
Vladimir Poutine a multiplié les nominations de membres directs ou indirects de sa famille à des postes officiels en Russie. AP - Darko Vojinovic
Est-ce le nouveau "népoutisme" ? Ils s’appellent Viktor Khmarin, Anna Tsivileva, Vsevolod Kharchev ou encore Alina Kabaeva. Tous occupent des postes importants dans l’appareil d’État russe et, surtout, appartiennent à la famille étendue de Vladimir Poutine.
Le président russe a en effet réussi à placer au moins 24 membres directs ou indirects de sa famille à des postes à responsabilité, a comptabilisé Proekt (Projet), un site russe indépendant d’investigation, dans un article publié jeudi 6 novembre.
Alina Kabaeva, gymnaste et compagne supposée de Vladimir Poutine, est la présidente du directoire de NMG, l'un des principaux groupes de presse privés en Russie. Anna Tsivileva, fille de l'un des cousins de Vladimir Poutine, occupe le poste de vice-ministre de la Défense. Mikhaïl Poutine, oncle du président russe, est, quant à lui, le vice-PDG du géant Gazprom.
Et ce n'est qu’un début, Proekt promet une série de révélations sur le népotisme à la sauce Vladimir Poutine et celui d'autres hauts responsables russes dans les jours à venir.
Poutine dans les pas d'Eltsine ?
Une telle transformation de l’administration en affaire de famille serait sans précédent depuis près de 100 ans dans le pays, précise The Moscow Time, un quotidien russe anglophone indépendant. Autrement dit, Vladimir Poutine est accusé d’avoir repris là où les derniers tsars russes se sont arrêtés dans l'entreprise de privatisation du pouvoir.
D'autres dirigeants russes ou soviétiques ont également versé dans le népotisme. Par exemple, "Boris Eltsine [le prédécesseur de Vladimir Poutine, NDLR] était aussi connu pour avoir donné du pouvoir aux membres de son clan", affirme Matthew Blackburn, spécialiste de politique russe à l'Institut norvégien de relations internationales.
"Vers la fin du mandat de Boris Eltsine, quiconque voulait exercer une quelconque influence devait passer par ses filles. C’était une manière pour le président de se protéger", estime Jeff Hawn, spécialiste de la Russie à la London School of Economics.
Pour lui, "Vladimir Poutine n’a fait que continuer et accentuer cette tendance eltsinienne". Mais pas tout de suite. "Pendant un temps, le nouveau président russe a promu une Russie des technocrates censés être plus efficaces", précise Jeff Hawn.
Une affaire de confiance
Dès que la guerre en Ukraine a commencé, avec l’annexion de la Crimée en 2014, les vieux démons népotiques ont rapidement repris le dessus, insistent les experts interrogés par France 24. "Plus les tendances autocratiques du régime se sont manifestées, plus Vladimir Poutine a privilégié les liens du sang sur le reste", souligne Stephen Hall, spécialiste de la Russie à l’université de Bath.
"C'est avant tout une question de confiance et les membres de la famille n'ont a priori pas d’autres loyautés qu'envers le président, alors que parmi son autre cercle historique de confiance - les Siloviki [représentants de l’appareil sécuritaire, NDLR] -, Vladimir Poutine ne peut jamais être sûr", précise Stephen Hall.
Le conflit avec l’Ukraine, puis la guerre ouverte à partir de 2022, ont eu un autre effet favorisant ce phénomène. "Auparavant, la loyauté s'achetait, mais avec le temps, les ressources pour maintenir ce système de patronage ont commencé à diminuer et il devenait plus simple de promouvoir des membres de la famille", analyse Jeff Hawn.
En plus de dix ans, Vladimir Poutine a ainsi étendu sa toile familiale au sein de l’appareil d'État. Et pas seulement en plaçant sa famille proche. Ainsi, le mari de sa fille cadette, le chorégraphe, Igor Zelensky - qui n’a aucun lien de famille avec le président ukrainien - a décroché un poste pour superviser la construction d’un théâtre à Sébastopol. Viktor Khmarin, le fils d'un autre cousin de Vladimir Poutine, s’est retrouvé PDG de RusHydro, le géant russe des centrales électriques.
Le président russe n'est cependant pas en train de fabriquer le socle d’une nouvelle dynastie. "Ce n'est pas comparable au Kazakhstan où des clans familiaux dirigent des pans entiers de l’économie et où la fille de l’ancien président Noursoultan Nazarbaïev a essayé sans succès de succéder à son père qui lui avait préparé le terrain", souligne Matthew Blackburn.
Népotisme courant ou inédit ?
En fait, à l’exception de quelques postes comme vice-ministre de la Défense, ministre de l’Énergie ou encore vice-PDG de Gazprom, "la plupart des postes distribués sont de second ordre", affirme cet expert. Construire un théâtre à Sébastopol ne va pas changer la face de la Russie. Plusieurs cousins ou gendres travaillent dans des entreprises certes importantes, comme le géant de la pétrochimie Sibur, mais pas tout en haut de la hiérarchie.
Voilà pourquoi Matthew Blackburn estime qu'il ne faut pas non plus exagérer le phénomène. "Il s’agit certes de népotisme, mais il est assez proche de ce qui se passe à tous les étages de la société russe", résume ce politologue. Il est même surpris que Vladimir Poutine ait nommé autant d’enfants, cousins, oncles, ex-maîtresses et autres. "Il est connu pour être très secret sur sa famille et n'accepte aucune question à ce sujet. On aurait pu penser qu’il allait éviter ce genre de travers car il estime que cela peut ternir son image et c'est quelqu'un qui fait très attention à l'image qu’il projette", note Matthew Blackburn.
"Il n'a pas forcément besoin d’avoir ses proches aux postes les plus importants", nuance Stephen Hall. Pour lui, certaines nominations de "seconde ordre" sont très stratégiques : "C'est un moyen de s’assurer la loyauté de la personne qui est au-dessus dans la hiérarchie. Par exemple, le ministre de la Défense sera moins tenté de faire cavalier seul en sachant que sa vice-ministre appartient à la famille de Vladimir Poutine", résume Stephen Hall.
Pour Jeff Hawn, ce n’est pas non plus un hasard si les membres de sa famille qui occupent les postes les plus prestigieux travaillent dans des entreprises "ayant trait aux exportations de pétrole et aux banques, les secteurs les plus importants pour les caisses de l’État".
Vladimir Poutine devrait cependant faire attention à ne pas trop privilégier les liens du sang sur le reste. "Plus il va retirer de morceaux du gâteau public à d’autres factions influentes à Moscou, plus il risque de perdre leur soutien", note Stephen Hall. Cet expert rappelle que la révolution de Maïdan en 2014 en Ukraine "était en partie soutenue et financée par certains oligarques qui voulaient s’opposer à l’influence grandissante qu’exerçait le fils du président de l'époque Viktor Ianoukovitch".
