
Le 7 avril, un peu avant 1h30 du matin, de premiers messages sur des chaînes Telegram palestiniennes font état d'une attaque israélienne contre une tente à Khan Younès, à quelques pas de l'hôpital Nasser.
Au même moment, des journalistes et civils sur place diffusent la scène sur Instagram. Parmi eux se trouve le journaliste pour Al-Jazira Ramy Toima, situé à quelques mètres de la frappe : "J'étais sur le point de me reposer dans ma petite tente qui se trouvait à 15 mètres de l'attaque, quand il y a eu une très forte explosion", raconte-t-il à la rédaction des Observateurs. "Je suis sorti rapidement et je me suis rendu directement dans la zone ciblée et j'ai essayé d'aider mes collègues qui étaient blessés".
La tente ciblée est une tente hébergeant des journalistes. Sur les vidéos de la scène visionnées et vérifiées par la rédaction des Observateurs, on peut voir l'abri en flammes. A l'intérieur, on distingue une victime prise dans les flammes : il s'agit d'Ahmed Mansour, journaliste pour le média palestinien Palestine Today TV.

Les images, qui ont beaucoup circulé en ligne, le montrent assis sur une chaise le corps brûlé par l'incendie. Encore vivant malgré le feu, il semble bouger lentement certains membres dans certaines vidéos.
Finalement secouru mais gravement blessé, Ahmed Mansour succombe à ses blessures un jour plus tard, le 8 avril, comme annoncé par le média pour lequel il travaillait.
Une tente de journalistes appartenant à un média palestinien
Un autre journaliste, Hilmi Al-Faqaawi, a été tué directement par la frappe israélienne. Lui aussi travaillait pour Palestine Today TV, où il était responsable des réseaux sociaux
Palestine Today TV, basé à Beyrouth, est un organe de presse proche du Jihad islamique, le mouvement armé islamiste à Gaza qui a participé, avec le Hamas, aux attaques du 7 octobre 2023 en Israël.
L'attaque a également tué un civil - portant à trois le nombre de morts - et blessé huit autres journalistes, qui travaillaient pour la plupart pour des médias internationaux, comme l'a listé le Committee to Protect Journalists (CPJ) sur son site.
Parmi eux se trouvait Ahmed Al-Agha, contributeur pour la chaîne BBC Arabic et qui se trouvait dans une tente située à 50 mètres de la frappe, ou encore Abdullah Al-Attar, photographe indépendant pour l'agence de presse turque Anadolu.
Abed Shaat, photographe indépendant qui collabore avec l'Agence France-Presse, s'est lui blessé après avoir essayé de sortir des flammes Ahmed Mansour, comme le montrent des vidéos de la scène.
"J'ai essayé de le tirer par la jambe, mais son pantalon s'est déchiré dans ma main", a-t-il expliqué à la chaîne Al-Jazira sur les lieux de l'attaque. "Le feu a pris tellement d'ampleur que je suis tombé en arrière, je n'en pouvais plus", a déclaré Abed Shaat, qui a dit avoir perdu connaissance et avoir été transporté à l'hôpital Nasser.
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Accepter Gérer mes choixPlusieurs témoins ont assuré que la tente était clairement identifiée comme étant une tente abritant des journalistes. Interrogé par la rédaction des Observateurs, Ramy Toima affirme qu'il était écrit "Presse" sur la tente et qu'elle n'était occupée que par des journalistes.
La rédaction des Observateurs n'a pas pu confirmer en images cette information, mais les organisations de défense de journalistes confirment le fait que la tente était reconnue comme un lieu de travail pour la presse.
"C'était une tente connue comme abritant des journalistes", abonde Jonathan Dagher, responsable du bureau Moyen-Orient de Reporters sans frontières. "À Gaza, de nombreuses rédactions ont été détruites et les journalistes travaillent désormais près des hôpitaux", où la connexion internet est encore disponible.
Dans un communiqué publié le jour de la frappe, le Committee to Protect Journalists (CPJ) a aussi dénoncé une "attaque israélienne ciblée" contre une "tente de journalistes". Interrogée par la rédaction des Observateurs, le Committee to Protect Journalists a indiqué que l'abri appartenait à Palestine Today TV.
Une frappe confirmée par l'armée israélienne elle-même
Quelques heures après la frappe, l'armée israélienne a confirmé avoir visé cette tente, indiquant avoir ciblé le "terroriste du Hamas Hassan [...] Aslih, [...] qui opère sous l'apparence d'un journaliste et possède une société de presse".
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Accepter Gérer mes choixQui est Hassan Aslih - aussi appelé Eslaiah ? Ce journaliste gazaoui, qui collaborait avec plusieurs médias internationaux dont CNN et Associated Press avant le 7 octobre 2023, avait été mis en cause en novembre 2023 par Israël et l'organisation HonestReporting, qui critique les biais anti-israéliens dans les médias, pour avoir été en territoire israélien et près des kibboutz lors de l'attaque du Hamas le 7 octobre 2023.
Blessé dans la frappe comme le montrent plusieurs vidéos, Hassan Eslaiah, qui continue de couvrir sur ses réseaux sociaux la situation à Gaza via le média Alam24 dont il est directeur, n'a pas été inscrit par le CPJ dans la liste des journalistes blessés.
"Le CPJ ne le considère pas comme un journaliste", a indiqué l'organisation auprès de la rédaction des Observateurs.
Interrogé par Libération en novembre 2023, Hassan Eslaiah avait expliqué comment il était entré sur le territoire israélien et avait affirmé n'avoir pas été au courant au préalable de l'attaque du Hamas, ce dont l'accusaient ses détracteurs.
Dans une réponse au média français, CNN avait pour sa part indiqué avoir suspendu ses liens avec lui tout en déclarant n'avoir "à ce jour aucune raison de douter de l’exactitude journalistique du travail qu’il a effectué pour nous".
Quelques jours avant la frappe contre la tente de journalistes, le contributeur de la BBC Ahmed Al-Agha, blessé dans l'attaque, avait également été épinglé par le média britannique The Telegraph pour avoir fait plusieurs déclarations sur ses réseaux sociaux contre Israël et les Juifs - il avait notamment écrit que les Juifs étaient "des démons".
La chaîne publique britannique avait précisé au Telegraph qu'Al-Agha n'était pas employé par la BBC et que ses opinions n'avaient "pas été exprimées sur une plateforme de la BBC", tout en indiquant être "absolument claire sur le fait que l’antisémitisme n’a pas sa place sur [ses] services".
175 journalistes et professionnels des médias tués depuis octobre 2023
Au lendemain de la frappe, plusieurs journalistes se sont rassemblés pour dénoncer cette nouvelle attaque israélienne ciblée contre les journalistes.
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Accepter Gérer mes choixCette frappe ciblée rappelle également l'attaque contre Hossam Shabat, journaliste palestinien pour le média Al-Jazira tué par un drone israélien le 25 mars. Visé alors qu'il était clairement identifié comme journaliste comme le montraient des images de l'AFP, Hossam Shabat avait été accusé par Israël d'être un membre du Hamas. Le journaliste avait démenti pour sa part ces accusations.
"Ces accusations sont généralement fondées sur des preuves insuffisantes et qui ne donnent de toute manière pas un permis de tuer ni une justification pour ces crimes", indique de son côté Jonathan Dagher de RSF.
Ce n'est pas la première fois que l'armée israélienne attaque une tente abritant des journalistes. En avril 2024, huit journalistes avaient été blessés par une frappe de l'armée israélienne contre une tente mise à disposition par l'agence de presse turque Anadolu, située à proximité de l'hôpital Al-Aqsa à Deir al-Balah.
À l'époque, le CPJ avait déjà dénoncé cette attaque et déploré que les hôpitaux, devenus des "lieux de reportage et de regroupement" pour les journalistes à cause de la "destruction par Israël des bureaux de médias", ne soient plus des lieux protégés. "Les agressions contre les hôpitaux font que la presse a encore moins d'endroits où travailler en toute sécurité", déclarait l’organisation le 11 avril 2024.
Dès le début de la guerre, l'armée israélienne avait également ciblé plusieurs infrastructures de presse à Gaza, dont les bureaux de l'AFP, comme l'a documenté le collectif Forbidden Stories en collaboration avec plusieurs médias dont Le Monde.
Selon le CPJ, 175 journalistes et professionnels des médias ont été tués depuis le début de la guerre à Gaza.