Le Premier ministre, appelant à "l'unité" face à la menace terroriste, a tenté vendredi de convaincre les députés d'inscrire les épineuses questions de l'état d'urgence et de la déchéance de nationalité dans la Constitution.
Pas une fois Manuel Valls n’a prononcé le mot "binational", mais il n’a eu de cesse d’évoquer "la menace". Le Premier ministre a donné de sa personne devant l’Assemblée nationale, vendredi 5 février, pour présenter le très polémique projet de loi du gouvernement visant à réviser la Constitution. But de la manœuvre : convaincre les députés de voter, dans un esprit "d’unité nationale cher aux Français", l’inscription dans la Constitution du principe de l’état d’urgence et de la déchéance de nationalité, progressivement décriée, tant dans les rangs de l’opposition que dans ceux de la majorité.
L'examen du projet de loi constitutionnel de "protection de la Nation" commence aujourd'hui à l'Assemblée.
"Nous faisons face à une menace globale, durable et hors de nos frontières... La menace est là, elle va durer", a martelé le chef du gouvernement lors d’un long préambule chargé de gravité. "La lutte contre la radicalisation est, et sera, l’affaire d’une génération", a poursuivi Manuel Valls, ajoutant le désormais classique "Nous sommes en guerre". Le Premier ministre a ensuite dressé un tableau sombre de la situation sécuritaire en France – les départs pour les filières "syro-irakiennes" n’ont jamais été aussi nombreux, de nombreux attentats ont été planifiés mais déjoués sur le territoire.
it"La révision constitutionnelle vise à adapter notre Constitution […] à la réalité de la menace", a affirmé Manuel Valls. L’inscription de l’état d’urgence dans la Constitution permettrait donc de "graver dans le marbre [son] caractère exceptionnel". L’état d’urgence serait, dans ce cadre, prorogé à quatre mois, renouvelables via un "projet de loi ouvert à des recours devant le Conseil constitutionnel".
"Principe d’égalité"
Sur la mesure controversée de la déchéance de nationalité, réécrite pour qu’il n’y ait aucune mention de la "binationalité", Manuel Valls l’assure : "Le principe de l’égalité de tous devant l’exigence républicaine [sera] inscrit au cœur de la Constitution". Le président et le Premier ministre cherchent depuis des semaines à résoudre la "quadrature du cercle" : répondre autant à la contestation par une bonne part de la gauche de sa mesure initiale réservée aux seuls binationaux nés Français, qu'aux desiderata de la droite et du centre.
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A la place de la formulation initiale que l'exécutif souhaitait inscrire dans la loi fondamentale – "une personne née française qui détient une autre nationalité peut être déchue de la nationalité française lorsqu'elle est condamnée pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation" – l'amendement proposé aux députés stipule qu'une "personne peut être déchue de la nationalité française ou des droits attachés à celle-ci lorsqu'elle est condamnée pour un crime ou un délit constituant une atteinte grave à la vie de la Nation".
itComme le souligne l'exposé des motifs de l'amendement présenté par le gouvernement, le projet de révision constitutionnelle ne comporte donc "plus aucune référence à la plurinationalité".
"Dans un souci du respect du principe d'égalité, le projet de loi ordinaire qui en découlera unifiera les régimes de déchéance applicables aux personnes condamnées, qu'elles soient naturalisées ou nées françaises", peut-on encore lire.
Devant les députés, Manuel Valls a souligné que "la sanction devait pouvoir être individualisée au maximum, c'est-à-dire ajustée au plus près de la dangerosité". "C'est pourquoi déchéance complète de la nationalité et déchéance des droits qui y sont attachés sont présentés dans une même disposition", a-t-il déclaré.
Il a également confirmé que, dans le projet de loi ordinaire, la déchéance de nationalité, aujourd'hui prononcée par décret, après avis conforme du Conseil d'État, "deviendra une peine complémentaire prononcée par le juge pénal". "Cette sanction sera ainsi prononcée plus rapidement, en une seule et même fois, contrairement à la procédure actuelle. Et, conformément au droit en vigueur, au principe d'individualisation des peines, il n'y aura aucune automaticité", a-t-il insisté, soulignant qu'il "s'agit d'une mesure lourde de sens, qui exige une réflexion au cas par cas".
Avec AFP