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De Kiev à Moscou : comment la Crimée va-t-elle changer de mains ?

Au lendemain du "oui" massif des électeurs au référendum sécessionniste, les autorités de Crimée ont demandé, lundi 17 mars, leur rattachement à la Fédération de Russie. Un transfert de souveraineté qui soulève des problèmes inédits.

À Simferopol, la place Lénine a retrouvé son calme lundi 17 mars après une nuit de festivités bien arrosées pour célébrer le plébiscite des urnes en faveur d’un rattachement de la Crimée à la Russie. Malgré les avertissements de Kiev et des capitales occidentales, qui jugent le scrutin illégal, près de 96,6% des électeurs ont voté pour quitter l’Ukraine. Mais ce "oui"  massif soulève plusieurs questions concernant le transfert de souveraineté, qui aura lieu de facto dans les prochains jours.

Que vont devenir les soldats ukrainiens en Crimée ?

L'une des questions les plus pressantes est celle des unités militaires loyales à Kiev toujours présentes en Crimée. Leurs bases sont encerclées depuis deux semaines par des soldats russes lourdement armés, qui empêchent le moindre mouvement militaire. Du jour au lendemain, ces militaires ukrainiens seront considérés comme une "formation armée illégale" selon l’expression du leader pro-russe criméen, Serguei Axionov.

"Des affrontements entre militaires russes et ukrainiens sont complètement exclus", tempère Alexander Formantchuk, président de l’association des politilogues criméens. "Il va y avoir un processus de négociation, sous supervision internationale si nécessaire, pour que les militaires ukrainiens puissent quitter la Crimée", confirme l’expert. La trêve, annoncée le jour même du référendum – en réalité une extension de celle qui prévaut sur le terrain depuis le début de la crise – permettra de donner jusqu’au 21 mars à Moscou et Kiev pour trouver une solution.

Le spectre de la Transnistrie

Les autorités russes ont annoncé que la Douma (chambre basse du Parlement russe) examinerait la demande de rattachement de la Crimée dès vendredi 21 mars. Un laps de temps qui fait craindre à certains Criméens que Moscou se contente de garder le statut de leur province dans une espèce d’ambigüité juridique, pour éviter davantage de sanctions internationales.

"Le pire pour nous serait un scénario à la transnistrienne : une espèce d’enclave avec des forces armées russes, qui n’est même pas reconnue par la Russie elle-même. Plus de liaisons aériennes, crash de l’économie, fin du tourisme, circulation des armes… ça serait un désastre !", explique Vladislav Osipov, journaliste ukrainien basé à Sebastopol.

Pour Alexander Formantchuk, la Russie va au contraire chercher à entériner l’annexion de la Crimée le plus vite possible. "Une délégation des autorités criméennes est déjà en route vers Moscou pour demander l’intégration de la Crimée à la Fédération de Russie dès mardi (…) La Crimée ne sera pas comme la Transnistrie, ni comme l’Abhazkie".

Incertitude sur les lendemains économiques

Les électeurs qui se sont pressés dans les bureaux de vote pour demander le rattachement de la Crimée à la Russie sont convaincus de ses bienfaits économiques. Pour eux, cette nouvelle donne juridique entraînera un afflux d’investissements russes et une augmentation du montant des retraites et des salaires.

En réalité, la Crimée se retrouve brouillée du jour au lendemain avec l'Ukraine, son unique fournisseur d’eau, de gaz, et d’électricité. Alexander Formantchuk est cependant convaincu que les autorités ukrainiennes ne vont pas utiliser ces questions d’approvisionnement pour faire du chantage aux autorités séparatistes de Simferopol.

"Il y a eu des négociations commerciales la semaine dernière et ils se sont mis d’accord pour que la Crimée commence à acheter de l’eau à l’Ukraine dès le 19 mars. Les deux parties entretiendront des relations commerciales", affirme le politologue criméen.

L’épineuse question des champs de gaz en mer Noire

La brouille entre Kiev et Moscou risque de se déplacer sur la question des matières premières – gaz, pétrole – qui reposent au fond de la mer Noire, au large de la Crimée. Selon Bloomberg Businessweek, Exxon Mobil et Royal Dutch Shell étaient sur le point de signer un accord avec Kiev pour investir 735 millions de dollars dans la percée de deux puits au large de la côte sud-ouest de la Crimée, accord qui tombe à l’eau avec les derniers évènements

Pour Mikhailo Gonchar, expert en questions énergétiques au centre Razumkov de Kiev, toutes les infrastructures gazières détenues par le gouvernement ukrainien passeront rapidement aux mains du géant russe Gazprom, via éventuellement une pseudo-nationalisation décrétée par les autorités de Crimée. L’imbroglio juridique autour de cette sécession non reconnue par l’immense majorité de la communauté internationale pourrait remettre en cause des projets d’investissements dans des zones limitrophes entre les eaux territoriales ukrainiennes et criméennes.

“C’est clairement une façon pour la Russie d’empêcher l’implication des grosses compagnies pétrolières étrangères en mer Noire, où elles sont en compétition avec Gazprom", conclut Mikhailo Gonchar.