
Le réseau néonazi The Base a multiplié les actions violentes en Ukraine et veut y créer une enclave suprémaciste. © Studio graphique France Médias Monde
Ils ont averti que ce n’était que le début. Des membres autoproclamés du groupuscule néonazi nord-américain The Base ont revendiqué sur Telegram l’assassinat à Kiev et en plein jour d’un responsable du SBU, le service de contre-espionnage ukrainien, le 10 juillet.
Depuis lors, ces militants suprémacistes multiplient, sur les réseaux sociaux, les appels à l'avènement d’une enclave territoriale ou même d’une Ukraine 100 % "blanche". Le tout sur fond de soupçon de manipulation par des espions russes, souligne le Guardian, dans un article publié mercredi 16 juillet.
Les autorités ukrainiennes ont d’ailleurs affirmé avoir abattu deux individus soupçonnés d’être derrière le meurtre de l’agent du SBU et les ont accusés d’être liés aux services de renseignements russes. Ils n’ont fait aucune référence à The Base.
Des néonazis accélérationnistes
Ce groupe, fondé en 2018 aux États-Unis, n’a fait son apparition que très récemment sur le sol ukrainien. À l’origine, ces nénonazis "se présentaient comme les membres d’un groupe survivaliste afin de ne pas trop attirer l’attention des autorités américaines", souligne Joshua Farrell-Molloy, spécialiste des sous-cultures extrémistes sur Internet à l’université de Malmö.
Mais ils n’ont pas fait beaucoup d’efforts non plus pour cacher leur penchant idéologique extrémiste. The Base est qualifié de "réseau antisémite et suprémaciste blanc" par le Southern Poverty Law Center, l’une des principales organisations à surveiller les mouvements extrémistes aux États-Unis. En 2024, l'Union européenne l'a placé sur sa liste d'organisations terroristes.
En sept ans d’existence, The Base "s’est hissé au rang de principal réseau néonazi accélérationniste", affirme Joshua Fisher-Birch, spécialiste des mouvements d’extrême droite qui suit l’évolution de The Base depuis sa création pour le Counter Extremism Project, une ONG américaine de lutte contre l’extrémisme.
L’accélérationnisme est un courant particulièrement violent de la mouvance suprémaciste "qui s’est développée depuis une dizaine d’années et prône une accélération de l’effondrement de la civilisation occidentale afin de créer un contexte favorable à une révolution néonazie pour instaurer une société suprémaciste", résume Paul Jackson, historien de l’extrémisme à l’université de Southampton.
Et pour y parvenir, ces néonazis ne reculent pas devant la violence et les attentats afin de déstabiliser l’ordre établi. Dans cette nébuleuse terroriste d’extrême droite "The Base a toujours eu la réputation d’être un peu plus hardcore que les autres", précise Joshua Farrell-Molloy.
En général, les groupuscules ou militants néonazis accélérationnistes se mobilisent surtout sur Internet en essayant de se motiver les uns les autres à commettre des actions violentes de loup solitaire pour faire avancer la cause accélérationniste. The Base a un modus operandi plus ancré dans le réel et "met davantage l’accent sur les rencontres en personne et l’entraînement en commun pour être prêt [pour l’effondrement de la civilisation occidentale, NDLR]", note Joshua Fisher-Birch. Plusieurs membres de ce réseau ont d’ailleurs été arrêtés entre 2019 et 2021 et ont été accusés d’avoir élaboré des plans pour commettre des meurtres sur le sol américain.
The Base et l'internationale des néonazis
The Base conçoit également sa "révolution" néonazie de manière globale, sa vision d’une "internationale blanche" rejette aussi les approches nationalistes. Le groupuscule revendique une implantation aux États-Unis, en Australie, en Afrique du Sud et dans plusieurs pays européens comme l’Espagne ou la Bulgarie.
Pour autant, il ne faut pas s'imaginer une armée de néonazis prêts à déferler sur le monde occidental. "Pour eux, ce n’est pas le nombre qui compte. Ces accélérationnistes, qui ne sont pas nombreux, se considèrent davantage comme un fer de lance ou une avant-garde plutôt qu’une organisation de masse", explique Paul Jackson.
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C’est donc en Ukraine que The Base semble avoir décidé de passer à l’attaque de manière ostentatoire. "Ce qui est intéressant, c’est que Rinaldo Nazzaro, le dirigeant de ce mouvement, ne s’est déclaré favorable à des actions violentes dans le contexte actuel qu’en Ukraine", souligne Joshua Fisher-Birch. Ailleurs, il juge que ce serait contre-productif et qu’il vaut mieux se préparer pour le fameux inévitable effondrement du monde occidental.
Pourquoi cette exception ukrainienne ? Un traitement à part qui s’explique, en partie, par l’accélérationnisme. "Il s’agit de savoir saisir les opportunités qui naissent des contextes instables. Et avec la guerre, les autorités ukrainiennes sont déjà fragilisées", note Joshua Farrell-Molloy.
The Base a ainsi posté sur Telegram plusieurs vidéos de ces membres en Ukraine qui mettent le feu à des voitures et des installations électriques. Le groupe a aussi multiplié les tags dans plusieurs villes ukrainiennes, non pas au nom de The Base, mais de White Phoenix. C'est cette appellation qui les a fait connaître en Ukraine : il s'agit du nom de code de l’opération visant à créer une enclave séparatiste 100 % blanche en prenant le contrôle - par la force si nécessaire - de la région de Transcarpatie, dans l’ouest de l’Ukraine à la frontière avec la Slovaquie, la Hongrie et la Roumanie. Ils ont même déjà imaginé un drapeau et un slogan : "notre race est notre nation".
Rêve d'un "ethno-État" 100 % blanc en Ukraine
Ce rêve d’un "ethno-État" correspond à un objectif souvent mis en avant par les néonazis accélérationnistes. Rinaldo Nazzaro a reconnu à plusieurs reprises avoir été influencé par Harold Covington, un néonazi très actif dans les années 1970 qui "avait pour but la création d’un ‘ethno-État’ qui regrouperait plusieurs régions du nord ouest des États-Unis sous le nom de Northwest Imperative [Impératif du Nord-Ouest]", précise Paul Jackson.
Le but "ne serait pas de se contenter de son petit territoire et de devenir des fermiers ou que sais-je, mais de s'en servir comme base d’opération et d’être en état de guerre constante contre l’extérieur", explique Joshua Fisher-Birch. Autrement dit, la Transcarpatie de The Base créerait un autre front à l’ouest pour l’Ukraine. Un scénario rêvé pour la Russie.

The Base et Rinaldo Nazzaro ont d’ailleurs été accusés, au mieux, de servir involontairement les intérêts russes, au pire d’être téléguidés par les services de renseignement russes. Des accusations qui ont, en partie, émané de la mouvance néonazie.
Ces soupçons de connivence avec Moscou doivent beaucoup au fait que Rinaldo Nazzaro s’est installé à la fin des années 2010… en Russie et très probablement à Saint-Pétersbourg. Ce leader néonazi, marié à une Russe, est tombé dans la marmite suprémaciste après avoir travaillé pendant plusieurs années pour le ministère américain de la Défense. Il nie cependant toute collusion avec le pouvoir russe et affirme n’avoir agi que pour protéger ses enfants de la "dégénérescence" raciale des États-Unis.
De plus, la revendication du meurtre de l’agent ukrainien provient d’un compte Telegram différent de celui qui, à l’origine, a promu le projet d’"ethno-État" en Transcarpatie. Les deux affirment être liés à The Base, mais celui qui a revendiqué l’assassinat mêle les messages suprémacistes à des attaques en règle contre le gouvernement de Volodymyr Zelensky, accusé de trahir le peuple ukrainien. Une ligne "éditoriale" 100 % russo-compatible.
"The Base en Ukraine a aussi annoncé qu’ils étaient prêts à offrir des récompenses pour des attaques menées contre des infrastructures ukrainiennes. Un aspect financier qui fait davantage penser à des opérations soutenues par les services russes qu’à de simples actions idéologiques", suggère Joshua Farrell-Molloy.
Sans compter qu’il est difficile d’imaginer une poignée de néonazis réussissant à prendre le contrôle d’une région entière de l’Ukraine. Et l’opération ressemble, à ce titre, davantage à une distraction dont Kiev se serait bien passé et qui arrange Moscou. Néanmoins, les experts interrogés admettent toutefois qu’il peut s’agir d’une coïncidence malencontreuse, où les intérêts des néonazis et ceux de Vladimir Poutine s’alignent parfaitement.