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Le pouvoir irakien doit faire de Ramadi "le symbole de l’après-Daech"

En reprenant la ville de Ramadi à l’EI, l'armée irakienne a enregistré une victoire symbolique. Le pouvoir central se doit désormais de regagner la confiance de la population sunnite débarrassée de la tutelle forcée des jihadistes.

La prise de Ramadi, chef-lieu de la vaste province sunnite irakienne d'Al-Anbar, annoncée dimanche par l’armée irakienne, vient s’ajouter à une série d'importantes défaites essuyées par l’organisation de l’État islamique (EI) ces derniers mois en Syrie et en Irak.

Même si la totalité de la ville échappe encore au contrôle de l’armée, et que l’organisation jihadiste est encore loin d'être vaincue en Irak, la libération de Ramadi constitue une victoire hautement symbolique, estiment les experts. D’autant plus qu’elle a été obtenue par les seules forces fédérales irakiennes, soutenues par les raids aériens de la coalition internationale, sans l'implication de milices chiites qui luttent ailleurs sur le territoire irakien contre l'EI. Et ce, à la demande de Washington, afin d’éviter d'attiser les tensions confessionnelles avec les populations sunnites locales.

Toutefois, si la restauration des capacités des forces irakiennes est un point important pour l’avenir du pays, les experts, comme l’intellectuel et analyste politique Ghassan al-Attiyah, président de la Fondation Irak pour le développement et la démocratie, insistent sur l’étape suivante, à savoir la gouvernance de la ville.

"La lutte contre ce groupe ne passe pas seulement par les armes"

"Il faut certes souligner l’importance des victoires militaires comme celle de Ramadi, mais il faut garder à l’esprit qu’il ne s’agit que d’une étape d’un long chemin avant la victoire contre Daech [acronyme arabe de l’EI], explique-t-il à France 24. Il faut aussi, en plus de l’effort militaire, une stratégie politique et économique afin de réussir l’après-Daech, car la lutte contre ce groupe ne passe pas seulement par les armes, mais aussi par les idées".

Selon lui, "le plus grand défi des autorités nationales consiste à faire de Ramadi le symbole de l’après-Daech", à même de convaincre les populations arabes sunnites d’adhérer avec confiance à un projet de l’État irakien. "Car jusqu’ici, il n’existe aucune alternative crédible au projet de Daech, puisqu’il manque toujours les ingrédients qui peuvent unifier les Irakiens, regrette-t-il. Nous sommes, en effet, toujours en train de parler en tant que sunnites et chiites, ce qui laisse une marge de manœuvre aux jihadistes".

Depuis 2005, la politique sectaire menée par l’ancien Premier ministre autoritaire Nouri al-Maliki a contribué à marginaliser les tribus locales sunnites et à maintenir les leaders de cette communauté à l’écart du pouvoir. Autant d’humiliations infligées par le pouvoir chiite qui ont largement profité à l’implantation des jihadistes de l'EI.

"Plus les sunnites vont jouer un rôle important dans la gestion de Ramadi, plus grande et durable sera la victoire", a assuré de son côté à l’AFP Firas Abi Ali, analyste à l'institut IHS Jane's, basé à Londres et spécialisé dans les questions de défense. Selon lui, "un retour à une politique confessionnelle ouvrirait la voie à un retour de l'EI".

Des combattants de tribus sunnites déployées à Ramadi

Un enjeu dont les autorités irakiennes semblent avoir saisi l’importance. En effet, mardi, des combattants de tribus sunnites ont été déployés à Ramadi. "Cinq cents membres de tribus (...) sont arrivés dans le nord de Ramadi pour contrôler les zones libérées", a indiqué le général Ismaïl Mahalaoui, qui dirige les opérations dans la province d'Al-Anbar.

Selon leur leader, Tareq Youssef al-Assal, ces unités ont été entraînées et armées par le ministère irakien de la Défense avec le soutien de la coalition anti-EI menée par Washington.

En déployant ces combattants à Ramadi, le but implicite des autorités irakiennes est de créer un climat de confiance avec la population locale sunnite afin de la persuader des bonnes intentions du gouvernement de Bagdad, dominé par les chiites depuis la chute de Saddam Hussein et l’invasion américaine de 2003. "Outre la sécurisation du secteur, il va falloir, dès que cela sera possible, reconstruire Ramadi qui est détruite à plus de 80 % afin de permettre un retour rapide des habitants", préconise Ghassan al-Attiyah.

Et là aussi, le message semble avoir été compris par le pouvoir actuel incarné par le Premier ministre Haïdar al-Abadi. Ce dernier, qui a hissé mardi le drapeau irakien sur Ramadi, a ordonné ce mercredi la création d'une commission spéciale chargée de diriger la reconstruction de la ville. De son côté, le ministère irakien du Commerce a annoncé l'envoi prochain d'une aide d'urgence sur place.