L’enregistrement d’une conversation entre deux hommes, présentés comme étant le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, et son fils, évoquant la dissimulation de fortes sommes d’argent, fait scandale en Turquie.
La rivalité entre le prédicateur Fethullah Gülen et le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan prend la tournure d’une affaire d’État. Quelques heures après des révélations fracassantes, lundi 24 février, sur un système d’écoutes téléphoniques mis en place par la confrérie Gülen, via des magistrats et des policiers proches du prédicateur, une nouvelle vidéo fait scandale. Celle-ci, postée sur Youtube, est présentée comme l’enregistrement d’une conversation entre le chef du gouvernement turc et son fils.
Sur cette
vidéo, dont l'authenticité n'a pas été confirmée de source indépendante, l’un des interlocuteurs, présenté comme étant Recep Tayyip Erdogan, demande à un autre homme, qui serait son fils aîné Bilal, de réunir d'autres membres de la famille pour faire disparaître immédiatement plusieurs millions d'euros et de dollars dissimulés aux domiciles de proches.
Le pouvoir a immédiatement réagi en dénonçant, dans un communiqué émanant du cabinet du Premier ministre "le produit immoral d’un montage complètement faux". Mardi 25 février, le chef du gouvernement a dénoncé des "attaques haineuses" qui "ne resteront pas impunies".
Face à ces accusations de corruption, l’opposition a appelé le chef du gouvernement et ses ministres à quitter ses fonctions. "Le gouvernement doit immédiatement démissionner, il a perdu toute légitimité. […] Le Premier ministre n’a pas un moment à perdre pour démissionner", a estimé Haluk Koç, l’un des vice-présidents de la principale force d’opposition, le Parti républicain du peuple (CHP), à l’issue d’une réunion d’urgence dans la nuit de lundi à mardi.
Écoutes téléphoniques
Lundi, deux journaux pro-gouvernementaux, le "
Star" et "
Yeni Safak", ont révélé un vaste scandale d’écoutes téléphoniques visant des membres du gouvernement, des journalistes et des hommes d’affaires. Les conversations de Recep Tayyip Erdogan, de Efkan Ala, le ministre de l’Intérieur, et de Hakan Fidan, le chef des services secrets turcs, auraient notamment, selon ces deux quotidiens, été enregistrées depuis 2011. En tout, assurent les journaux, près de 7000 personnes auraient été placées sur écoute.
Le "Star" et "Yeni Safak" ont pointé du doigt la responsabilité de deux procureurs dans ces affaires. L’un des deux, Adnan Cimen, a catégoriquement nié avoir donné l’ordre de mettre ces personnalités sur écoute. "Ces allégations sont dénuées de tout fondement. Aucune opération illégale n’a été ordonnée", a-t-il déclaré, mardi, dans les colonnes du journal "
Milliyet".
Depuis la révélation mi-décembre d'
enquêtes anti-corruption visant des dizaines de
proches du pouvoir, Recep Tayyip Erdogan accuse la confrérie Gülen, autrefois son alliée, de manipuler ces dossiers dans le but de le déstabiliser à la veille des élections municipales du 30 mars et présidentielle d'août 2014. Des accusations que les proches de Fethullah Gülen démentent.
Purges dans la police et la justice
Le gouvernement est même allé jusqu’à taxer l’organisation de Fethullah Gülen de "structure parallèle" pour définir le réseau de sympathisants du prédicateur au sein de l’administration turque. L’accusation provoque quelques questionnements en Turquie : "Comment un gouvernement tel que celui d’Erdogan, qui dirige le pays depuis presque 12 ans, a pu ne pas détecter plus tôt cette organisation si bien organisée en son sein ?", s’interroge ainsi, le 25 février, Murat Yetkin, rédacteur en chef de la version anglophone du journal indépendant
Hurryiet.
Depuis, le pouvoir a procédé à des purges massives dans les rangs de la police et des magistrats. Au grand dam de l’opposition et des ONG de défense des droits de l’Homme, le gouvernement a parallèlement fait adopter deux lois destinées à renforcer le contrôle d’Internet et de la justice.