Avec la nomination d’un Premier ministre saluée par la communauté internationale, l'Irak semble tourner une page. Candidat inattendu face à Maliki, Abadi hérite d’un pays menacé par l'EIIL. Décryptage avec Adel Bakawan, spécialiste de l’Irak.
Le sort en est jeté. Nouri al-Maliki, l’ancien Premier ministre irakien au pouvoir depuis huit ans, est lâché jusque dans son propre camp chiite. Après les États-Unis, l'Iran a en effet apporté, mardi 12août, son soutien à la nomination du nouveau chef de gouvernement Haïdar al-Abadi, déjà saluée par la communauté internationale.
Il a désormais 30 jours pour former son gouvernement et prendre en main les affaires d’un pays déchiré par de profondes tensions confessionnelles et en proie à une offensive des djihadistes ultra-radicaux de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL).
Pour comprendre ce qui se joue en Irak, France 24 a interrogé Adel Bakawan, chercheur et sociologue spécialiste de l’Irak et de la question kurde (Université d’Évry et EHESS).
France 24 : La page Nouri al-Maliki est-elle définitivement tournée en Irak ? Peut-il continuer à s’accrocher au pouvoir?
Adel Bakawan : Rejeté par Téhéran, Washington, les sunnites, les kurdes et les chiites d’Irak, Nouri al-Maliki n’a plus aucune chance de récupérer son poste de Premier ministre. Au final, il aura échoué à tous les niveaux : économiquement, militairement et politiquement. Pour le constater, il suffit de jeter un coup d’œil sur la situation de l’Irak, qui est devenu un enfer et le pays le plus dangereux au monde. Pendant les huit années qu’il a passées au pouvoir, il n’a pas réussi à proposer un projet politique fédérateur. Au contraire, sa politique d’exclusion a réussi à diviser le pays en plusieurs morceaux. Quant à savoir s’il peut s’accrocher au pouvoir, cette démarche serait illogique, même s’il a encore des moyens militaires et financiers pour le faire. Et il sait mieux que quiconque que le choix du Premier ministre ne se fait pas à Bagdad mais à l’étranger, c’est-à-dire à Washington et à Téhéran. Rien ne peut fonctionner en Irak sans la bénédiction de ces deux puissances. Aucun candidat ne peut obtenir gain de cause sans leur approbation. Après avoir été lâché par les Iraniens aujourd’hui, et depuis plus longtemps par les Américains, il n’a plus le choix. Il ne lui reste plus qu’à obtenir des garanties, qu’il ne sera pas traduit en justice après avoir cédé le pouvoir.
Le nouveau Premier ministre irakien Haïdar al-Abadi est-il l’homme de la situation pour faire face aux défis auxquels est confrontée l’Irak ?
Il n’y a aucune garantie sur cette question, puisque la situation dans laquelle se trouve le pays ne permet pas aux Irakiens de prendre assez de recul pour juger si Abadi est l’homme qu’il leur faut. Sachant que ce qui aveugle tout le monde est cette idée commune du "tout sauf Maliki". Abadi, qui était loin sur la liste des successeurs potentiels de Maliki, est finalement le faible autour duquel les forts se sont regroupés. Faible dans le sens où il ne jouit pas d’une base populaire, ni d’un capital financier et social important, pas plus que son parcours politique ne lui confère une aura particulière. Issu de la classe moyenne, il ne fait pas partie des grandes familles chiites. Il a été choisi parce que les acteurs forts de la communauté chiite ne sont pas parvenus à se départager. En s’accordant sur le nom d’un candidat faible, ils espèrent peser significativement sur sa politique et ses décisions. D’autant plus qu’Abadi est perçu comme un homme consensuel, qui a de bonnes relations à la fois avec les Kurdes, les sunnites et les chiites, sur le plan interne, mais aussi avec les États-Unis et l’Iran. Ce qui était exactement le cas de Maliki avant son arrivée au pouvoir.
Quelles doivent être les priorités du nouveau Premier ministre et du futur gouvernement irakien ?
Il faut que l’ensemble des responsables s’entendent sur un projet politique national, ce qui n’a jamais existé en Irak. Cela suppose l’intégration et l’adhésion de tous les acteurs des trois espaces chiite, kurde et sunnite. Mais vu la situation actuelle, à savoir l’installation d’un califat sanguinaire qui menace à la fois Bagdad et Erbil, la priorité est de sortir du chaos et de cette violence radicale. Malheureusement, nous n’avons aucun indicateur sérieux qui peut nous conduire vers l’espoir d’une sortie du terrorisme. Pour le moment, Washington, Téhéran et Bagdad mettent l’accent sur l’urgence politique. La volonté d’éradiquer le terrorisme en constituant un front international face à un front de radicaux sans pitié n’existe pas. En optant pour une opération limitée, constituée de frappes ciblées et localisées contre les djihadistes, près des territoires kurdes, le président américain le démontre, puisqu’il sous-entend que leur califat, établi sur le territoire sunnite, n’est pas une cible.