
Un policier kényan a été tué par un gang dans le département de l’Artibonite, en Haïti, le 25 mars. Il appartenait à la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS), une force de sécurité menée par le Kenya pour lutter contre les groupes armés en Haïti. C’est le deuxième Kényan à trouver la mort sur place depuis le déploiement de la MMAS en juin 2024. Neuf mois après, les Haïtiens déplorent son manque de résultats, alors que les gangs ne cessent de gagner du terrain.
Le 25 mars, des membres d’un gang ont lancé une attaque contre la police haïtienne et la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS), dans le département de l’Artibonite, situé au nord de Port-au-Prince.
Selon un communiqué publié par la MMAS - une force de sécurité menée par le Kenya - un véhicule blindé de la police haïtienne “en patrouille sur l’axe principal Carrefour Paye-Savien, dans la zone de Pont-Sondé [...], s’est enlisé dans un fossé, soupçonné d’avoir été creusé intentionnellement par des gangs”. Deux véhicules blindés de la MMAS ont alors été envoyés en renfort : l’un “s’est également enlisé, tandis que l’autre a subi une panne mécanique”. C’est à ce moment-là que le gang aurait lancé l’attaque.
Un policier kényan, Benedict Kabiru, a été tué dans cette attaque. C’est le deuxième Kényan de la MMAS à trouver la mort en l’espace d’un mois, après Samuel Tompoi Kaetuai, tué le 23 février, également dans l’Artibonite. Fin décembre, un blindé de la MMAS avait déjà été incendié par les gangs dans ce département.
Les habitants de l’Artibonite, premières victimes de la violence des gangs
Les forces de sécurité ne sont toutefois pas les seules à faire les frais de la violence des gangs dans l’Artibonite. Comme souvent, les civils sont les premières victimes. Ces derniers mois, deux massacres majeurs ont ainsi été recensés dans ce département : le 3 octobre 2024, environ 115 personnes ont été tuées à Pont-Sondé, et les 10-11 décembre 2024, environ 70 personnes ont également été massacrées à Petite-Rivière-de-l'Artibonite.
“C'est l’enfer sur terre que nous vivons”
Un habitant de l’Artibonite, que nous avons choisi d’anonymiser pour des raisons de sécurité, témoigne :
L’Artibonite est un département agricole, donc les attaques des gangs ont des conséquences directes sur certaines infrastructures agricoles. De plus, les paysans ne peuvent pas aller cultiver leurs terres, parce que les gangs les kidnappent et demandent des rançons pour les libérer. Or, ils n'ont pas d'autres sources de revenus. Donc c'est la faim et le chômage. De plus, les axes routiers sont quasiment bloqués par les gangs, et les ONG - qui avaient l'habitude d'apporter de l’aide - ne viennent plus, car elles ont peur des attaques et des enlèvements commis par les gangs.
La situation sécuritaire dans l’Artibonite se dégrade. Cette situation résulte du manque volonté de l'État d'en finir avec les gangs dans le pays. On a l’impression d’être livrés à nous-mêmes. On lutte pour survivre. C'est l’enfer sur terre que nous vivons.
Le principal groupe armé dans l’Artibonite s’appelle “Gran Grif”. Son chef, Luckson Elan, est accusé par l’ONU d’assassinats, de viols, de recrutement d’enfants, d’enlèvements, mais aussi de trafic d’armes et de munitions, entre autres.
La MMAS, décriée pour son manque d’efficacité
Alors que les gangs semblent gagner du terrain dans l’Artibonite, la MMAS est critiquée pour son manque de résultats. Les Haïtiens avec qui nous avons échangé sont unanimes : neuf mois après l’arrivée des premiers policiers de la Mission, ils ne voient aucune amélioration sur le terrain, au contraire. La plupart déplorent également la mort de Kényans dans leur pays. “Je présente mes condoléances à leurs parents et amis. Ils ont disparu dans des combats dont ils ignorent, probablement, les tenants et aboutissants”, regrette un habitant de Port-au-Prince.
“Aujourd'hui, nous sommes dans une situation beaucoup plus compliquée qu’avant la venue de la Mission”
Rosy Auguste Ducéna travaille pour le Réseau national de défense des droits humains (RNDDH), une ONG haïtienne basée à Port-au-Prince :
Il y a neuf mois, la communauté internationale et les autorités haïtiennes nous avaient présenté la Mission comme étant la solution miracle au problème de l'insécurité. Mais elle ne donne pas de résultats.
C'est pourquoi ça nous fait encore plus mal que nous soyons désormais en train de compter des Kényans qui meurent au sein de cette Mission, alors qu’on faisait déjà le décompte de nos policiers, militaires et concitoyens tués.
Aujourd'hui, nous sommes dans une situation beaucoup plus compliquée qu’avant la venue de la Mission. Les bandits armés se sont renforcés et fédérés. Donc ça veut dire que ça devient plus compliqué sur le terrain aussi. Comme les agents de la MMAS viennent d'ailleurs, ils n'ont pas cette connaissance du terrain, donc c'est une mission qui risque de prendre du temps, ne serait-ce que pour avoir ses marques sur le terrain.
Selon le RNDDH, le peu de résultats de la MMAS est également dû au manque de moyens financiers. Jusqu’à présent, 110 millions de dollars ont été recueillis pour ses opérations, un montant bien en deçà de ce qui avait été promis.
Par ailleurs, le nombre de policiers déployés sur le terrain est lui aussi inférieur à ce qui était prévu, comme l’indique Rosy Auguste Ducéna :
Aujourd'hui, ils sont un peu plus de 1000. Mais ce qui avait été prévu, c'était un envoi de 2500 policiers.
De plus, lorsque la communauté internationale et les autorités haïtiennes étaient en train de vendre la MMAS comme étant une solution miracle, les bandits ont pris peur, donc ils se sont préparés à affronter les agents de la MMAS.
Selon James Boyard, consultant en justice et sécurité, un autre facteur pouvant expliquer le manque de résultats de la MMAS est l’absence de stratégie opérationnelle commune avec les forces de sécurité haïtiennes, “afin d'engager des opérations massives contre les gangs armés et de récupérer les territoires perdus”.
Certains craignent désormais que Port-au-Prince, dans le département de l'Ouest, tombe entièrement sous le contrôle des gangs, et que ceux-ci continuent à gagner du terrain dans les départements voisins de l’Artibonite et du Centre.
Selon l’ONU, plus de 5600 personnes ont été tuées en 2024 en raison de la violence des gangs en Haïti : c’est un millier de plus qu’en 2023. Toujours d’après l’ONU, plus d’un million de personnes sont désormais déplacées à l’intérieur du pays, soit trois fois plus qu’un an plus tôt.