Depuis le renversement du régime de Bachar al-Assad par le groupe rebelle islamiste Hay’at Tahrir al-Cham (HTC, également connu sous le nom de HTS) le 8 décembre 2024, des messages d’inquiétudes quant au sort réservé aux minorités religieuses en Syrie, notamment des chrétiens, reviennent régulièrement sur les réseaux sociaux. Et ce, malgré les assurances répétées de HTC et de son dirigeant, Ahmed al-Charaa (connu auparavant sous le surnom d’Abu Mohammed al-Joulani). Dans ce climat tendu, des comptes pro-chrétiens ainsi que des canaux Telegram affiliés à l’Iran, un allié clé d’Assad, diffusent depuis plusieurs jours des informations erronées visant visiblement à exploiter ces craintes.
Le 15 janvier, des médias et des comptes sur les réseaux sociaux liés au Corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI) iranien ont relayé deux vidéos affirmant que des membres ou des sympathisants de HTC avaient pris d’assaut "l’université Al-Hawash, une université chrétienne privée en Syrie". Selon ces publications, les supposés sympathisants de HTC auraient scandé des "slogans jihadistes" et agité des "drapeaux talibans" pour provoquer et intimider la communauté chrétienne syrienne. Ces affirmations ont ensuite été reprises par plusieurs comptes pro-chrétiens et anti-HTS sur les réseaux sociaux.
Dans ces vidéos, un groupe d’environ 100 personnes peut être vu entrant sur le campus de l’université, scandant "Allah Akbar" tout en portant des drapeaux noirs et blancs arborant la profession de foi islamique, aux côtés du drapeau de l’opposition syrienne adopté par les nouveaux dirigeants du pays. L’un des organisateurs peut être entendu chantant en arabe au moyen d’un haut-parleur Les comptes pro-iraniens qualifient la chanson d’"hymne jihadiste".
La vérité derrière ces images
Il existe effectivement une institution appelée Université privée d’Al-Hawash, située dans le district d’Al-Hawash entre Homs et Tartous, une région majoritairement grecque-orthodoxe connue sous le nom de Wadi al-Nasara, ou "Vallée des Chrétiens". Cependant, l’université n’est pas une institution chrétienne – ni par la composition de son corps étudiant, ni par sa structure administrative. Fondée en 2008, elle accueille des étudiants de toutes confessions et propose des programmes dans des disciplines telles que la médecine, l’ingénierie et l’économie.
Des photos et vidéos publiées sur le site officiel de l’université et ses comptes sur les réseaux sociaux montrent que des étudiants musulmans font partie du corps étudiant. Par exemple, certaines étudiantes peuvent être identifiées comme musulmanes par leur voile islamique.
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Accepter Gérer mes choixLa direction et le conseil d’administration de l’université reflètent également cette diversité. Bien que le doyen soit chrétien, de nombreux autres membres du conseil sont musulmans, comme en témoignent leurs noms uniquement usités par la communauté musulmane du pays.
Une autre affirmation diffusée par ces comptes anti-HTC prétend que les individus qui auraient “envahi l’université” scandaient des slogans jihadistes. Cette affirmation est également inexacte.
L’expression “Allahu Akbar,” souvent associée au terrorisme dans les pays occidentaux en raison de son utilisation par des groupes extrémistes, a une connotation différente dans les pays musulmans. Elle signifie simplement “Dieu est grand” et est fréquemment utilisée dans divers contextes – religieux, festifs ou autres.
La chanson entendue dans les vidéos, décrite par les comptes pro-iraniens comme un “hymne jihadiste,” est en réalité un chant en hommage à l’Armée Syrienne Libre, un groupe d’opposition des premières années de la révolution syrienne. Les paroles incluent : “La bataille aujourd’hui, nous l’avons vécue, et nous avons préparé les canons,” narrant l’opposition de ce groupe au régime d’Assad, et non une quelconque proximité avec une mouvance jihadiste.
La même contextualisation s’applique au prétendu “drapeau taliban.” Le drapeau blanc portant la profession de foi islamique en noir est en réalité un drapeau historique lié à l’islam, antérieur à son adoption par certains groupes rigoristes comme les Taliban.
D’autres vidéos montrent des slogans contre les discriminations religieuses
Les recherches menées par notre rédaction ont permis de découvrir d’autres vidéos du même événement à l’université privée d’Al-Hawash. Elles montrent des participants dansant sur de la musique, lors de ce qui semble être un rassemblement festif.
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Accepter Gérer mes choixDans une vidéo, on entend le slogan contre les discriminations religieuses scandé par les étudiants : "Nous ne voulons pas de sectarisme".
Par ailleurs, le rassemblement met en avant des symboles d’unité religieuse. Une autre vidéo montre ainsi le drapeau de l’Église grecque-orthodoxe arboré aux côtés de drapeaux islamiques brandis par des étudiants.
“Le message de ce rassemblement était l’unité et l’égalité”
Un étudiant de l’université privée d’Al-Hawash ayant participé à l’événement, qui souhaite rester anonyme pour des raisons de sécurité, raconte :
Ces vidéos ne montrent pas une attaque ni quoi que ce soit de ce genre. C’était une célébration de la victoire de la Syrie, un événement de fin de semestre organisé à l’avance avec l’administration de l’université et ses agents de sécurité. Tous les participants étaient des étudiants de l’université, de diverses origines religieuses et ethniques. Il n’y avait aucune personne venant de l’extérieur de l’université impliquée.
Contrairement à ce que certains affirment, le message de ce rassemblement était l’unité et l'égalité, célébrées ensemble.
Le drapeau noir et blanc n’était qu’un symbole de l’islam, et il a été exposé aux côtés des drapeaux chrétiens et druzes. Il n’y a eu aucune attaque, aucune provocation, et aucune intention de cibler une religion ou une ethnie particulière.