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Du job quotidien au road-trip, la moto, nouveau vecteur de l'émancipation des Iraniennes
Dans le bras de fer engagé avec le régime islamique, les Iraniennes ont investi un nouveau champ de bataille : les motos. Les mollahs ont toujours refusé de délivrer aux femmes des permis de conduire de deux-roues. Mais de plus en plus d'Iraniennes bravent l’interdit et se mettent en scène sur Instagram sur leur moto. Pas seulement pour le loisir : une monitrice explique que les motos sont devenues un moyen de transport essentiel, et même une source de revenus pour de nombreuses femmes en Iran.
Par : Alijani Ershad Suivre

Les Iraniennes sont autorisées à conduire des voitures et à monter sur des motos en tant que passagères. Mais la délivrance de permis de conduire des motos leur a toujours été refusée depuis l'avènement du régime islamiste en 1979. Cependant, ce refus relève d’une pratique du régime, qu’aucune loi n’a formellement entériné. Sur le plan juridique, rien n'interdit donc aux femmes d'obtenir un permis moto.

Le principal obstacle, ce sont donc les mollahs ultra-conservateurs, qui considèrent qu'il est non islamique pour les femmes de conduire des motos. Selon l'agence de presse Shabestan, un média d'État axé sur les questions religieuses, la raison officielle est que les femmes ne peuvent pas porter correctement leur voile en conduisant, bien qu'elles soient autorisées à s'asseoir derrière un conducteur masculin, car leur corps est considéré comme étant dissimulé derrière le conducteur.

À l'instar de la résistance généralisée au hijab obligatoire, que de nombreuses Iraniennes défient quotidiennement et en particulier depuis l’émergence du mouvement Femmes Vie Liberté en 2022,, un nombre croissant de femmes bravent l'interdiction, non écrite, de conduire des motos dans les rues, en documentant leurs déplacements sur les réseaux sociaux, et bien souvent en affichant leur identité ouvertement. 

Les motos sont désormais utilisées pour les voyages longue distance à travers l'Iran, que des femmes n’hésitent pas à accomplir en solitaire, ou en petit groupes de motardes, voire en groupes mixtes. Les deux roues servent aussi de moyen de transport quotidien : des femmes travaillent désormais comme coursières pour des sociétés de livraison de nourriture et de colis, dans tout le pays.

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"Je devais m'habiller d'une manière qui dissimulait mon identité de femme"

Zahra a été l'une des premières femmes motarde en Iran. Elle enseigne aujourd’hui la conduite à d'autres femmes dans une auto-école. Elle est l'une des rares Iraniennes à avoir déménagé en Turquie, pour une courte période, le temps d'obtenir un permis de conduire pour moto, ce qui lui permet de se rendre à l'étranger avec son véhicule.

Il y a seize ans, j'ai développé une passion pour les motos. J'étais déterminée à apprendre à conduire, mais à l'époque, les femmes n'étaient pas prises au sérieux. Ma famille et les auto-écoles se sont  moquées de moi, et il n'y avait pas de monitrices. Finalement, j'ai trouvé une école de moto en dehors de ma ville, qui a accepté de m'enseigner, et j'ai commencé à faire du motocross.

À l'époque, je ne connaissais que quatre autres femmes qui partageaient ma passion. Je l'ai cachée à ma famille pendant six mois, mais mon père a fini par l'apprendre. Je l'ai emmené sur le circuit pour lui montrer qu'il y avait d'autres femmes qui faisaient de la moto et pour qu'il puisse constater par lui-même que tout allait bien. Lorsqu'il m'a vue faire de la moto et du cross, sauter des rampes de terre, il a été terrifié. Il lui a fallu beaucoup de temps pour l'accepter.

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Lorsque je me rendais au travail en moto, je devais m'habiller de manière à dissimuler mon identité de femme. Ce n'était pas facile. J'ai été arrêté par la police un nombre incalculable de fois, et mes motos ont été saisies à plusieurs reprises. J'ai dû payer des amendes à chaque fois.

La loi prévoit une amende d'un million de toman (environ 10 euros) pour la conduite d'une moto sans permis. Dans certains cas, les contrevenants risquent jusqu'à six mois de prison, mais cette peine est rarement appliquée.

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"J'enseigne maintenant à des mères et à des filles. Elles ne sont pas là pour s'amuser."

Zahra poursuit :

Il y a environ trois ans, tout a changé. Il est désormais courant de voir des femmes sur des motos en ville. Vers 2022, j'ai insisté pour que l’école où j'avais appris à conduire, lance un programme pour apprendre aux femmes à faire du cross, et je suis devenue monitrice.

Lorsque j'ai lancé ce programme, presque toutes mes élèves étaient des jeunes femmes comme moi, passionnées de moto et désireuses de s'amuser. Mais aujourd'hui, les choses ont changé. J'enseigne maintenant à des mères et à des filles. Elles ne sont pas là pour s'amuser. Au début du programme, je demande à chaque femme : "Pourquoi voulez-vous apprendre à rouler ?" Si leur objectif est de faire du sport sur piste, c'est différent de celles qui veulent rouler en ville. Plus de la moitié des femmes me disent aujourd'hui qu'elles l'utilisent pour effectuer des tâches quotidiennes : se rendre au travail, aller chercher les enfants à l'école, faire des courses, etc.

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"Des maris et des pères soutiennent les femmes dans leur apprentissage"

La société a tellement changé ces dernières années. Il y a seize ans, je devais me cacher, mais aujourd'hui ce n'est plus le cas, et j'entends des "beau travail" et des "bien joué", de la part de femmes et d'hommes dans la rue.

Je vois aussi des maris et des pères qui soutiennent les femmes dans leur apprentissage de la moto. Ils les emmènent chaque semaine à la piste d'entraînement, leur achètent des motos et les encouragent pendant des heures à côté de la piste. Ce n'était pas le cas lorsque j'ai commencé.

Aujourd'hui, il y a tellement de conductrices de deux roues, scooters ou motos que nous avons récemment organisé une course de scooters pour les femmes sur notre circuit.

Si Zahra reconnaît l'importance des changements de mentalités, elle explique que des facteurs pratiques et économiques jouent également un rôle crucial dans la décision des Iraniennes d'apprendre et d'utiliser la moto au quotidien.

Les voitures sont chères et de nombreuses femmes ou familles ne peuvent tout simplement pas se permettre d'en acheter une. Cependant, une moto peut être achetée pour 100 à 200 millions de tomans [soit de 1 000 à 2 000 euros ; le salaire minimum en Iran est d'environ 107 euros par mois, NDLR]. Aujourd'hui, de nombreuses femmes qui utilisaient autrefois des voitures pour leurs déplacements quotidiens ont opté pour des motos.

Notre Observatrice souligne également que les femmes sont de plus en plus actives. Les statistiques officielles montrent ainsi que le taux de chômage des femmes en Iran est passé de 20 % à 15 % au cours des sept dernières années. Alors que seulement 31 % des étudiants étaient des femmes en 2005, ce chiffre est passé à plus de 62 % en 2025.

Zahra reprend : 

Par ailleurs, la circulation dans presque toutes les villes est insupportable. Comme beaucoup d'hommes, les femmes qui ont besoin de se déplacer en ville pour le travail ou pour d'autres raisons, comme aller à la salle de sport ou au salon de beauté, trouvent que les motos sont beaucoup plus rapides. Par exemple, un trajet de l'est à l'ouest de Téhéran qui prendrait environ deux heures en voiture ne prend que 30 minutes en moto. En tant que femme active, pourquoi resterais-je coincée dans les embouteillages alors que je pourrais utiliser une moto ?

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"L'assurance ne me couvre pas, puisque je n'ai pas de permis de conduire"

Zahra souligne cependant les dangers et les risques auxquels les femmes à moto sont confrontées chaque jour, en conduisant sans permis.

Certaines femmes ont essayé sans succès d'obtenir un permis de conduire, même si aucune loi ne l'interdit explicitement. Par conséquent, les femmes conduisent sans permis et en acceptent les conséquences.

Par exemple, elles ne peuvent pas se rendre à l'étranger avec leur moto parce qu'elles n'ont pas de permis. Mais la vraie crainte, ce sont les accidents. Si un accident se produit, nous devons couvrir tous les frais car l'assurance ne nous couvre pas, puisque je n'ai pas de permis de conduire, bien que j'aie une assurance pour mes motos.

Un autre risque, c’est bien sûr l'arrestation par la police. Dans ce cas, la moto est confisquée et nous devons payer une amende. Si nous ne portons pas le hijab approprié, la situation devient encore plus compliquée.

Pour les femmes en Iran, le port d'un casque, bien qu’il cache leurs cheveux, ne suffit pas. Elles sont tenues de porter un foulard qui couvre la tête et le cou, et une robe ample qui couvre tout le corps, pour être considérées comme vêtues de façon “appropriée".

"Les femmes travaillent sur leurs motos pour gagner leur vie"

Pour Mahi, qui fait partie d'une nouvelle génération de motardes iraniennes, les choses ont été en partie facilitées par l’engagement des pionnières comme Zahra.

J'ai commencé à m'intéresser aux motos il y a deux ans. Après une simple recherche sur Google, j'ai trouvé des auto-écoles et des moniteurs. Il a été facile d'en trouver une et j'ai commencé mes cours en juillet 2023. Deux mois plus tard, j'ai voyagé pour la première fois avec ma propre moto. Depuis juillet 2024, je fais partie d'un petit club de motardes et nous parcourons l'Iran. 

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Lors de nos voyages, nous rencontrons des personnes de tous horizons, de tous sexes et de tous âges qui s'approchent de nous et engagent la conversation. Elles nous encouragent, car en Iran, les femmes parcourent des milliers de kilomètres sans hommes dans le groupe. Parfois, les agents de la circulation des petites villes nous aident lorsque nous rencontrons des problèmes. Ils ne nous ont jamais demandé si nous avions un permis de conduire. Ils savent que nous n'en avons pas.

Aujourd'hui, je vois même des femmes qui ont basé leur travail sur la moto. Je veux dire par là que les femmes travaillent sur leur moto pour gagner leur vie, par exemple en tant que livreuses.

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La situation est toutefois incompréhensible. Je peux m'asseoir derrière un homme qui conduit une moto, mais je ne peux pas légalement conduire cette même moto. Quelle différence ? La Fédération iranienne de l'automobile et de la moto, ainsi que l’Automobile club de la République islamique d'Iran, soutiennent tous deux l'idée de délivrer des permis de conduire aux femmes. La fédération propose même ses propres cours de moto pour les femmes ! Mais rien n'a encore changé.

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Le 12 mars 2025, Zahra Behrouz Azar, vice-présidente iranienne chargée des questions relatives aux femmes et à la famille, a déclaré : "Nous constatons que de nombreuses femmes conduisent désormais des motos, et le gouvernement est favorable à la délivrance de permis de conduire pour les femmes". Malgré cette annonce, rien n'a changé en pratique.