La Grande Guerre a donné lieu à d'incroyables aventures. Pendant 1526 jours, deux soldats français ont ainsi dû rester cachés dans un grenier, ne pouvant rejoindre leur unité. Cette captivité inédite est aujourd'hui retracée dans un livre.
Les minutes, les heures, les années ont paru bien longues à Alfred Richy et Camille Muller. Pendant 1526 jours, ces jeunes soldats de 22 ans ont vécu cachés dans un simple grenier d’un petit village de Meurthe-et-Moselle ; une incroyable aventure restée oubliée pendant près de 100 ans. Elle est aujourd’hui dépoussiérée grâce au travail de Dominique Zachary. "Cette histoire en Lorraine est exceptionnelle par la durée de la cachette – du 13 septembre 1914 au 18 novembre 1918 – et aussi par le cadre singulier de cet endroit : repliés sur quelques mètres carrés derrière les fagots dans un grenier", raconte ce journaliste belge à FRANCE 24.
Au début de la Première guerre mondiale, ces deux poilus ont pourtant l’intention d’en découdre avec leurs ennemis. En août 1914, avec leurs camarades du 164e régiment d’infanterie, ils participent à la bataille des Frontières qui fait rage à la limite de la France et de la Belgique. Le 22 août, l’artillerie allemande fait feu sur la citadelle de Longwy. Les Français sont harcelés et encerclés. La ville toute entière est anéantie lors de cette journée qui se révèlera être la plus meurtrière de tout le conflit et de l’histoire de l'armée française avec 27 000 soldats tués sur l'ensemble du front. Alfred et Camille réchappent miraculeusement à ces sanglants affrontements, mais leur unité s’est repliée du côté de Verdun.
Exténués après 17 jours de fuite à travers la campagne pour tenter de la rejoindre, ils décident finalement de reprendre quelques forces dans la maison des parents d’Alfred située non loin de là, à Baslieux. Ces derniers leur ouvrent la porte, mais la halte s’éternise. Alors que les soldats Allemands ont pris possession du village, les deux poilus sont pris au piège. Ils prennent leur mal en patience et se font silencieux. Pour s’occuper, Alfred retranscrit jour après jour dans un carnet son quotidien.
Coupés du monde
Dans son livre, Dominique Zachary retrace avec détails cette longue retraite forcée qui dura finalement quatre ans. Pour coller au plus près à la réalité, le journaliste a utilisé les notes d’Alfred, retrouvées chez un de ses vieux amis à Baslieux, et fait appel à des témoignages : "Sans l’aide précieuse des habitants du village, je n’aurais pu écrire seul ce récit. Quelques-uns avaient entendu parler de certaines anecdotes sur la captivité forcée d’Alfred et Camille dans leur grenier, mais ces souvenirs étaient toutefois lointains, les deux poilus étant décédés en 1967 et 1984".
Pendant ces longs mois, les deux hommes ont pu compter sur la protection de la famille Richy qui n’a jamais trahi leur secret. "S’ils avaient été repérés par les Allemands, ils risquaient la sanction la plus lourde : le peloton d’exécution. Les parents qui les ont cachés risquaient lourd eux aussi : la déportation en Allemagne ou une peine de cinq ou dix ans de prison en France", insiste Dominique Zachary. Chaque jour, l’angoisse d’être découverts a rongé les deux soldats du 164e RI. Alfred et Camille ont aussi dû faire face à des conditions de vie terribles, luttant contre la faim et le froid. "Mais la lutte la plus opiniâtre, la plus éprouvante, fut celle contre la solitude et l'isolement. Coupés du reste du monde, Alfred et Camille, les deux poilus de Baslieux, ne pouvaient faire le moindre bruit dans leur cachette au sommet de la maison car à l'étage inférieur, des soldats allemands avaient réquisitionné les chambres", précise l’auteur.
"Ils ont fait preuve de courage !"
Malgré cette attente interminable, les deux compères ont réussi à tenir le coup. Hommes de la terre (Alfred était paysan dans le civil, tandis que Camille était bourrelier), ils se sont accrochés à leurs futurs projets : "Je pense que c’est cette soif absolue de liberté qui leur a permis de ne jamais craquer dans ce grenier étroit, ce trou à rat dont ils n’apercevaient comme seule lumière que la tabatière ou la petite ouverture dans le toit".
Le retour à la vie réelle ne fut pourtant pas des plus simples. Une fois sortis de leur cachette en novembre 1918, les deux soldats, encore vêtus de leur fameux pantalon rouge garance, ont tenus à rejoindre leur régiment à Verdun. Jusqu’à l’été 1919, ils sont ainsi restés incorporés dans l’armée française. Mais à leur retour dans leur région, certains leur ont reprochés d’être restés bien tranquilles loin du front et de ne pas être morts comme leurs camarades. Pour balayer ces critiques, Dominique Zachary veut aujourd’hui rétablir leur honneur : "Les soldats qui ont combattu n'ont pas le monopole du courage, même si l'on s'incline devant leur geste patriotique. Des poilus restés à l'arrière, qui n'étaient ni planqués ni déserteurs, ont dû eux aussi faire preuve de courage ! Ne fut-ce que pour résister si longtemps à la solitude et au désœuvrement". Pour preuve, l’armée française ne les a d’ailleurs jamais sanctionnés pour être restés quatre ans derrière les lignes ennemies. En janvier 1921, les parents d’Alfred Richy ont même reçu la médaille d’argent de la Reconnaissance française pour avoir recueillis et sauvé la vie de ces deux poilus.
"14-18. Quatre ans cachés dans le grenier" par Dominique Zachary. Éditions Jacob-Duvernet.