
Dans la nuit du 31 mars au 1er avril, une boule de feu descend en flèche depuis le ciel de la localité de Tinzawaten. Située à la frontière entre l’Algérie et le Mali, cette ville est fréquemment survolée par les drones de l’armée malienne en lutte contre les groupes séparatistes touareg.
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Accepter Gérer mes choixAu sol, les combattants du groupe séparatiste du FLA (Front de libération de l’Azawad), arrivent sur le lieu du crash 30 minutes après l’incident et prennent les premières images des débris.
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Accepter Gérer mes choixSur le réseau social X, certains comptes non officiels soutenant le FLA vont jusqu’à affirmer que les indépendantistes de l’Azawad ont abattu le drone.
Selon les indépendantistes, il s’agit d’un drone de fabrication turque de type Akinci, un modèle entré en service dans les Forces armées maliennes depuis novembre 2024.
Quelques heures après les premières images prises de nuit, deux autres vidéos montrant le lieu du crash de jour sont publiées en début d'après- midi. Ces images montrent les débris du fuselage du drone.
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Accepter Gérer mes choixUne de ces vidéos permet d’identifier le lieu où ont atterris les débris du drone, en le comparant avec le relief de la région sur Google earth.

Dans un communiqué diffusé en direct sur le réseau social X, le cadre du FLA Attaye Ag Mohamed affirme que le drone se serait écrasé dans un rayon d’au moins 20 kilomètres de la frontière avec l’Algérie. Il est cependant impossible de vérifier cette affirmation de façon indépendante.
“Le drone Akinci est très vulnérable aux missiles anti-aériens ”
Wim Zwijnenburg, enquêteur pour l’ONG Pax for Peace et spécialiste des drones :
Ce drone opère souvent à basse altitude, en raison des conditions météo qui peuvent être mauvaises. Ce type de drone peut par exemple patrouiller à une altitude de seulement 5 km au-dessus du sol. L’Akinci ne dispose pas de contre mesures pour se battre dans les airs, et encore moins pour faire face à un avion de chasse. Cela le rend donc très vulnérable aux missiles anti-aériens. On a eu des précédents avec les Houthis au Yémen qui ont abattu ce modèle de drone ou encore les combattants kurdes du PKK qui ont pu l’abattre à l’aide de missiles de fabrication iranienne.
Des bombes planantes récupérée par les séparatistes
Les éléments récupérés sur les lieux du crash permettent d’en savoir plus sur les pièces qui composent ce drone de haute technologie, et confirment sans équivoque qu’il s’agit d’une pièce fabriquée en Turquie par la société Baykar.
Plus évolué que son petit frère TB2, le drone Akinci appartient à la catégorie des drones HALE - Haute altitude à longue endurance [HALE].
Il est ainsi capable de rester en vol pendant 24 heures et dispose d’un rayon d’action de 600 km. En comparaison avec le TB2, il peut emporter six bombes de type MAM-T, là où le TB2 n’en emportait que trois.
Wim Zwijnenburg explique le fonctionnement de cette bombe qui a été décrit à tort comme un missile :
La bombe MAM-T est une bombe dite “planante”. Elle dispose donc de petites ailes qui se déploient quand elle est lâchée depuis le drone. Ce mécanisme va lui permettre de voler jusqu'à sa cible grâce à un guidage GPS et parfois un guidage par ondes. Il s’agit donc d’une bombe classique capable de manœuvrer en vol.

Ces deux bombes de types MAM-T ont été récupérées par les séparatistes de l’Azawad. Fabriquées par la société turque Roketsan, ces munitions sont conçues pour être guidées par GPS.
La première preuve visuelle de l’utilisation en opération de la bombe MAM-L au Mali
Un autre type de bombe, nommée MAM-L, a également été récupéré par les hommes du FLA. Sur leurs images on reconnaît ce modèle aux quatre vis présentes sur les ailerons de la bombe et aux fixations d’emport de couleur cuivre. On les retrouve sur d’autres images prises en Ukraine et publiées par la base de données de l’ONG Open Source munitions portal.

Les séparatistes n’ont récupéré que la partie supérieure de la bombe MAM-L, comme l'attestent ces images qu’ils ont publiées.

L’image ci-dessus montre un autre trait caractéristique de cette munition : la bande jaune, qui est propre aux munitions de l’Otan, dont la Turquie est membre. Ce code couleur marque la présence d'explosifs au sein de la munition.
Selon le groupe d'enquêteurs spécialisés sur le Sahel Wamaps, cette munition aurait été utilisée par l'armée malienne pour commettre le massacre d’Amasrakad le 16 mars 2024. Au total, 13 civils ont trouvé la mort dans ce bombardement effectué par un drone TB2.

Des numéros de série turcs sur les composants
D’autres pièces récupérées par les indépendantistes du nord-Mali donnent des informations.
Parmi elles, un dispositif de largage de bombes fixé sur le drone. L’origine de cette pièce peut être identifiée à partir d’une suite de chiffre apposée sur le composant : le code CAGE, (Commercial and Government Entity Code). Ce chiffre, présent sur chaque munition de l'OTAN, est spécifique à chaque fabricant autorisé à produire des munitions conformes aux standards de l'alliance.

Le numéro CAGE présent sur le kit de largage des bombes correspond au constructeur Baykar. Son libellé, 9710, envoie à la zone industrielle d'İkitelli à Istanbul, où se trouve les locaux de l’entreprise.

Qui a abattu le drone ? Des hypothèses et des communiqués flous
Au matin du 1er avril, il y a trois hypothèses concernant l’auteur du tir. La première thèse induirait que les troupes de FLA se soient dotées de systèmes de défense anti-aérien portatif - ou de missiles sol-air. Elle pourrait être plausible : des combattants kurdes en Irak (le HPG) ont abattu en mars 2025 un drone Akinci dans la région de Quandil à l’aide de ce type d’équipements.
La deuxième hypothèse est celle d’une intervention du voisin algérien qui aurait mené une frappe sur le drone. La troisième est celle d’une avarie.
Dès le 1er avril, les différents acteurs de la région publient des communiqués. Mais toutes ces déclarations restent vagues quant au déroulé précis des évènements.
Si des comptes X non officiels et favorables aux séparatistes de l’Azawad affirment que le FLA a abattu le drone, le communiqué officiel du groupe reste flou. Le FLA affirme que le drone “ a été abattu”, tout en se gardant de préciser le nom du responsable de la frappe. Contacté par la rédaction des Observateurs au matin du 1er avril 2025, un cadre du FLA affirme que "pour des raisons de sécurité, il est impossible de communiquer sur la façon dont le drone a été abattu”.
Les Forces armées maliennes publient elles un communiqué le même jour à 19 heures. La déclaration parle d’un “avion sans pilote appartenant aux FAMA” qui se serait “écrasé”. Il n’est donc pas fait mention d’une frappe d’un adversaire potentiel.

À la fin de la journée, le ministère de la Défense algérien publie lui aussi un communiqué revendiquant une frappe sur le drone Akinci de l’armée malienne. Selon la déclaration, le drone aurait pénétré de deux kilomètres dans l’espace aérien algérien.

Selon la déclaration algérienne “une unité de la Défense aérienne [...] a pu, dans la nuit du 1er avril 2025, détecter et abattre un drone de reconnaissance armé près de la ville frontalière de Tinzawaten”.
Ces informations concordent avec un témoignage recueilli par le journaliste de France 24 Wassim Nasr. La source de notre collègue aurait évoqué plusieurs avions survolant la zone en même temps que le drone.
De son côté, le magazine Jeune Afrique écrit : “L’appareil a été touché à proximité de la frontière, dans la zone d’Achibrich, où est installée une batterie de défense aérienne algérienne. Selon certaines sources, la frappe aurait eu lieu alors que le drone malien aurait débordé du côté algérien de la frontière sur plusieurs centaines de mètres”.
“L’Algérie a pu l’abattre sans risquer une crise diplomatique trop importante”
Pour Wim Zwijnenburg, l’hypothèse d’un tir algérien est crédible :
Quand on regarde la vidéo publiée en ligne, on voit que le drone descend du ciel vers le sol de façon droite et verticale. Une fois touché, l’engin ne semble pas dériver avant de s’écraser sur le territoire malien. La vidéo montre un drone qui s’écrase directement après avoir été touché.
Il se pourrait que l’Akinci ait été touché au-dessus du sol malien. Mais cela peut suffire pour que les Algériens perçoivent l’engin comme une menace du fait de sa proximité avec la frontière.
On se rappelle d’incidents similaires où l’Iran a abattu un drone américain car il volait trop près de sa frontière. Il y a aussi une fois où les États-Unis ont abattu un drone turc car il était trop proche d’une de leur base militaire.
De plus, c'est un drone, donc il n’y a pas de pilote, l’Algérie a donc pû l’abattre sans risquer une crise diplomatique trop importante.
Il n’est cependant pas possible de confirmer de façon indépendante si le drone a été touché au-dessus du territoire algérien.