
Dans le cadre du centenaire de la Grande Guerre, l'hommage aux soldats africains est encore timide. Les troupes du Maghreb ont été longtemps oubliées dans la mémoire collective. Un colloque organisé à Paris vise à mettre en lumière ces combattants.
En novembre dernier, lors du lancement des commémorations du centenaire de la Première guerre mondiale, le président François Hollande avait tenu à saluer les soldats africains "qui ont pris part à une guerre qui avait pu ne pas être la leur". Malgré cette reconnaissance officielle, l’engagement de ces combattants reste encore très méconnu.
Durant le conflit, plus de 600 000 soldats coloniaux ont pourtant été mobilisés sur tous les fronts. La moitié d’entre eux étaient originaires du Maghreb. Lors d’un colloque organisé vendredi 31 janvier à l’Hôtel de Ville de Paris sur la mobilisation des troupes d’outre-mer, l’historien Jean Martin va rappeler à notre mémoire la mobilisation de ces poilus d’Afrique du Nord. "Les troupes coloniales ont joué un rôle d’appoint durant la Première Guerre mondiale, il a été moins décisif que durant la Seconde Guerre mondiale, mais cet apport n’a pas été négligeable", explique à FRANCE 24 ce professeur émérite des universités, qui a notamment enseigné à la Sorbonne et à Lille III. Au total, 173 000 Algériens, 58 770 Tunisiens et 25 000 Marocains ont participé à la "der des der" au sein de l’armée d’Afrique.
Lorsque débute le conflit en 1914, la conscription des "indigènes" vient tout juste d’être mise en place en Algérie, à la suite d'une loi de 1911. Mais ce recrutement des soldats musulmans est loin de faire l’unanimité. "Les Européens d’Algérie étaient opposés à la levée en masse des indigènes, car ils redoutaient que ces combattants deviennent plus revendicatifs en matière de droits une fois revenus chez eux", souligne Jean Martin. Pendant les premiers mois de la guerre, les opérations de mobilisation ne sont donc pas très importantes. Des tirailleurs algériens sont toutefois envoyés rapidement vers le front. En septembre 1914, plusieurs régiments sont sous le feu lors de la bataille de la Marne. Des hommes qui n’avaient jamais vu l’Europe et qui n’avaient pas encore reçu d’instruction militaire : "Il y a eu des pertes très lourdes. Cela a été dramatique. On les a retirés du front et on les a formés."
"Ils ne manquaient pas de bravoure"
Malgré ce manque d’expérience, les soldats nord-africains se distinguent très vite par leur sens du combat. "On s’est aperçu qu’ils pouvaient apprendre la manipulation d’armes de plus en plus modernes. Ils ne manquaient pas de bravoure", résume le spécialiste de l’histoire coloniale. Le maréchal Foch aurait ainsi déclaré à propos de la bataille de la Marne : "La fortune a voulu que la division marocaine (composée d’Algériens, de Tunisiens, de zouaves et de légionnaires, et non pas de soldats marocains, NDLR) fût là !". Les Marocains ne sont pas en reste. Dans l’historique du 1er régiment de tirailleurs du protectorat, le ministre de la Guerre, Alexandre Millerand, leur adresse de vives félicitations : "Disciplinés au feu comme à la manœuvre, ardents dans l'attaque, tenaces dans la défense de leurs positions jusqu'au sacrifice, supportant au-delà de toute prévision les rigueurs du climat du nord, ils donnent la preuve indiscutable de leur valeur guerrière".
Pour preuve de cet héroïsme, les troupes du Maghreb comptent parmi les plus décorées. Les tirailleurs algériens ont reçu plus de 20 % des plus hautes distinctions décernées (drapeaux décorés de la Légion d'honneur ou de la Médaille militaire et fourragères rouges à la couleur de la Légion d'honneur) alors que leurs effectifs au combat ne représentent à la fin du conflit que 2 % du total des combattants. Les deux régiments de tirailleurs marocains ayant combattu ont également obtenu sept citations à l'ordre de l'armée.
Une armée plus égalitaire
Reconnus pour leurs faits d’armes, les membres de l’armée d’Afrique ne sont pas traités différemment des autres poilus. Contrairement à certaines idées reçus, ils reçoivent le même respect de leurs officiers : "Ils étaient rassemblés entre eux, mais c’était plus pour des raisons de commodités. Ils recevaient de la nourriture halal et quand ils mourraient, ils étaient enterrés selon le rite musulman. La France respectait leur identité. Beaucoup d’entre eux ont raconté après coup que l’armée était plus égalitaire que la société coloniale car sur le front, ils étaient tous égaux et notamment devant la mort".
Pour Jean Martin, un autre cliché sur ces troupes doit aussi être corrigé. Selon l'historien, rien ne permet d’affirmer que les régiments nord-africains ont été plus exposés au feu que les autres : "Tout le monde était de la chair à canon. Quand vous voyez la région Bretagne par exemple, elle a payé un tribut plus lourd que le Maghreb. Pour les Bretons, on a profité du sentiment religieux et des distributions d’eau de vie pour les envoyer au front". Au total, l’armée d’Afrique a perdu presque 45 000 hommes, ce qui représente un peu plus de 3% des morts français de la Grande guerre.
Le Maghreb n’a pas seulement contribué à l’effort de guerre dans les tranchées mais également en fournissant des milliers de bras pour les usines. "C’est de la Première Guerre mondiale que date l’immigration maghrébine. Avant, il n’y avait pas plus de 15 000 Maghrébins en France métropolitaine", note Jean Martin. Pendant quatre ans, l’Afrique du Nord va envoyer 180 000 travailleurs dans l’Hexagone, dont beaucoup vont rester sur place après la fin des hostilités. Les premiers quartiers historiques maghrébins de France sont constitués à cette époque : la Goutte-d’Or et Beaugrenelle à Paris ou encore Vénissieux à Lyon.
En raison de cet apport militaire et économique, les sociétés du Maghreb ont connu d’importants changements au cours de cette période. Les "indigènes" de la république ont notamment eu le sentiment d’avoir versé leur sang pour une cause qui n’était pas la leur, et d’être en droit de réclamer des compensations. "Quand ils sont retournés chez eux, ils ont voulu être traité comme des Français à part entière. Ce n’était pas encore du nationalisme, mais une revendication égalitaire", estime Jean Martin. Soutenu par son empire, la France a pourtant occulté pendant longtemps la mobilisation de ces hommes venus d’Afrique : "Les auteurs ne font pas état des soldats coloniaux. On ne les voyait pas. On ne pensait pas à eux. Les Français avaient encore une vision très hexagonale, résume l’historien. C’est peut-être aussi par chauvinisme que la France a voulu trouver en elle-même les ressources de la victoire."
La mobilisation des troupes d'outre-mer pour la Grande Guerre, Hôtel de Ville de Paris, le vendredi 31 janvier de 17h30 à 20h00.