg : un album inédit exhumé des archives révèle les coulisses d’une justice pionnière
Il y a quatre-vingts ans, le 20 novembre 1945, le procès des principaux criminels de guerre nazis s’ouvrait à Nuremberg. Un album de photos inédites, exhumé des archives du mémorial d’Izieu, dévoile aujourd’hui les coulisses de cette audience historique et les innovations techniques qui ont marqué la naissance de la justice pénale internationale.
Vue générale de la salle d'audience du procès de Nuremberg. © Charles W. Alexander / Maison d'Izieu

Les visages de ces hommes sont connus. Celui de Hermann Goering, numéro 2 du régime nazi, de Rudolf Hess, adjoint d'Adolf Hitler ou encore de Joachim von Ribbentrop, ancien ministre des Affaires étrangères, assis dans le box des accusés lors du procès de Nuremberg. Tombés de leur piédestal après la chute du IIIe Reich, ces hauts dignitaires ne sont plus que des hommes face à l'immensité de leurs méfaits. Ils doivent répondre de complot, de crimes de guerre, de crimes contre la paix et, pour la première fois de l'Histoire, de crimes contre l'humanité.

Procès de Nuremberg : un album inédit exhumé des archives révèle les coulisses d’une justice pionnière
Dans le box des accusés. Au premier rang de gauche à droite : Hermann Goering, la main sur le visage ; Rudolf Hess, Joachim von Ribbentrop, Wilhem Keitel. Derrière eux de gauche à droite : Karl Dönitz, Erich Raeder, Baldur von Schirach et Fritz Sauckel. © Charles W. Alexander /Maison d’Izieu

Quatre-vingts ans après le début de ce procès sans précédent, des photos longtemps restées dans l’oubli apportent un nouvel éclairage à cet événement. Regroupées dans l’ouvrage "Nuremberg, l’album du procès" (éditions Tallandier), elles sont aujourd’hui conservées aux archives du Musée-Mémorial d’Izieu, dans l’Ain.

"Cet album de photographies a été offert à Henri Donnedieu de Vabres, l’un des quatre juges français au tribunal de Nuremberg, par le président du tribunal, l’Américain Robert Jackson. Cet album est resté dans la famille Donnedieu de Vabres jusqu’à 2019, lorsque les descendants du juge ont décidé d’en faire don, avec d’autres archives, au Mémorial d’Izieu", explique Brigitte Sion, l’une des coautrices du livre et présidente du conseil scientifique du Mémorial. "Rappelons que la rafle des enfants juifs d’Izieu, le 6 avril 1944, a été citée au tribunal militaire international par le procureur français Edgar Faure qui avait pris soin de lire intégralement le compte-rendu qu’en a fait son ordonnateur, Klaus Barbie, qui dirigeait la Gestapo à Lyon", ajoute cette experte dans le domaine des musées.

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La couverture de l'album de photographies du procès de Nuremberg offert au juge français Henri Donnedieu de Vabres. © Mémorial d'Izieu

Charles W. Alexander, le photographe au cœur du procès

Ces clichés exceptionnels ont été pris par le photographe américain Charles W. Alexander qui exerçait pour l’armée des États-Unis. Il a commencé son travail avant même le procès de Nuremberg. Il était déjà présent lors de la conférence préparatoire qui s’est déroulée du 26 juin au 8 août 1945 à Londres. "Les Alliés avaient alors des opinions bien différentes sur les bases juridiques, les chefs d’accusations, le déroulement du procès et d’autres questions. L’album ne nous apprend rien sur les différends, mais on y voit tous les protagonistes du futur procès, comme par exemple le procureur en chef américain Robert H. Jackson et ses homologues britannique, soviétique et français", détaille l’historien allemand Matthias Gemählich, co-auteur du livre.

Au terme des discussions, les représentants des Alliés choisissent d’établir un tribunal militaire international dans la ville bavaroise. "Les Soviétiques auraient préféré Berlin, plus proche de leur zone d’occupation, mais les Américains obtinrent que le procès se tienne à Nuremberg, qu’ils contrôlaient", précise Brigitte Sion.

Connue pour ses immenses rassemblements du parti nazi, la ville de Nuremberg n’est pas désignée, contrairement à une idée reçue, pour son importance symbolique, mais parce qu’elle dispose des infrastructures nécessaires. Une bonne partie de la cité de Bavière est en ruine, mais le palais de justice et la prison sont toujours utilisables. Dans ces clichés, Charles W. Alexander ne manque pas de montrer les différents bâtiments où se déroulent le procès à partir du 20 novembre 1945. " Il a eu accès à tous les locaux du procès de Nuremberg, par exemple à la salle d’audience, mais aussi aux cellules des accusés. Il a donc pris, dans des situations différentes, des photos de pratiquement toutes les personnes qui étaient impliquées dans les procès et grâce à ses photos nous avons effectivement connaissance d’un grand nombre de détails autour du procès", détaille la présidente du conseil scientifique du Mémorial d’Izieu.

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Le palais de justice de Nuremberg est un complexe de bâtiments judiciaires construits entre 1909 et 1916 dans l'ouest de la ville. © Charles W. Alexander /Maison d’Izieu

Sur le banc des accusés, 22 hauts dignitaires nazis font face aux juges titulaires des quatre puissances alliés (États-Unis, France, Royaume-Uni et URSS) eux-mêmes épaulés par une armée de procureurs adjoints, d’avocat généraux ou de substituts. Professeur de droit, Henri Donnedieu de Vabres a été choisi pour représenter la France en raison de son expertise en droit pénal international. "Pendant le procès, il est resté assez silencieux, mais il a été très engagé dans les délibérations – même s’il n’a pas toujours obtenu ce qu’il voulait, par exemple la peine de mort par peloton d’exécution plutôt que par pendaison", raconte Brigitte Sion.

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Au centre : Henri Donnedieu de Vabres, juriste, professeur à l'université de Paris et spécialise de droit criminel et de droit pénal international. À droite de celui-ci, Robert Falco, avocat et magistrat juge suppléant pour la France. © Charles W. Alexander /Maison d’Izieu

Au-delà de ces grandes figures du procès, l’album permet aussi de découvrir des personnalités moins connues parmi les 80 témoins convoqués au tribunal. Nombre d'entre eux sont des survivants des camps de concentration qui décrivent les conditions inhumaines de détention et les sévices subis, mais la défense appelle aussi à la barre des accusés comme le général Erwin Lahousen, ancien responsable de l’Abwehr, le service de renseignement de l’armée allemande, ou le SS Erich von dem Bach-Zelewski qui a réprimé l’insurrection de Varsovie.

Un laboratoire d’innovations techniques

Pour comprendre ces dépositions, une armada d’interprètes a été réquisitionnée. "Ils traduisaient simultanément dans les quatre langues du procès (français, anglais, russe et allemand) et utilisaient des casques munis de micros. Les spectateurs entendaient l’interprétation dans leurs écouteurs et choisissaient le canal correspondant à leur langue", décrit Brigitte Sion. La salle du tribunal a également été transformée en véritable salle multimédia avec des écrans permettant de monter des films documentaires pendant les audiences. Le procès a aussi été entièrement filmé. "La salle a été transformée afin de camoufler les caméras derrière des parois qui comportaient chacune une fenêtre en Plexiglas", ajoute la spécialiste.

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Pour la première fois, la traduction orale des débats se fait de manière simultanée et non en différé comme c'était l'usage dans les conférences internationales. © Charles W. Alexander /Maison d’Izieu

Dans la salle d’audience, près de 240 sièges sont réservés aux médias, mais les journalistes peuvent aussi suivre le procès retransmis en direct par des haut-parleurs dans la salle de presse. Dans la galerie du tribunal, près de 200 visiteurs peuvent assister aux échanges. Le photographe Charles W. Alexander s’est également glissé au plus près de la logistique, prenant en photo les différentes cantines. Pour nourrir chaque jour entre 3 000 et 4 000 membres du personnel allié, 34 réfectoires ont ainsi été mis en place. Deux magasins de l’armée américaine ont aussi été ouverts dans l’enceinte du palais de justice pour ravitailler l’ensemble des personnes présentes.

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Dans la salle de presse du tribunal de Nuremberg, les journalistes et envoyés spéciaux représentent 23 nations. © Charles W. Alexander /Maison d’Izieu

Nuremberg, un tournant pour la justice pénale internationale

Après près d'un an d'audience, la présentation de 6 600 pièces à conviction, étayés par 42 volumes d'archives, le verdict tombe le 1er octobre 1946 : douze condamnations à mort (dont une par contumace pour Martin Bormann, le secrétaire d'Hitler, dont on ignore alors la mort), trois condamnations à la prison à vie, deux peines de vingt ans de prison, une de quinze ans et une de dix ans. Trois des accusés échappent à la prison.

Inédit dans sa forme, le procès de Nuremberg devient le plus important de toute l'Histoire. Cette sélection de 70 photos, pour certaines inédites, constitue un témoignage visuel unique sur son déroulement et ses coulisses. Quatre-vingts ans plus tard, Nuremberg représente toujours un tournant dans le domaine juridique, comme le souligne l’historien allemand Matthias Gemählich : "Il marque le début d’une poursuite pénale des crimes de l’Allemagne nazie et constitue également la première étape de la mise en œuvre d'une juridiction pénale internationale. La Cour pénale internationale (CPI) à La Haye s’inscrit notamment aujourd’hui dans cette tradition d’une justice internationale. C’est pour ces raisons qu’il est important de commémorer le procès de Nuremberg".