
"La pointe de l'iceberg" : c'est en ces termes qu'Elon Musk a décrit, dans un post le 28 janvier, l'une des dernières annonces de la Maison Blanche, censée démontrer la gabegie financière de l'administration Biden, qui a laissé la place à celle de Trump le 20 janvier.
Désormais en charge du Département de l'efficacité gouvernementale (DOGE en anglais) censée couper dans les dépenses fédérales, Elon Musk a relayé dans ce post les propos de la nouvelle porte-parole de la Maison Blanche Karoline Leavitt, qui avait dénoncé quelques heures auparavant le "gaspillage grotesque de l'argent des contribuables".
Lors d'un point presse, Karoline Leavitt a en effet déclaré que le DOGE et le Bureau de la gestion et du budget (OMB), qui assiste le président dans la gestion du budget américain, avaient "découvert que 50 millions de dollars [48 millions d’euros, NDLR] du contribuable allaient être dépensés pour financer l'achat de préservatifs à Gaza".
Cette déclaration était censée justifier le gel de 90 jours, par Donald Trump, des aides fédérales, annoncé le 27 janvier, et depuis suspendu par un tribunal fédéral. "C'est sur cela que cette pause [dans les dépenses] se focalise : être de bons gestionnaires de l'argent des contribuables", conclut Karoline Leavitt dans l'extrait d'une trentaine de secondes.

Une déclaration "farfelue"
Cette prise de parole, relayée par des dizaines de comptes pro-Trump, a été vue des dizaines de millions de fois sur X. Mais que sait-on de la réalité de ces affirmations ? La Maison Blanche n'a donné aucune preuve de telles prévisions de dépense par l'administration Biden.
Contactée par la rédaction des Observateurs, l'organisme en charge de l'aide humanitaire internationale américaine, l'US Aid, n'avait pas encore répondu à nos demandes au moment de la publication de cet article.
Interrogé par le Times of Israel, Andrew Miller, qui a été secrétaire adjoint aux affaires israélo-palestiniennes sous l'ancien président américain Joe Biden, a de son côté qualifié les déclarations de la Maison Blanche de "farfelues".
"Il est possible que 50 millions de dollars soient mis de côté pour la santé sexuelle ou quelque chose de ce genre, qui inclurait la gynécologie et de nombreux autres services, mais certainement pas les seuls préservatifs", a-t-il déclaré auprès du média israélien.
En 2023, 8,5 millions de dollars accordés en préservatifs dans le monde par les Etats-Unis, zéro à Gaza
S'il est difficile à ce jour de déterminer si une telle enveloppe était prévue par le président démocrate, les précédents rapports annuels de l’US Aid concernant l'expédition de contraceptifs et de préservatifs montrent que le chiffre avancé par la Maison Blanche est au moins certainement très exagéré, au vu des dépenses à ce sujet réalisées les années précédentes.
Le dernier rapport publié en avril 2024 pour l'année 2023 retrouvé par le média anglais The Guardian montre que l'enveloppe globale d'envois de préservatifs n'a même pas dépassé les 10 millions de dollars (9,6 millions d’euros) annuels depuis 2017, comme le détaille un graphique détaillé disponible dans ce document.

En 2023, le montant d'aides en préservatifs masculins et féminins n'a ainsi représenté que 8,5 millions de dollars (8,16 millions d’euros) à l'échelle mondiale sur l'enveloppe totale d'aide à la contraception qui s’élève à 60,8 millions de dollars. Sur ces 8,5 millions de dollars de préservatifs, aucun n'a été destiné au Moyen-Orient - et donc aucun à Gaza.
Pour comparaison, une enveloppe de 50 millions de dollars de préservatifs pour la seule bande de Gaza représenterait ainsi une augmentation de 488% de l'enveloppe dédiée aux préservatifs à l'échelle mondiale entre 2023 et 2025.
Selon le rapport, l'essentiel des livraisons a concerné le continent africain (78% des préservatifs masculins et 100% des préservatifs féminins), l'Asie (10% des préservatifs masculins) et l'Amérique centrale et latine (12% des préservatifs masculins). Ces livraisons ont été effectuées dans le cadre de politiques de prévention du VIH et de planning familial, qui ne concernent pas Gaza.
Contacté par la rédaction des Observateurs, l'agence des Nations Unies pour la santé sexuelle et reproductive (UNFPA) a indiqué que l'aide américaine à Gaza concernant la santé reproductive était essentiellement concentrée sur le financement de maternités et de produits d'hygiène menstruelle pour les femmes et les filles.
Des préservatifs utilisés par le Hamas qui ne proviennent pas de l'aide américaine
Dans la foulée de cette annonce de la Maison Blanche, certains comptes ont également déclaré que l'envoi de ces préservatifs à Gaza avait été prévu pour aider le Hamas, qui a déjà utilisé des préservatifs pour fabriquer des explosifs.
"Biden était sur le point de financer le terrorisme. L'administration Trump l'a arrêté", a prétendu le compte Libs of Tiktok, dans un post vu plus d'1,5 million de fois. L'un des principaux quotidiens gratuits israéliens, Israel Hayom, a également titré dans un article en anglais : "Le département d'État [américain] met fin au programme pour Gaza utilisé par le Hamas pour fabriquer des 'préservatifs explosifs'".

Depuis la fin des années 2010, plusieurs articles (comme cet article du Jerusalem Post en 2020 ou du Times of Israel en 2018) mentionnent bien l'utilisation par le mouvement islamiste de tels procédés, les préservatifs servant de ballons auxquels sont attachés des explosifs.
Néanmoins, ces préservatifs n'ont jamais été financés par l'aide humanitaire américaine. Le site de l'US Aid donne également accès à des rapports sur l'envoi de tels produits depuis 2007 et l'arrivée du Hamas au pouvoir. Et comme pour 2023, aucun de ces rapports ne mentionne l'envoi de préservatifs dans la bande de Gaza ou la Cisjordanie depuis cette date.