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L'instant + : la Turquie redécouvre l'art des céramiques bleues d'Iznik
La Turquie redécouvre l'art des céramiques bleues de l'Empire ottoman qui ont fait au 16e siècle la réputation d'Iznik, l'ancienne Nicée, où doit se rendre le pape Léon XIV fin novembre.
Des motifs traditionnels peints sur une assiette en faïence d'Iznik, en Turquie, le 31 octobre 2025. © Ozan Kose, AFP

Pendant plus de 300 ans, les secrets de l'art des céramiques bleues de l'Empire ottoman ont disparu dans les soubresauts de l'histoire. Leur redécouverte permet de raviver cette part essentielle du patrimoine culturel turc.

Réputés pour leurs motifs complexes et leurs couleurs éclatantes, à dominantes bleue et rouge, les carreaux d'Iznik qui habillent notamment la mosquée bleue d'Istanbul et le palais de Topkapi, sont considérés comme le sommet de l'art ottoman.

Ils ont fait la réputation d'Iznik, l'ancienne Nicée, où se rendra le pape Léon XIV fin novembre pour le 1 700e anniversaire du premier concile œcuménique de l'histoire du christianisme, qui s'était tenu dans cette ville au sud d'Istanbul.

Sous le patronage de l'Empire ottoman, les artisans d'Iznik ont prospéré, obtenant des "résultats remarquables" au milieu du 16e siècle, retrace Ezgi Yalcinkaya, cheffe du département des arts traditionnels turcs à l'université d'Usak.

Ils ont mis au point une pâte de pierre à haute teneur en quartz, la "fritte de verre", qui offre un fond éclatant aux décorations et glaçures transparentes. Elle renvoie aussi des couleurs vibrantes dont un rouge corail pour les motifs floraux qui "a créé un nouveau style distinctif", explique-t-elle à l'AFP.

Le déclin de l'Empire ottoman à partir du 17e siècle signe celui des ateliers. Les artisans, principalement grecs et arméniens, qui maitrisaient la formule de la fritte, les couleurs et les glaçures, disparaissent peu à peu.

"De maître à apprenti"

"Le savoir se transmettait exclusivement de maître à apprenti. Les formules spécifiques, pour le rouge notamment, étaient des secrets partagés oralement", poursuit Mme Yalcinkaya.

Des femmes dessinent avant de peindre des carreaux dans un atelier à Iznik, en Turquie, le 14 octobre 2025 © Ozan KOSE / AFP

"Faute de trace écrite, le savoir-faire a disparu avec les derniers maîtres. Aux 18e et 19e siècles, les connaissances techniques étaient en grande partie perdues."

Jusqu'au 20e siècle seulement, grâce à la passion d'une économiste, Isil Akbaygil, pour l'art ottoman : en 1993, elle crée la Fondation Iznik autour d'experts et d'universitaires qui entreprennent d'exhumer les secrets perdus des précieuses céramiques.

"Ce qu'on avait oublié, ce ne sont pas tant les matières premières elles-mêmes, mais leur combinaison, les températures et la méthode de cuisson, pour obtenir ce rouge corail si particulier", souligne Kerim Akbaygil, fils de la fondatrice et vice-président de la Fondation.

"La Fondation a passé près de deux ans à essayer de trouver la bonne recette, en collaborant avec différentes universités comme le MIT (Massachussets Institute of Technology), l'Université (américaine) de Princeton et l'Université technique d'Istanbul", précise-t-il.

"Nous avons procédé par essais, avec des ratages, mais nous avons finalement trouvé la solution", raconte-il en recevant l'AFP au siège de la Fondation, vaste demeure aux tuiles cobalt et turquoise.

"Les carreaux d'Iznik sont les seuls au monde à contenir jusqu'à 85 % de quartz, incorporé à la matière première constituée d'argile et de silice", détaille-t-il.

Ils sont ensuite émaillés avec un taux élevé de quartz qui leur confère une "luminosité et une profondeur caractéristiques", vante-t-il.

L'instant + : la Turquie redécouvre l'art des céramiques bleues d'Iznik
Kerim Akbaygil, fils de la fondatrice et vice-président de la Fondation Iznik, le 31 octobre 2025 à Iznik, en Turquie © Ozan KOSE / AFP

Décorés de motifs peints aux oxydes métalliques dont les couleurs sont avivées par le processus de cuisson, ils sont ensuite recouverts d'une glaçure à base de quartz dénommée "sir" : le "secret", en turc.

"Beauté de la surprise"

Bleus cobalt vibrants, verts émeraude, rouges corail, les pots de couleurs s'alignent sur les étagères d'une grande salle à l'étage, où une douzaine de femmes sont à l’œuvre, pinceaux en main.

Plusieurs sont penchées sur une immense fresque destinée à une gare, l'une des commandes importantes de la Fondation dont plusieurs réalisations ornent déjà des stations du métro d'Istanbul.

Esquissant l'ombre d'une feuille de figuier, Yasemin Sahin, 42 ans, se dit captivée par la transformation des couleurs à la cuisson.

"J'ignore à quoi ça ressemblera à la sortie du four. C'est toujours une surprise, ce qui en fait la beauté", confie-t-elle.

Trente ans après leur relance, les carreaux d'Iznik sont désormais visibles sur de nombreux bâtiments à travers la Turquie et le rayonnement de la Fondation s'étend du Japon au Canada.

L'instant + : la Turquie redécouvre l'art des céramiques bleues d'Iznik
Confection de carreaux, à Iznik, en Turquie, le 31 octobre 2025 © Ozan KOSE / AFP

"À l'époque, les céramiques d'Iznik étaient destinées aux seuls palais et mosquées. Maintenant, ce tabou est levé," souligne Kerim Akbaygil.

Ezgi Yalcinkaya salue les recherches des universitaires et chercheurs de la Fondation qui "ont ranimé une tradition", se félicite-t-elle.

"Les céramistes ottomans ont continuellement innové" à travers les siècles. "Le travail d'aujourd'hui perpétue cet esprit, en garantissant que la tradition reste vivante et pertinente, ce qui est la meilleure façon de préserver le patrimoine culturel", insiste-t-elle.

Avec AFP