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Entre crise politique et crise de la dette, le Sénégal retient son souffle
Au Sénégal, des dissensions entre le président Bassirou Diomaye Faye et le Premier ministre Ousmane Sonko ont éclaté au grand jour, après un remaniement contesté à la tête de la coalition présidentielle. Ces tensions interviennent alors que le pays est confronté à un endettement record qui menace l'économie du pays. 
Montage photo du président sénégalais Bassirou Diomaye Faye, à droite, et du Premier ministre Ousmane Sonko, à gauche. © France 24

Le 2 avril 2024, Bassirou Diomaye Faye était triomphalement élu à la tête du Sénégal, devenant, à 44 ans, le plus jeune président de l’histoire du pays. Une élection rendue possible grâce au soutien d’Ousmane Sonko. Empêché de concourir par la justice, le populaire président du parti d’opposition Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le Travail, l’Éthique et la Fraternité) l’avait désigné comme candidat de substitution, avant de devenir son Premier ministre.

Dix-huit mois après ce plébiscite populaire, le duo, élu sur une promesse de rupture avec l’ancien pouvoir, semble traverser une zone de turbulence. La décision de Bassirou Diomaye Faye de nommer Aminata Touré, ancienne ministre de Macky Sall, devenue opposante, à la tête de la coalition présidentielle a suscité de vives critiques au sein du Pastef.

Ces tensions politiques interviennent dans un contexte économique délicat pour le Sénégal, en pleine négociations avec les bailleurs internationaux pour tenter de juguler une dette, qui a atteint un niveau record, estimée à 132 % du PIB.

Nomination polémique

Officialisé le 11 novembre, le remaniement à la tête de la coalition présidentielle a suscité une levée de boucliers immédiate au sein du Pastef.

La coalition, dont le Pastef est le parti le plus influent, "n’a jamais eu comme président Bassirou Diomaye Faye, qui n’était que le candidat", a rappelé dans un communiqué le parti d’Ousmane Sonko, estimant que le chef de l’État n’avait tout simplement pas le pouvoir de prendre une telle décision. Aussi et surtout, le Pastef a catégoriquement rejeté la mise à l’écart d’Aïssatou Mbodje, proche alliée d’Ousmane Sonko, au profit d’Aminata Touré, dont le Pastef affirme ne partager "ni les mêmes valeurs ni les mêmes principes".

Figure politique parmi les plus connues du Sénégal, Aminata Touré a occupé les postes de ministre de la Justice puis de Premier ministre lors du premier mandat de Macky Sall, dont elle avait aidé à façonner le programme. La situation s’était graduellement tendue au cours du deuxième mandat de l’ex-président (2019-2024), Aminata Touré lui reprochant notamment de l’avoir évincée de la présidence de l'Assemblée nationale en 2022. Elle avait ensuite rejoint les rangs de l’opposition, contre l’éventualité d’un troisième mandat de Macky Sall, et soutenu la candidature de Bassirou Diomaye Faye à la présidentielle.

"Au sein de Pastef, certains perçoivent Aminata Touré comme une opposante de dernière minute, motivée par des considérations plus politiques qu'idéologiques", analyse Babacar Ndiaye, politologue au sein du centre de recherche Wathi.

Rivalité politique ?

De son côté, Bassirou Diomaye Faye a justifié la nomination d’Aminata Touré, par une volonté d’"ouverture". "Son expérience, son engagement et son esprit fédérateur nous seront d'un très grand apport dans la restructuration de notre organisation", a-t-il souligné.

De nombreux observateurs s’interrogent néanmoins sur le but de cette démarche, un an après la victoire écrasante aux législatives de Pastef, qui a remporté 130 des 165 sièges à l'Assemblée nationale.

Cette nomination intervient également dans un contexte de tensions entre le président et son Premier ministre, qui avait déploré, lors d’un discours en août, un "problème d’autorité" au sommet de l’État, s’estimant insuffisamment soutenu par le président.

"Bassirou Diomaye Faye pense qu'Aminata Touré peut élargir le spectre des soutiens, en vue des élections locales de 2027 puis de la présidentielle 2029" souligne Babacar Ndiaye. "Or ces déclarations attisent la suspicion parmi les plus proches soutiens d’Ousmane Sonko, ces derniers le considérant comme celui qui devrait être candidat lors de la prochaine présidentielle".

La nomination d’Aminata Touré s’apparente-t-elle à une tentative de mise à l’écart de Pastef ? Bassirou Diomaye Faye s’en défend et tente ces derniers jours de donner des gages.

Mardi, le journal sénégalais Libération s’est fait l’écho d’une rencontre entre le président et le bureau politique de Pastef. "Je ne ferais jamais de mal à Sonko et il ne me fera jamais de mal", aurait-il déclaré, tout en défendant, à nouveau, son choix de nommer Aminata Touré.

Attentes de changement et dette abyssale

Cette crise politique intervient au pire moment pour le Sénégal, confronté à une situation économique alarmante. Des négociations sont actuellement en cours avec le Fonds monétaire international (FMI) pour aboutir à la restructuration de la dette abyssale du pays, estimée à 132 % du PIB, soit la plus importante d’Afrique. Une situation, qui, selon l'actuel pouvoir, serait héritée de la présidence Macky Sall qui aurait sciemment maquillé les comptes.

Pour Babacar Ndiaye, les dirigeants doivent de toute urgence clore cette crise politique pour se concentrer sur les véritables problèmes du Sénégal. "Le duo Diomaye-Sonko demeure très populaire au Sénégal, mais on sent une impatience dans la population, en particulier au sein de la jeunesse qui les a portés au pouvoir", affirme-t-il.    

"Sur l’emploi, le coût de la vie, la santé, l'éducation ou bien encore la justice, leurs promesses ont suscité de gros espoirs qu’ils ne peuvent décevoir", ajoute Babacar Ndiaye.

Entre crise politique et crise de la dette, le Sénégal retient son souffle

Des réformes ambitieuses qui se heurtent aujourd’hui à la réalité du terrain. Début novembre, lors d’un meeting à Dakar, Ousmane Sonko a invité les Sénégalais à se serrer la ceinture. Un "sacrifice de deux ou trois ans" supplémentaires est nécessaire pour rétablir les comptes publics, a-t-il averti, fustigeant, à nouveau la "trahison" des anciens dirigeants.