Pourquoi les agences de notation n’ont elles pas pris en compte le Colisée, la littérature italienne et même les paysages transalpins pour évaluer la note du pays ? Un préjudice que la cour italienne des comptes estime à 234 milliards d’euros.
La tour de Pise, les œuvres de Dante, de Leonardo da Vinci et plus généralement la “Dolce Vita” à l’italienne auraient dû attendrir le cœur économique des agences de notation. C’est du moins l’avis très officiel de la Corte dei Conti, la cour des comptes italienne qui a ouvert une enquête judiciaire.
Cette vénérable institution envisage de poursuivre Standard & Poor’s (S&P), et accessoirement Moody’s et Fitch pour des dégradations de la note italienne qui auraient été, d’après la Corte dei Conti, illégales. “"S&P n’a jamais pris en compte l’histoire italienne, son patrimoine culturel et ses paysages qui sont universellement reconnus comme le fondement de la force économique du pays”, s’insurge cette autorité publique chargée de surveiller les finances italiennes.
Elle estime que cet illettrisme culturel est une faute grave qui pourrait lui permettre de demander 234 milliards d’euros aux agences de notation. Ce montant équivaut au prix que Rome a dû payer pour emprunter l’argent sur les marchés financiers après la dégradation de sa note. Elle avait entraîné, fin 2011 et début 2012, une hausse importante des taux d’intérêt auxquels l’Italie pouvait emprunter sur les marchés financiers. Le pays avait alors été désigné comme le nouveau maillon faible de la zone euro.
Accusations “frivoles et sans mérite”
La somme qui pourrait être réclamée par la Cour des comptes serait la plus importante jamais demandée par un pays en réparation de prétendus dommages causés par l’action des agences de notation. Corte dei Conti décidera le 19 février de poursuivre ou non une action en justice.
Les agences de notation récusent toutes les accusations de la Corte dei Conti. S&P les juge “frivoles et sans mérite”. Moody’s ne les prend pas plus au sérieux, tandis que Fitch assure “avoir agi en conformité avec la loi”. Christophe Blot, économiste spécialiste des questions européennes à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) n’est pas loin de partager leur avis : “Il y a d’autres actifs plus importants à mettre dans la balance que le patrimoine historique et culturel lorsqu’on évalue la soutenabilité d’une dette souveraine.”
“Le principe calculatoire des agences de notation est de ne prendre en compte que le patrimoine liquide [actifs financiers, immeubles pouvant être vendus, etc. ndlr] et de ne s’intéresser qu’à ce qui peut affecter la soutenabilité de la dette, comme la croissance ou encore la marge de manœuvre budgétaire”, rajoute Pascal de Lima, chef économiste au cabinet de conseil EcoCell. En ce sens, le Colisée ou la “Divine Comédie” n’auraient rien à faire dans une évaluation de la note d’un État.
Impact sur le tourisme
Sauf à considérer que la “Dolce Vita” ou la fontaine de Trevi à Rome sont des facteurs de croissance. “On pourrait à la limite évaluer l’impact de ce patrimoine culturel sur le tourisme, mais je ne pense pas que cela changerait grand chose à l’évaluation faite par les agences de notation”, analyse Christophe Blot. Et puis l’Italie n’est pas le seul pays à avoir un patrimoine culturel qui pèse dans la balance touristique. La France et la Grèce, par exemple, sont dans le même cas. “Ce n’est pas comme si l’Italie avait été jugée de manière discriminatoire par les agences de notation”, souligne Pascal de Lima.
Peut-être la cour italienne des comptes s’est-elle inspirée de l’exemple grec pour nourrir ses critiques ? Au plus fort de la crise, Athènes a, en effet, été fortement incité à vendre quelques uns des fleurons de son patrimoine, comme le port du Pirée ou certaines îles, pour éponger ses dettes. Fort de ce précédent, les agences de notation devraient-elles prendre en compte la possibilité de brader son patrimoine pour éviter la faillite ? “C’est un peu difficile à évaluer concrètement, ce n’est pas comme si le Colisée pouvait être vendu du jour au lendemain”, note Pascal de Lima.
Surtout, même si les dégradations des notes ont été importantes, ce qui a causé le plus de tort à l’Italie est plutôt “le fait que les marchés financiers se fient tellement aux analyses de ces agences qui ne délivrent, au final, qu’un avis parmi d’autres”, estime Christophe Blot. En clair, le rapport de la Corte dei Conti serait, d’après Pascal de Lima, plutôt “un appel sous forme de provocation à une réforme du fonctionnement des agences de notation” et à leur importance aux yeux des investisseurs.