Depuis plus de six ans, Don Staniford se rend régulièrement en kayak jusqu'à des fermes à saumons, armé d'une GoPro fixée à une perche télescopique. Son objectif ? Filmer les vastes cages circulaires où sont entassés des dizaines de milliers de poissons, afin de dénoncer ce qu'il appelle "les horreurs" de l'élevage de saumon.

Il partage ensuite les images de ses excursions sur ses différents réseaux sociaux :

Les gens ne savent pas vraiment ce qui se passe sous la surface de l'eau, c'est pourquoi il est très important pour des militants comme moi et d'autres de filmer à l'intérieur des cages et de lever le voile pour montrer au public ce qu'il en est réellement.

Normalement, je sors en kayak très tôt le matin. (...) Il s'agit de se rendre dans ces fermes quand il n'y a pas d'employés. Nous ne harcelons pas les employés, nous ne les intimidons pas. Nous essayons de filmer quand il n'y a personne.

Nous pouvons obtenir des données sur les fermes qui font face à des maladies, celles qui enregistrent des décès et des mortalités importants, et cibler ces exploitations. 

Don Staniford dit avoir filmé une soixantaine de fermes à saumons, principalement en Écosse, mais aussi en Irlande et aux îles Féroé (Danemark).

"Plus on entasse de poissons dans un espace clos, plus les maladies se développent"

Des images filmées lors d'une de ses excursions en septembre 2021 montraient des poissons morts flottant à la surface, aux côtés d'autres présentant des plaies à vif ou des yeux gonflés.

Pour Don Staniford, le surpeuplement des enclos est à l'origine de cette situation :

Il n'est pas nécessaire d'être un expert pour comprendre qu'en entassant des animaux à haute densité, on favorise les maladies. On va avoir des virus, des parasites. Plus on entasse de poissons dans un espace clos, plus les maladies se développent. C'est une conséquence de la production intensive.

Parmi ces parasites, Don Staniford évoque notamment les poux de mer, qui se nourrissent de la peau et du sang des saumons.

Décès en masse

Selon des données gouvernementales, 17,4 millions de saumons sont morts dans les fermes d'élevage écossaises en 2023, un record. Le taux de survie pour des jeunes saumons introduits deux ans plus tôt était de 68,7 %.

Andrew Watson, le porte-parole de Salmon Scotland, le groupe représentant l'industrie du saumon, a affirmé à la rédaction des Observateurs de France 24 que les fermes à saumons écossaises avaient réussi à améliorer les taux de survie ces dernières années.

"Suite à un investissement d'un milliard de livres sterling depuis 2018, nous avons augmenté les taux de survie en 2024, atteignant notre plus haut niveau depuis quatre ans. Le secteur du saumon écossais a enregistré les meilleurs taux de survie jamais atteints au premier trimestre 2025, avec une moyenne de 99,02 %, tout en maintenant les niveaux de poux de mer à un niveau historiquement bas", a affirmé Andrew Watson.

Cependant, les premières données pour 2024 annoncées par le gouvernement écossais dans un rapport du 17 janvier 2025, ne montrent aucune amélioration des taux de survie depuis 2018.

Des incidents se sont également produits ces derniers mois.

Des vidéos diffusées en juin 2024 par l'association Animal Rising, et filmées dans le nord de l'Écosse, semblent montrer des poissons avec des yeux enflés et des lésions cutanées attribuées aux poux de mer.

Plus d'un million de saumons d'élevage sont également morts en octobre 2024 dans une ferme écossaise exploitée par l'entreprise norvégienne Mowi, le premier producteur mondial de saumon d'élevage. Il s'agissait d'un record en Écosse depuis dix ans.

Si Mowi a attribué ces décès à une prolifération de méduses causée par l'augmentation sans précédent de la température de la mer, les militants ont lié ces incidents à l'expansion des fermes aquacoles et à des mauvaises conditions d'élevage.

Les entreprises salmonicoles écartent systématiquement les images filmées par Don Staniford ou d'autres activistes, affirmant qu'elles sont "sélectives" ou montrent des "exemples isolés", et attribuant les dommages à des facteurs externes.

Enquête parlementaire

Les autorités écossaises se saisissent cependant de la question.

Le 17 janvier 2025, la Commission des Affaires rurales et des Îles du Parlement écossais a publié un rapport issu d'une enquête menée entre avril et décembre 2024. Ce rapport faisait suite à la publication d'une première enquête en 2018.

"La commission est déçue par les chiffres montrant que la mortalité ne s'est pas améliorée depuis le rapport de 2018", indique le rapport de 2025. "La commission estime que le niveau actuel de mortalité est généralement trop élevé dans l'ensemble du secteur, et est très inquiète des taux de mortalité extrêmement élevés sur certains sites", peut-on également y lire.

Tout en reconnaissant certaines améliorations de la part de l'industrie, la commission indique "s'inquiéter que l'industrie ne soit actuellement pas en mesure, sur le plan opérationnel, de prévenir les événements de décès en masse". Elle a appelé à "une transparence bien plus grande dans la déclaration des taux de mortalité et des épidémies".

La commission a également noté l'impact de l'industrie du saumon sur l'environnement.

Selon Don Staniford, les effets de l'élevage de saumons dépassent en effet largement les limites des fermes elles-mêmes :

L'industrie du saumon rejette directement ses eaux usées dans la mer, ce qui constitue une contamination des eaux. Elle utilise des produits chimiques toxiques. Il y a aussi des évasions massives de saumons, ce qui entraîne une contamination génétique. Et il y a la question de l'alimentation. Loin d'être une panacée pour résoudre le problème alimentaire mondial, nous sommes en situation de surpêche. Nous contribuons au problème en pêchant toujours plus bas dans la chaîne alimentaire .

Poursuites judiciaires

L'industrie de l'élevage de saumon voit d'un mauvais œil les activités de Don Staniford.

L'Écosse est le troisième producteur mondial de saumon atlantique, après le Chili et la Norvège, ce qui fait de l'élevage du saumon une industrie majeure pour le pays.

Selon des chiffres de l'industrie, les ventes internationales de saumon écossais ont atteint 844 millions de livres sterling (1 milliard d'euros) en 2024, constituant ainsi le premier produit exporté au Royaume-Uni. La France reste le premier marché d'exportation, représentant 55 % de la valeur totale de toutes les exportations de saumon écossais.

Don Staniford est actuellement confronté à des poursuites judiciaires de la part de trois importantes entreprises salmonicoles norvégiennes et féroïennes.

Ces entreprises affirment que ses intrusions sur leurs installations ne sont pas autorisées et présentent des risques importants pour la sécurité de leur personnel et de leurs poissons.

Deux de ces entreprises ont obtenu avec succès une injonction en 2024, lui interdisant légalement l'accès aux passerelles de leurs enclos à saumons.

Bien que Don Staniford ait indiqué en novembre 2024 qu'il envisageait de prendre sa retraite, il semble aujourd'hui plus déterminé que jamais à poursuivre son combat :

J'adorerais prendre ma retraite. J'ai 53 ans. Je suis trop vieux ; je ne veux plus faire de kayak jusqu'aux fermes, je ne veux plus quitter mes enfants les week-ends. Mais si personne d'autre ne le fait, je le ferai.

Si je suis interdit d'accès à 75 % des fermes à saumons en Écosse, alors mon travail est terminé ici. Mais peut-être que j'émigrerai simplement en Tasmanie, au Canada, au Chili, ou même en France. Ils peuvent tenter de me faire taire légalement et obtenir des injonctions contre moi en Écosse. Mais peut-être que ma "retraite" en Écosse ouvrira la voie à un déménagement vers un autre pays.