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Pourquoi tout le monde veut mettre la main sur l’agent russe Yaroslav Mikhailov ?
La Russie et plusieurs pays occidentaux veulent obtenir l’extradition d’Azerbaïdjan de Yaroslav Mikhailov, ex-criminel russe. Tous les services secrets occidentaux voudraient l’interroger car il est susceptible de détenir des informations sur les réseaux utilisés par la Russie pour leur guerre hybride en Europe. Et Moscou veut éviter à tout prix d’éventuelles révélations explosives.
Yaroslav Mikhailov est accusé d'avoir joué un rôle clé dans une série de sabotage aux colis DHL piégés. AP - Jens Meyer

Qui mettra la main sur Yaroslav Mikhailov en premier ? En Azerbaïdjan, cet agent russe lié au GRU, le service de renseignement militaire, intéresse tout le monde ou presque, a révélé le Washington Post dans une enquête publiée mardi 18 novembre. Ce bras de fer entre la Russie et l’Occident pourrait en dire long sur l’effort russe de guerre hybride en Europe.

Les trois services secrets russes – le GRU, SVR (le renseignement extérieur) et le FSB (le service de sécurité intérieure) – font pression depuis des mois sur le gouvernement azerbaïdjanais pour récupérer leur homme, selon plusieurs sources du monde du renseignement citées par le journal américain.

Rôle clé dans une opération de colis piégés

Ils ne sont pas les seuls : les services de renseignement britannique, polonais, lituanien et ukrainien font de même. Varsovie a même transmis une demande "secrète" à Interpol pour un mandat d’arrêt international contre Yaroslav Mikhailov pour "opération terroriste" menée pour le compte des services de renseignement russes. Contacté par France 24, Interpol n’a pas confirmé avoir reçu une telle demande.

Il y a donc beaucoup de prétendants pour une seule mariée. Mais pour l’instant, l'Azerbaïdjan a refusé de le livrer à qui que ce soit. Arrivé dans le pays courant 2024, Yaroslav Mikhailov n’a pas été arrêté, mais a été placé sous surveillance constante par les autorités locales et n’a pas le droit de quitter le pays.

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Pourquoi tout le monde veut mettre la main sur l’agent russe Yaroslav Mikhailov ?
ICI L EUROPE © FRANCE 24
17:02

Cet agent intéresse autant car il a joué un rôle clé dans l’une des opérations majeures de sabotage sur le sol européen attribuée à la Russie. Yaroslav Mikhailov "se trouve au centre de la toile d’agents et complices impliqués dans les explosions de colis DHL, qui ont eu lieu en 2024", assure le Washington Post, qui a pu consulter un diagramme opérationnel réalisé par les services de sécurité lituaniens.

En juillet 2024, quatre colis DHL piégés ont été postés depuis la Lituanie à destination du Royaume-Uni, de la Pologne et de l’Allemagne. Trois d’entre eux ont explosé dans des entrepôts de ces pays, alors que le détonateur n’a pas fonctionné dans le quatrième paquet, envoyé en Pologne.

C’est ce dernier colis piégé qui a permis aux enquêteurs polonais de commencer à remonter le fil de cette opération de sabotage. Dans le tableau de plus en plus chargé des opérations de guerre hybride que la Russie est accusée de mener en Europe depuis le début de la guerre d’invasion en Ukraine, l’opération des colis piégés tient une place à part. "C’est l’opération la plus imprudente et dangereuse car elle nécessitait d’envoyer des bombes par avion. Si ces engins avaient explosé en vol, les avions auraient pu s’écraser, causant d’importantes pertes humaines", résume Bart Schuurman, spécialiste de terrorisme et violence politique à l’université de Leiden où il travaille sur un projet pour cataloguer toutes les opérations de guerre hybride menées par la Russie en Europe. "Faire exploser un avion, ce n’est plus de la guerre hybride mais presque du terrorisme d’État", confirme Jeff Hawn, spécialiste des questions de sécurité en Russie à la London School of Economics.

En plus d’un an d’enquête dans plusieurs pays européens, une vingtaine de personnes soupçonnées d’être impliquées et d’avoir été recrutées par le GRU russe ont pu être arrêtées.

Un trafiquant de substances explosives et radioactives

Un seul acteur important semble avoir réussi à échapper au coup de filet européen : Yaroslav Mikhailov. Peu après les explosions de juillet 2024, il a quitté la Pologne, d’où il est censé avoir coordonné l’opération, pour rejoindre l’Azerbaïdjan, en passant par la Turquie grâce à des faux papiers. "Nul ne sait pourquoi il n’est pas rentré directement en Russie depuis la Turquie", note le Washington Post.

"Yaroslav Mikhailov est un ancien criminel, qui a été recruté par le GRU pour servir d’intermédiaire avec le monde du crime", note Bart Schuurman. En 2015, il était recherché en Russie par le FSB pour "trafic d’agents pathogènes, substances explosives et radioactives". Un an plus tard, toutes les accusations avaient disparu, suggérant qu’une sorte d’arrangement a pu être trouvé entre ce trafiquant et les services de sécurité.

Le Washington Post a ensuite retrouvé sa trace, sous différents alias, dans au moins dix pays européens – dont l’Autriche, la Pologne, l’Allemagne, ou encore la Roumanie – entre 2016 et 2024.

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Reporters © FRANCE 24
17:01

Yaroslav Mikhailov semble ensuite avoir pris du grade puisque c’est lui qui a été chargé de coordonner l’opération des colis piégés. "Il n’est pas un officier à part entière du GRU mais on peut le qualifier d’agent traitant chargé de superviser tous les sous-traitants – souvent également issus du monde du crime – associés à cette opération", résume Bart Schuurman. "Son expertise technique – le fait qu’il a l’expérience de manipuler du matériel explosif – fait qu’il peut être considéré comme une sorte de sous-traitant de premier ordre pour les espions russes surtout dans ce genre d’opération", précise Erik Stijnman, spécialiste des questions de sécurité militaire dans le cadre de la guerre russo-ukrainienne à l’Institut néerlandais des relations internationales Clingendael.

Ce profil de semi-espion est devenu de plus en plus important pour les services de renseignement russe. Les pays européens ont en effet expulsé la plupart des agents russes en place après le début de l’invasion de l’Ukraine. Moscou "doit composer avec des moyens [humains et financiers] limités, ce qui oblige la Russie à devoir compter sur ce type de recrue", souligne Christian Kaunert, spécialiste des questions de sécurité internationale à l’University of South Wales à Cardiff, qui a travaillé sur la guerre hybride menée en Europe. "Cela permet aussi à la Russie de garder la capacité de contester toute implication puisqu’il ne s’agit pas d’un membre à part entière des services de renseignement", ajoute Jeff Hawn.

Une clé pour mieux comprendre la guerre hybride russe ?

Même s'il n'est pas un agent à part entière, Yaroslav Mikhailov représenterait pour les services occidentaux l’une des meilleures clés pour comprendre l’étendue de l’effort de guerre hybride russe en Europe. Surtout qu’il n’a pas seulement participé à l’opération des colis piégés, a découvert Bart Schuurman. "Son nom apparaît également dans deux affaires d’incendie criminel, l’un contre un Ikea à Vilnius [en Lituanie], et l’autre contre le centre commercial de Marywilska 44 à Varsovie en Pologne", détaille cet expert. Dans les deux cas, les autorités ont accusé les services de renseignement russes d’être impliqués dans ces incendies.

Si les Occidentaux mettent la main sur lui, "cela pourrait leur permettre de mieux comprendre les réseaux de recrutements et, vu qu’il était actif dans plusieurs opérations, avoir une idée de comment ces opérations fonctionnent", assure Christian Kaunert.

"Il ne dispose probablement pas des informations les plus sensibles, mais ce qu’il sait peut permettre de mieux anticiper, voire d’éviter les opérations russes futures", estime Jeff Hawn.

Moscou n’a donc aucune envie de laisser un tel agent tomber entre les mains ennemies. Mais il y a probablement des raisons supplémentaires qui motivent les services russes à se mobiliser pour le récupérer. "Des sous-traitants de premier ordre comme Yaroslav Mikhailov doivent bénéficier d’une protection particulière car, si la Russie ne donne pas l’impression de tout faire pour contrer les efforts d'extradition occidentaux, les autres recrues comme lui risquent de perdre confiance", souligne Erik Stijnman.

En outre, "récupérer cet agent représente une priorité car l’opération des colis piégés était tellement risquée que la Russie ne veut surtout pas qu’un lien puisse être formellement établi entre l’équipe opérationnelle sur place et le GRU", ajoute cet expert.

L’Azerbaïdjan se retrouve donc dans une position à la fois avantageuse et inconfortable. "Yaroslav Mikhailov est une épée à double tranchant pour eux", estime Christian Kaunert. Le régime du président Ilham Aliyev peut exiger des concessions en échange de la remise de cet agent. Mais l'un des deux camps - russe ou occidental - se retrouvera alors floué et mécontent contre le pouvoir de Bakou.

C’est d’autant plus compliqué pour le président azerbaidjanais qu’il "essaie de prendre ses distances par rapport à Moscou depuis le début de la guerre en Ukraine, mais qu’en même temps son père était le chef du KGB en Azerbaïdjan, donc les liens avec les services de renseignement russes sont très forts", analyse Christian Kaunert. C’est dire si beaucoup de choses dépendent du sort d’une homme qui, il y a encore dix ans, n’était qu’un vulgaire criminel en Russie.