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Ukraine : le combat de Darina et Liubov pour retrouver les enfants enlevés à Kherson par la Russie
Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, des enfants ukrainiens ont été emmenés en Russie ou en territoire sous occupation russe. À Paris, deux femmes originaires de Kherson témoignent de leur lutte pour les retrouver. Elles dénoncent les adoptions forcées et l’endoctrinement subi par les mineurs enlevés.
Liubov Burina et Darina Riepina, membres des familles d'enfants ukrainiens déportés par la Russie, à Paris le 17 novembre 2025, lors d'une conférence de presse organisée par la Fondation Émile. © France 24

C'est avec effroi que Liubov Burina a découvert que ses deux petits-enfants, Angelina, 6 ans, et Yevhen, 4 ans aujourd'hui, avaient été placés sur un registre russe d'enfants à adopter sous de nouvelles identités. Saisie par l'émotion, cette grand-mère ukrainienne, originaire de Kherson, témoigne avec difficulté. "Les Russes ont volé mes petits-enfants. On ne le savait pas à l'époque", dit-elle en reprenant sa respiration.

Ville du sud de l'Ukraine, Kherson a vécu sous le contrôle des troupes de Moscou pendant neuf mois, de février à novembre 2022. En mars de la même année, les deux petits-enfants de Liubov Burina se trouvent dans l'orphelinat régional de Kherson, où ils avaient été placés temporairement, pour quelques mois, après une crise familiale. Liubov Burina devait venir les chercher, mais entre temps, les forces russes avaient pris le contrôle de la ville et de l'orphelinat.

"On n'a pas su tout de suite qu'ils avaient été déportés, on les cherchait partout", raconte-elle lors d'une conférence organisée à Paris par la Fondation Émile, qui œuvre pour le retour des enfants ukrainiens.

Malgré le chaos de la guerre, l'ancienne couturière ne se décourage pas et frappe à toutes les portes. "On s'est adressés à tous les organismes sociaux, à la police… jusqu'à ce qu'un organisme retrouve leur trace en Crimée occupée", poursuit-elle très émue.

La grand-mère ne les a pas revus depuis. La Russie affirme que les enfants sont emmenés là-bas "pour leur sécurité". "Nous n'avons plus aucun droit pour les récupérer", s'indigne-t-elle, partagée entre colère et douleur.

Peur de retrouver ses petits-enfants endoctrinés

Liubov Burina dit également craindre que ses petits-enfants ne soient victimes là-bas d'endoctrinement. "J'ai peur, confie-t-elle, qu'on les monte contre nous". Car malgré tout, cette grand-mère continue d'espérer. "Cette guerre se terminera un jour, la paix reviendra. Alors j'espère qu'ils me seront retournés".

Selon l'Humanitarian Research Lab de l’université de Yale, qui a enquêté sur le sort des mineurs ukrainiens enlevés par Moscou, les plus jeunes sont ceux dont l’identité est le plus souvent modifiée avant d'être proposés à l’adoption en Russie. Angelina et Yevhen appartenaient à ce "groupe vulnérable", ciblé par les déportations, composés d'orphelins, d'enfants en situation de handicap ou issus de familles à très faibles revenus.

Aux côtés de Liubov Burina, Darina Riepina a également fait le déplacement à Paris. Elle porte, elle aussi, le poids du chagrin sur son visage. La jeune femme est la tutrice légale de Margarita et Maksym qui figuraient parmi les 48 enfants enlevés dans le même orphelinat, après l'arrivée des Russes à Kherson.

Darina Riepina s'apprêtait à conclure la procédure d'adoption de Maksym et de Margarita Prokopenko, 3 ans et 10 mois à l'époque, lorsqu'elle a perdu tout contact avec eux. "Nous étions sur la rive gauche [du fleuve Dniepr], on a été obligés de fuir". Darina Riepina parvient quand même à appeler l'orphelinat régulièrement, mais au bout du fil on lui dit que Margarita est "hospitalisée pour une bronchite", puis elle n'aura plus aucune nouvelle.

"Je suis une mère ordinaire. Je pensais que nous vivrions une vie ordinaire", dit-elle en larmes.

Adoptée en Russie par un proche de Poutine

Maksym a été localisé dans un orphelinat en Russie. Et il a fallu dix mois et l'aide de nombreux volontaires pour parvenir à avoir des nouvelles de Margarita.

Darina Riepina a d'abord été soulagée "d'apprendre qu'elle est en vie". Mais la joie a été de courte durée lorsqu'elle découvre que la petite fille a un nouveau nom, un nouveau passeport et qu'elle a été recueillie par la famille de Sergueï Mironov, chef d'un parti pro-Kremlin et proche de Vladimir Poutine. La fillette a été rebaptisée Marina Mironova, du nom de son père adoptif, avec un acte d'adoption ne mentionnant aucun document original attestant la naissance de l'enfant, mais un document falsifié, selon la BBC, qui a enquêté sur l'affaire.

La tutrice ukrainienne de Margarita, qui a depuis finalisé sa procédure d'adoption de la petite fille et de son frère Maksym, a tenté de contacter la famille Mironov en vain. Elle n'a plus aucun moyen d'accéder à la cadette de la fratrie.

Sergueï Mironov, pour sa part, a nié avoir adopté Margarita Prokopenko, affirmant dans une publication sur les réseaux sociaux en 2023 que "les services spéciaux ukrainiens et leurs superviseurs occidentaux" cherchaient à le discréditer.

En octobre, Margarita a fêté son quatrième anniversaire. "Nous n'avons aucun contact avec elle", regrette Darina Riepina. "Tout ce que nous avons, ce sont les dernières photos vues dans les médias."

"Elle ne devrait pas vivre comme une prisonnière. Elle devrait être libre, avec sa famille, dans son pays. Sa sœur l'attend. La vie est si courte", s'indigne la mère adoptive. "Si ceux qui ont fait ça ont pensé faire quelque chose de bien, ils se rendront compte plus tard qu'ils ont eu tort, elle les haïra quand elle apprendra ce qu'ils ont fait".

Moscou refuse toutes les demandes

Darina Riepina a demandé un test ADN pour prouver que "Marina" est bien "Margarita", en attestant de son lien biologique avec ses frères et sœurs. Mais Moscou a refusé ses demandes, dit-elle, craignant de ne jamais être entendue.

La Cour pénale internationale a émis un mandat d'arrêt contre Vladimir Poutine et la commissaire russe aux droits de l'enfant, Maria Lvova-Belova, pour des allégations d'enlèvements d'enfants en mars 2023.

Le nombre exact d'enfants ukrainiens déportés vers la Russie et les territoires sous occupation russe depuis 2022 reste inconnu. Les autorités ukrainiennes l'estiment à 19 546, bien que ce chiffre comprenne les enfants déportés avec leurs parents. Toujours selon l'Ukraine, 1 819 enfants ont été rapatriés après avoir été deportés, transférés de force en Russie, ou vers des territoires occupés.

La Russie, elle, assure avoir déplacé certains enfants ukrainiens de leurs foyers ou orphelinats pour les protéger. Mais selon le rapport de l'Humanitarian Research Lab de l'université de Yale paru en septembre, les enfants déportés ont été envoyés dans au moins 210 établissements en Russie et dans les territoires ukrainiens occupés, où la majorité sont soumis à une "rééducation" et à une militarisation.

À Paris, Darina Riepina et Liubov Burina comptent bien se faire entendre. Accompagnées de la Fondation Émile, elles ont prévu de rencontrer plusieurs corps diplomatiques. Pour convaincre la Russie de rendre les enfants, il faut passer par des pays tiers, explique Mariam Lambert, la directrice de cet organisme.

S'il n'y a pas de contact direct entre la Fondation Émile et le gouvernement russe, elle dit avoir demandé notamment l'aide des États-Unis, de la Slovaquie et du Brésil.

Le sort de ces enfants a fait l'objet de multiples négociations entre la Russie et l'Ukraine, via la médiation du Qatar. Celle-ci a obtenu le retour de quelques-uns d'entre eux en 2024.