Un négociant en bois normand, Stéphane Ledentu, a lancé un projet pour préserver la forêt amazonienne, en créant lui-même des forêts d’eucalyptus surveillées par des drones au Brésil. Un projet écologique qui commence à intéresser les investisseurs.
C’est l’histoire d’un bûcheron normand qui veut ajouter ses troncs d’arbres et ses drones à l’édifice de la sauvegarde de la forêt amazonienne. C’est, certes, un raccourci car Stéphane Ledentu est devenu un négociant en bois à succès. Mais “J’ai effectivement commencé avec une tronçonneuse par couper du bois, avant de faire tous les métiers de la filière”, se rappelle le PDG de la société SLB à la tête du projet “Brazil Forest”. Pour ce qui est de sauver le “poumon du monde”, ce Normand s’y attelle : il détient, actuellement, 13 fermes dans le sud du Brésil sur lesquelles il créé des nouvelles forêts en implantant des eucalyptus afin, assure-t-il, de réduire la pression sur “les autres forêts naturelles du monde” dont celle d’Amazonie.
Si Stéphane Ledantu s’intéresse ainsi à la préservation de la forêt tropicale du Brésil, c’est, indirectement, à cause de la Chine, de l’Inde et des autres pays émergents asiatiques. Dans les années 90, “J’ai commencé à exporter du bois vers les pays asiatiques et j’ai vu l’ouverture progressive de ces pays et l’augmentation rapide des besoins, ce qui m’a fait prendre conscience que les forêts n’allaient jamais tenir le choc”, raconte-t-il.
Cet entrepreneur cherche alors à créer lui-même des forêts. Impossible ou presque en Europe où les terres arables commencent à manquer. Il s’est ensuite penché sur le cas africain, mais là encore, les difficultés administratives et législatives l’en dissuadent. Restait l’Amérique du Sud. “Le Brésil était le candidat idéal, car il a importé les dispositions du droit portugais”, une législation à l’Européenne avec laquelle le PDG se sentait à l’aise.
Déjà 1,2 million d’arbres plantés
À partir de 2006, il développe avec Juliana Affonso, une spécialiste brésilienne de la filière bois, et Enrique Glovacki, un ingénieur agronome, son projet de “forêt raisonnée”. L’idée est de racheter des parcelles agricoles mises en vente et de les transformer les unes après les autres en autant de forêts permettant de combler les besoins locaux en bois et aussi pour en exporter.
Stéphane Ledentu commence par amasser les hectares à partir de 2009. Il en contrôle 1630 aujourd’hui dans l’État du Paraná dont 988 sont occupés par les 1,2 million d’arbres qu’il a plantés. Pour les trois associés, il ne s’agissait pas seulement de mettre les petites graines en terre. “L’idée n’était pas de 'reforester' des zones en abîmant le sol, mais de transformer des terres agricoles. Il a donc fallu construire des routes et corriger les sols”, souligne Stéphane Ledentu.
Fin 2011, il a ajouté une dimension technologique à son entreprise : les drones. Il en a deux au Brésil, équipés de six moteurs chacun et avec une autonomie de huit minutes. C’est peu, mais suffisant. “Ils font en une minute le même travail de surveillance qu’un être humain en une journée”, assure Stéphane Ledentu. Ces drones lui permettent de contrôler rapidement la situation phytosanitaire de ses plants et de s’assurer que les arbres poussent correctement.
“4900 hectares de forêt amazonienne sauvés”’
Tout est donc en place pour que ces terres se transforment à terme en forêts d’eucalyptus. Il a opté pour ces arbres car ce serait, d’après ce chef d’entreprise, “un bois d’avenir” utilisé dans les meubles chez Ikea & consorts. Mais aussi parce qu’ils arrivent à maturité en seulement 12 ans et peuvent être exploités dès quatre ans. “C’est de la plantation TGV”, précise-t-il en souriant.
Il a donc déjà commencé à en vendre. Ce début d’activité “A permis d’empêcher la destruction de 4900 hectares de forêt amazonienne et nous en sommes très fiers”, estime-t-il. C’est, en effet, tout le sens de sa démarche qu’il qualifie d’”éconologique”. “C’est un concept venu du Canada qui signifie qu’on ne fera pas progresser la cause écologique en faisant des dons ponctuels, mais en prouvant que derrière les projets environnementaux il y a une véritable raison d’être économique”, assure Stéphane Ledentu.
Sa démarche n’est pas seulement “verte”. Il revendique aussi une approche sociale. Ses forêts ont déjà permis de créer 400 emplois localement. “La filière du bois est plus porteuse d’emplois que l’agriculture”, assure son associée Juliana Affonso. Le projet “Brazil forest” veut aussi tout faire dans les règles, notamment à l’égard du Mouvement des sans-terres, cette organisation brésilienne qui milite pour que les agriculteurs sans exploitations puissent exploiter des parcelles. “Si un ‘sans-terre’ veut acheter une ferme, on la lui laisse, il y a suffisamment de terre disponible dans la région”, affirme Stéphane Ledentu.
Ticket d'entrée à 1,5 million d'euros
Cette approche “éconologique” et sociale assumée du négoce du bois est, pour l’instant, unique au monde. “Peut-être parce que je suis le premier à en avoir eu l’idée”, note-t-il. Peut-être aussi parce que c’est plus long et plus cher que d’exploiter les forêts déjà existantes.
Reste qu’il n’est pas le seul à y croire. Il a déjà réussi à séduire plusieurs investisseurs. “Ce sont exclusivement des personnes privées”, assure-t-il. En clair, des grandes fortunes. Le billet d’entrée pour être actionnaire d’une parcelle est de 1,5 million d’euros. Sans donner les noms, Stéphane Ledentu précise qu’il y a des Allemands, des Suédois et d’autres personnes originaires de pays d’Europe du nord où l’écologie est fortement enracinée, mais “aussi des Français”.
“Brazil Forest” est pour l’instant un petit joueur de la filière au Brésil et Stéphane Ledentu est conscient qu’il ne va pas enrayer à lui tout seul la destruction de la forêt amazonienne. Les chiffres parlent, en effet, d’eux-mêmes : entre août 2012 et juillet 2013, 5 843 km2 de forêt ont été détruits dans le nord du Brésil, soit une augmentation de 28 % en un an, d’après le ministère de l’Environnement.
Surtout, la coupe et vente de bois de ces régions n’est pas la raison première de la déforestation. Il s’agit avant tout pour des exploitants, en particulier de soja, d’augmenter la taille des terres cultivables au détriment de la forêt, rappelle l’association WWF sur son site internet. Certes, Stéphane Ledentu ne peut rien faire contre ce phénomène, mais s’il peut prouver que sa démarche est rentable, d’autres vont peut-être suivre son exemple. Mais son initiative pour promouvoir l’eucalyptus comme alternative n’est-elle pas l’arbre qui cache la forêt d’une demande réelle pour les bois naturels dont on fait les armoires normandes ?