
L’émotion n’a pas manqué lors des cérémonies du 70e anniversaire du Débarquement en Normandie vendredi. Notre envoyée spéciale raconte cette journée très particulière pour les derniers vétérans du "D-Day" en ces lieux si chargés d'histoire.
En 1994, je n'avais que 10 ans pour les commémorations du 50e anniversaire du Débarquement en Normandie. Je m'étais pourtant déjà passionnée pour cet événement. Dans ma chambre, dans une grande caisse, j'avais entassé des coupures de journaux, des hors-série et quelques livres que l'on m'avait offerts. Mais ce dont j'étais le plus fière, c'était d'avoir pu trouver un “cricket du 'D-Day'” dont le clic clac permettait aux parachutistes américains de communiquer dans le bocage normand. Je le sortais de sa petite boîte en pensant à tous ses soldats.
Vingt ans plus tard, cet intérêt pour la Seconde Guerre mondiale ne m'a jamais quitté. Ma petite caisse s'est transformée en plusieurs grandes bibliothèques. Mon travail me permet même de vivre cette passion. Pour les 70 ans du débarquement, je peux enfin participer en direct aux commémorations. En ce 6 juin 2014, direction Caen et les grands de ce monde réunis dans l'ouest de la France. La première cérémonie a lieu dans le cimetière franco-américain de Colleville-sur-Mer. Un lieu chargé d'émotion, juste au-dessus d'Omaha “la sanglante”. Difficile de rester insensible lorsqu'on pénètre sur ce petit bout d'Amérique où demeurent les 9 387 tombes de soldats tués en Normandie. Des croix blanches et des étoiles de David impeccablement alignées comme pour mieux souligner leur immense sacrifice.
“La France n'oubliera pas”
En ce jour si particulier, des milliers de personnes sont venues leur rendre hommage : des figures politiques de la région, des membres du Congrès américain, des soldats de l'armée américaine, des familles d'anciens combattants et bien sûr leurs camarades encore vivants. Sous un soleil de plomb, ils sont bien là, bardés de médailles, installés à la tribune officielle. Au micro, les présidents François Hollande et Barack Obama n'ont pas assez de mots pour rendre compte du courage de ces hommes. Le 6 juin 1944, ils ont bravé les balles et surtout la peur pour se lancer à l'assaut des positions allemandes. Une mission en enfer pour libérer une terre qu'ils ne connaissaient même pas. “La France n'oubliera jamais” ceux qui furent “nos libérateurs”, insiste le chef d'État Français. Son homologue américain, Barack Obama, conseille à son tour de penser à ces hommes “quand le monde vous rend cynique”. Derrière eux, les vétérans semblent surtout avoir une pensée pour leurs “copains”, fauchés il y a 70 ans et dont les tombes s'alignent à perte de vue.
Alors que la cérémonie franco-américaine s'achève, je m'approche timidement de mes héros d'enfance. Avec un grand sourire, Jack Schlegel accepte de me parler. “Je suis de New York !”, me lance-t-il. À 91 ans, le vieil homme ne cache pas sa joie de participer à ces commémorations. Il y a 70 ans, lui aussi avait frôlé la mort. “Je faisais partie de la 82e Airborne. Je suis tombé près de Sainte-Mère-Église dans une ferme. J'ai dit que j'étais un parachutiste en ouvrant leur porte”, raconte-t-il comme s’il revivait encore et encore la scène. “Je me souviens d'avoir bu du vin cette nuit là”, ajoute-t-il dans un éclat de rire. Jack Schlegel est l'une des stars du jour. À peine le temps de le prendre en photo, qu'il est déjà happé par le service de presse pour une interview sur NBC.
À quelques mètres, se tient l'une des rares femmes de cette assemblée de vétérans. Sur son uniforme, Marcella Ryan Le Beau arbore La légion d'honneur. En 1944, à l'âge de 24 ans, cette Amérindienne de la tribu des Cheyenne River Sioux a elle aussi participé au conflit. Infirmière, elle a débarqué en août à Utah pour soigner les soldats. Au fil des combats, elle a été jusqu'en Belgique, engagée durant trois ans. Aujourd'hui, elle a de nouveau fait le voyage depuis le Dakota du Sud avec ses enfants. D'une petite voix, elle remercie “les Français pour leur reconnaissance et leur accueil”. Se tenant face à moi, si humble, je ne peux m'empêcher de lui serrer la main et de lui retourner le compliment: “Mais c'est à nous de vous remercier pour ce que vous avez fait”.
Des ennemis d'hier, des amis d'aujourd'hui
Le programme des commémorations de ce 70e anniversaire se poursuit en début d'après-midi sur la plage de Ouistreham. En 1944, les Alliés lui avaient donné le nom de code de “Sword Beach”. Une zone sur laquelle des soldats britanniques de la 3e division d'infanterie et quelques Français, les 177 membres du commando Kieffer, avaient débarqué. Sept décennies plus tard, ces hommes ne sont plus qu'une dizaine. Dû au respect qu'ils méritent, ils ont été placés face à la tribune officielle. Devant eux, les chefs d'État s'inclinent. Sur fond de crise diplomatique, les présidents ukrainien, russe et américain défilent devant eux. La reine d'Angleterre, qui a elle aussi pris part au conflit en s'enrôlant dans l'Auxilliary Territorial Service avec une formation en mécanique, est la dernière à venir les saluer. Le président Hollande qui reçoit 19 chefs d'État souligne encore la bravoure de ces jeunes garçons de 20 ans, à peine sortie de l'enfance au moment où ils ont été projetés dans l'horreur. Il affirme que nous tous, “sommes les héritiers” de ces Américains, Canadiens, Britanniques ou encore Néo-Zélandais qui ont foulé ce sable. Face aux grands dirigeants de ce monde, il appelle aussi les États à œuvrer pour la paix.
Mais alors que les visages des personnalités politiques défilent sur les grands écrans, le public n'a finalement d'yeux que pour ces vieux hommes assis sur ces quelques chaises. Sous une chaleur toujours aussi écrasante, ils assistent imperturbable à cet hommage. Dans dix ans, ils seront une infime poignée à pouvoir témoigner. Leurs paroles, leurs forces, leur détermination ne seront plus visibles dans leurs regards mais dans des livres ou des documentaires. Comme pour lancer un dernier message, la cérémonie se termine par un geste empreint de symbolisme. Léon Gautier, ancien du commando Kieffer, qui débarqua le 6 juin 1944 sur cette même plage, s'avance au centre. Il marche aux côtés de son ancien ennemi, le parachutiste allemand Johannes Börner. À 91 et 88 ans, ces deux hommes, qui se sont battus dans des camps adverses, vivent aujourd'hui dans la même ville de Ouistreham. Soixante-dix ans après la guerre, ils sont devenus amis. Plus éblouissant qu'un feu d'artifice, plus marquant que des beaux discours, cette image doit restée celle de cet anniversaire.