Un lycéen du Val-de-Marne, rédacteur en chef de "La Mouette bâillonnée", le journal de son établissement, est l’objet de menaces de mort depuis fin janvier et la publication d'un numéro spécial "Charlie Hebdo".
Dans le lycée Marcelin-Berthelot de Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne), au lendemain des attentats de janvier contre "Charlie Hebdo", le journal de l’établissement, "La Mouette bâillonnée", avait publié un numéro spécial "Charlie Hebdo".
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Dans ce numéro titré "Je suis Charlie", des billets d'humeur, des poèmes, des dessins, mais aucune caricature de Mahomet. "C'était un hommage aux 17 victimes sans discrimination, pour les juifs, les journalistes, les policiers", a expliqué Louis, 17 ans, le rédacteur en chef, à l'AFP.
Son lycée a été directement touché par les événements puisqu'un élève a perdu son père dans l'attaque de "Charlie Hebdo", le correcteur Mustapha Ourrad, tandis qu'une autre a vu son oncle tomber sous les balles d'Amédy Coulibaly dans la prise d'otages de l'Hyper Cacher à Vincennes.
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Mais depuis la fin du mois de janvier et la publication de ce numéro spécial, l’adolescent est l’objet de menaces de mort répétées. Plusieurs enseignants ont décidé d'exercer leur droit de retrait, jeudi 21 mai, et se sont rassemblés avec de nombreux élèves à midi devant l'entrée du lycée pour manifester leur soutien à leur camarade, inscrit en classe de première.
Dès le lendemain de la diffusion, le jeune homme avait découvert dans la boîte aux lettres du journal une enveloppe contenant la une du fameux numéro sur laquelle avaient été agrafés une croix gammée, un cercueil et une lettre de menace de mort, signalant notamment : "Si c’est nous que tu cherches, tu vas nous trouver." Il avait alors déposé plainte au commissariat de Saint-Maur qui a ouvert une enquête.
Au total, sept menaces de mort lui ont été adressées depuis fin janvier, dont deux comportant une ou plusieurs balles. La dernière, qui remonte à début mai, avait "un goût d'ultimatum", selon lui. "Elle s'en prenait directement à moi en m'annonçant que j'étais un homme mort, qu'ils étaient prêts et que je pouvais faire mes adieux autour de moi", a raconté l’adolescent au site Francetvinfo.
"J’ai perdu patience"
Louis, "très affecté psychologiquement" selon sa maman qui ne "comprend pas l'acharnement" que subit son fils, confie ne "dormir que quelques heures par nuit", "ne plus sortir seul dans la rue" et se déplacer avec "deux bombes lacrymogènes" en permanence sur lui. Chaque soir, il est raccompagné chez lui à la sortie des cours par le proviseur ou son adjointe.
"Aujourd'hui, je suis surtout dégoûté par le manque de soutien de l'Éducation nationale. J'ai perdu un peu patience en constatant que le proviseur comme le rectorat ne faisaient rien pour ne surtout pas faire de vague", a-t-il encore confié au site de France télévision.
"Cela dure depuis des mois. Au début, nous n'avons rien dit pour laisser l'enquête se faire, mais rien de concret n'a été fait", déplore également Pascale Morel, professeure d'histoire, pour justifier le débrayage. Elle s'indigne du silence du ministère de l'Éducation nationale, "qui a pourtant fait de la lutte contre le harcèlement l'une de ses priorités".
"Dans cette affaire, une enquête judiciaire est en cours, la ministre en respecte donc les procédures", indique le ministère dans un communiqué. Najat Vallaud-Belkacem "ne peut que s'indigner, si les faits sont avérés, qu'un élève soit menacé de mort pour ce qu'il a écrit. L'école défend les valeurs de la République, et la liberté d'expression en fait partie", ajoute le texte.
Une délégation de six personnes, composée de professeurs et de parents d'élèves, doit être reçue vendredi 22 mai par le rectorat de Créteil. "La situation est préoccupante", confie Vincent Auber, directeur académique adjoint du département. "Nous avons été réactif dès la première lettre, nous avons vu et reçu l'élève à plusieurs reprises, mais nous ne souhaitions pas interférer dans l'enquête en cours, surtout qu'il s'agit d'un mineur", a-t-il poursuivi.
"Cette affaire est prise très au sérieux", indique à l'AFP une source judiciaire. "Plusieurs auditions d'enseignants et d'élèves ont déjà eu lieu et des analyses biologiques" sur les lettres sont en cours, précise cette source.
Reporters sans frontières a réagi jeudi 21 mai en réclamant dans un communiqué une "protection physique" pour Louis.
Avec AFP