
L'activiste d'extrême droite britannique Tommy Robinson, quitte le tribunal de Southwark Crown le 3 juillet 2025. © Justin Tallis, AFP
Une mer de drapeaux britannique et des casquettes rouges "Make England Great Again" inspirées de celles de Donald Trump. C’est dans cette ambiance que Tommy Robinson promet d’orchestrer, samedi 13 septembre à Londres, la "plus grande marche pour la liberté d’expression". Figure familière des rassemblements d’extrême droite depuis plus de quinze ans, l’activiste espère attirer des milliers de participants.
"Tommy Robinson se présente comme le défenseur d’une parole libre, celui qui dévoile ce qu’un gouvernement corrompu chercherait à cacher au peuple britannique", analyse Laëtitia Langlois, maîtresse de conférences en civilisation britannique à l'université d'Angers. "Mais son discours repose avant tout sur l’idée d’une prétendue invasion musulmane, qu’il accuse de détruire l’identité britannique."
Pour les autorités locales, la marche de samedi est loin d’être anodine. Elles redoutent de nouveaux débordements contre les hôtels hébergeant des demandeurs d’asile, déjà pris pour cible cet été par des manifestants anti-immigration. En juillet, un établissement d’Epping, au nord-est de Londres, avait été au cœur de manifestations après qu’un demandeur d'asile accusé d’avoir tenté d'embrasser une adolescente de 14 ans y avait séjourné. Tommy Robinson s’était empressé de relayer l’affaire, transformant un fait divers en carburant pour sa rhétorique anti-immigrés.
Un hooligan aux relents islamophobes
Né Stephen Yaxley-Lennon en 1982 à Luton, au nord de Londres, Tommy Robinson semblait promis à une carrière d’ingénieur aéronautique avant que sa vie ne bascule. Condamné à un an de prison en 2005 après avoir agressé un policier hors service, il perd son emploi et s'enfonce dans l’univers hooligan.
En 2009, le jeune homme de 27 ans cofonde l’English Defence League (EDL, Ligue de défense anglaise), un groupuscule d’extrême droite issu de la mouvance hooligan, affirmant lutter contre la menace islamiste en Angleterre. Dans son autobiographie "Tommy Robinson Enemy of the State", il raconte que c'est le début d'"années de fous rires entre potes".
Les manifestations de l’EDL, ostensiblement dirigées contre la communauté musulmane, dégénèrent souvent en affrontements avec les antifascistes. Stephen Yaxley-Lennon devient alors Tommy Robinson, un pseudonyme emprunté à un autre hooligan du club de football de Luton, pour masquer son passé judiciaire.
Fin 2013, il quitte l'EDL, affirmant vouloir prendre ses distances avec l'extrémisme, pour rejoindre un think tank disant lutter contre l'islamisme radical. Il garde une présence publique, se posant en "journaliste citoyen" et défenseur de la liberté d'expression.
De militant marginal à "martyr" de l’alt-right
Arrêté en mai 2018 pour avoir filmé et diffusé en direct sur Facebook l’entrée d’un tribunal, Tommy Robinson écope de 13 mois de prison. Sa condamnation en fait un symbole pour l’extrême droite mondiale : hashtag #FreeTommyRobinson, pétition en ligne à 500 000 signatures adressée à la Première ministre Theresa May, soutiens de figures comme Geert Wilders ou Steve Bannon, et même un tweet du fils de Donald Trump.

Fin octobre 2024, il est de nouveau condamné à 18 mois de prison pour avoir bravé une décision de justice de 2021 l’empêchant de diffamer un réfugié syrien. Des milliers de personnes manifestent alors à Londres pour réclamer sa libération – "Libérez Tommy Robinson !, a même écrit sur X, le multimilliardaire Elon Musk –, jusqu’à sa sortie anticipée en mai 2025, après sept mois passés derrière les barreaux.

Agressions, fraude hypothécaire, usage frauduleux de passeport, recel de drogue… Son casier judiciaire est fourni : il a purgé cinq peines de prison entre 2005 et 2025. Ses dernières infractions remontent à quelques mois, lorsqu’il est impliqué dans une altercation filmée à la gare de St Pancras, et accusé d’avoir harcelé deux journalistes du Daily Mail et leur famille sur X.
"Comme Donald Trump, ses condamnations et ses excès nourrissent sa popularité : pour ses partisans, chaque attaque est la preuve que le système veut l’abattre parce qu’il dit la vérité", soulève Laetita Langlois. "Il trouvera toujours des parades pour nourrir son image de martyr."
Sans succès, Tommy Robinson a déjà tenté de transformer sa notoriété en capital politique. En avril 2019, il se présente comme indépendant aux élections européennes pour "représenter la classe ouvrière" dans la circonscription d'Angleterre du nord-ouest. Sa campagne, marquée par des violences, se solde par un échec cuisant.
"Un exutoire à leur propre misère sociale"
"Sa force, c’est justement d’être hors du jeu politique traditionnel : il n’a pas besoin d’être élu, son rôle d’agitateur lui permet d’avoir un langage totalement décomplexé, loin des institutions", observe Laëtita Langlois.
Après quelques années en retrait, Tommy Robinson opère un retour fracassant en 2024. Il est accusé d’avoir alimenté les pires émeutes qu’ait connues le Royaume-Uni depuis plus d’une décennie, après un triple meurtre d’enfants dans le nord de l’Angleterre. Sur les réseaux sociaux, des rumeurs présentant le suspect comme un demandeur d’asile musulman sont amplifiées par ses relais - avant que la presse ne révèle qu’il s’agissait en réalité d’un adolescent né à Cardiff, au Pays de Galles.
Depuis ces émeutes, le climat de tension ne s’est jamais vraiment apaisé. "La société britannique est déjà tellement crispée sur les questions d'immigration, que Tommy Robinson n‘a même plus eu besoin d’agir directement", constate Laëtita Langlois. "L’an dernier, il était directement à la manœuvre. Aujourd’hui, il peut simplement regarder les effets de ce qu’il a déclenché."
Derrière lui, une base fidèle continue de grossir. "Beaucoup de ses soutiens viennent de classes populaires désenchantées, confrontées à l’inflation et au chômage. Ils se reconnaissent dans son discours victimaire et trouvent en lui un exutoire à leur propre misère sociale", poursuit l’experte.
Samedi, il pourra compter sur un soutien venu d'outre-Manche : le président du parti d'extrême droite français Reconquête Éric Zemmour doit participer à la marche. En parallèle, une contre-manifestation antifasciste est annoncée dans les rues de Londres.