
La fatwa du grand mufti d’Arabie saoudite contre les échecs a été fortement critiquée alors qu'un tournoi à La Mecque débute vendredi.
Une “œuvre de Satan” au même titre que l’alcool ou le pari, une “perte de temps” et une incitation à la “haine et à devenir l’ennemi“ de son prochain. Le grand mufti d’Arabie saoudite, le cheikh Abdel Aziz al-Cheikh a déclenché les foudres théologiques contre... les échecs, accusés de tous ces maux.
Cette haute autorité religieuse saoudienne a émis une fatwa contre ce jeu à l’occasion de son émission télévisée hebdomadaire. Cette condamnation a largement fait le tour des réseaux sociaux ces deux derniers jours et suscité des réactions outrées de Gary Kasparov, l’ancien champion du monde ou encore de la figure britannique du jeu d’échecs Nigel Short.
Tournoi à La Mecque
Pourtant, la fatwa a été édictée il y a plus d’un an et était passé inaperçue jusqu’à présent. Mais ce couperet religieux a pris une toute nouvelle dimension cette semaine alors qu’un important tournoi d’échecs débute à La Mecque vendredi 22 janvier. Un petit malin a dû sentir que le moment était propice pour ressortir ces déclarations du placard de YouTube, estime le quotidien britannique “The Guardian” dans un éditorial consacré à cette affaire.
La sentence du cheik Abdel Aziz al-Cheikh n’a pas empêché le tournoi à La Mecque de débuter comme prévu, s’est empressé de souligner sur Twitter Musa Bin Thaily, président de l’association saoudienne d’échecs. Il a rappelé que les fatwas du mufti n’ont pas valeur de loi en Arabie saoudite, mais que les autorités “peuvent s’en servir pour suspendre des événements”.
Le grand mufti d’Arabie saoudite n’est pas la première personnalité du monde musulman à s’en prendre aux échecs. Après la révolution iranienne, l’ayatollah Rouhollah Khomeini a interdit le jeu jusqu’en 1988. Le grand ayatollah irakien Ali al-Sistani a aussi fermement condamné, en 2002, la pratique des échecs. Pour cette figure de l’islam chiite, pousser du bois est interdit “même sur Internet”.
Un jeu interdit par l'Église catholique au Moyen Âge
Le responsable religieux saoudien ne fait que reprendre le flambeau de la lutte contre la “mauvaise influence” des 64 cases noires et blanches. Le jeu avait déjà été interdit en Iran en 1979, après la révolution islamique, pendant neuf ans. Le site islamweb rappelait, en 2004, que lorsque les échecs sont pratiqués à un niveau professionnel, ils sont assimilés à un pari car il y a enrichissement. Si le jeu “pousse” celui qui le pratique à ne pas “honorer ses obligations de bon musulman” comme la prière, il est mis dans le même sac que l’alcool et rabaissé au statut d’”œuvre de Satan”. Autre reproche fait aux échecs : “les érudits voient les échecs d’un mauvais œil car ils font perdre du temps” et peuvent faire glisser les musulmans sur une mauvaise pente.
Des interprétations “modernes” qui apparaissent bien plus strictes que la conception des échecs par les musulmans au Moyen-âge. Ce sont, en effet, eux qui ont introduit ce jeu en Europe lors de l’invasion de l’Espagne au Xe siècle. À l’époque, les autorités catholiques avaient tenté de s’opposer à sa pratique, car disait le pape Alexandre II, en 1061, le jeu “corrompt la raison et donne des impressions de puissance”.