
Depuis plus de soixante ans, l’assassinat du président américain John F. Kennedy, en 1963, nourrit une multitude de théories du complot et de spéculations trompeuses. La publication, le mardi 18 mars, de nouveaux dossiers liés à l’affaire, en application d’un décret signé par Donald Trump, n’a fait qu’alimenter ce phénomène. Tandis que les experts analysent encore ces documents, les réseaux sociaux ont été envahis par des intox. La rédaction des Observateurs revient sur deux des plus virales.
Une lettre de JFK appelant à l’arrestation de Hillary Clinton ?
Le 18 mars 2025, la commentatrice politique pro-Trump Kate Hyde a publié sur X une prétendue lettre écrite par John F. Kennedy, accompagnée du commentaire : "Les premiers documents des dossiers JFK ont été publiés". Sa publication cumule plus de 4 millions de vues sur la plateforme.
Sur cette lettre, datée de juillet 1963, on peut lire : "À qui de droit : j'ai des informations qui mèneront à l'arrestation de Hillary Clinton". Le document est signé en bas à droite par JFK.
Plusieurs indices suggèrent qu'il s'agit d'un montage. D'abord, l'apparence du texte principal semble artificiellement ajoutée. Mais un détail trahit encore plus clairement la supercherie : en bas à gauche, le sceau rond de l’enveloppe contient le nom d’utilisateur X de Kate Hyde, « KATEHYDENY », preuve que l’image a été modifiée (voir image ci-dessous).

De plus, un anachronisme apparaît. En 1963, Hillary Clinton avait 16 ans et portait encore son nom de jeune fille, Hillary Diane Rodham. Elle n’a pris le nom de Clinton qu’après son mariage avec Bill Clinton en 1975. Il est donc impossible que Kennedy ait pu s’adresser à "Hillary Clinton" à cette époque.
Une recherche d’image inversée permet de retrouver la lettre d’origine qui a servi à la fabrication de ce faux sur eBay. Elle a bien été écrite par John F. Kennedy, le 18 juillet 1963, mais elle était adressée à une certaine Miss Perdunn. Le président y exprimait sa gratitude pour son engagement au sein du Peace Corps, une agence gouvernementale qu'il avait créée en 1961 pour promouvoir la paix et l’amitié internationale.

Joe Biden qualifié de “traître” par Kennedy Jr ?
Le 19 mars 2025, l’acteur britannique Russell Brand, soutien affiché de Donald Trump, a partagé sur X un document du FBI, suscitant de nombreuses réactions. Dans sa publication, qui dépasse désormais les 9 millions de vues, il interroge : "Est-ce que JFK Jr. nous a prévenus que Joe Biden était un traître à l'Amérique avant qu'il ne soit tué ?"
Le document en question, daté de 1994, et partagé par Russell Brand fait état d’une lettre adressée à Joe Biden, alors sénateur. On peut lire : "Cher sénateur Biden : vous êtes un traître...", une missive signée du nom de John F. Kennedy Jr., fils du président assassiné en 1963, mort dans un accident d’avion en 1999.
Mais rien ne permet d’affirmer que JFK Jr. soit bien l’auteur de cette lettre. Ce document est l’un des éléments d’un dossier plus vaste. Loin d’être une révélation, ce dossier avait déjà été rendu public en 2000 à la suite d’une demande formulée par l’agence Associated Press en vertu de la loi sur la liberté de l’information (Freedom of Information Act, FOIA).
Ce dossier du FBI porte en réalité sur deux séries de menaces distinctes : celles qui visaient JFK Jr., qui a fait l’objet d’au moins trois tentatives d’enlèvement avant sa mort, et celles qui concernaient Joe Biden, ciblé par des menaces de mort en 1994 lorsqu’il était sénateur du Delaware.
Le véritable auteur de la lettre jamais identifié
Dans les archives du FBI, le document relayé par Russell Brand apparaît à la page 155. Il y est bien question d’une lettre signée "JFK Jr." adressée à Biden, mais le FBI n’a jamais confirmé son authenticité. L’agence qualifie Biden de "victime" ("victim") et désigne l’expéditeur comme “unsub” pour “unidentified subject” c’est-à-dire “sujet non identifié”.

Plus loin, à la page 162, la lettre est classée comme un "dossier de lettre anonyme", indiquant que son véritable auteur n’a jamais été identifié, bien que le nom de Kennedy ait été utilisé.

Un article du Los Angeles Times publié le 20 juin 2000 rappelle que cette lettre avait fait l’objet d’analyses graphologiques et de relevés d’empreintes digitales, mais qu’aucun suspect n’avait été identifié. "L'écriture a été analysée. Des empreintes digitales ont été relevées sur la lettre. Mais aucun suspect n'a été identifié et l'affaire a été classée fin 1994."
En 2020, un article du site de fact-checking PolitiFact s’était déjà penché sur une théorie connexe, selon laquelle Joe Biden aurait participé à un complot visant à kidnapper JFK Jr. L’historien, Steven M. Gillon, professeur à l’Université d’Oklahoma et auteur d’une biographie de Kennedy Jr., avait alors expliqué à PolitiFact : "Le FBI a rejeté cette affaire comme étant un canular." Avant d’ajouter : "Le FBI avait choisi de ne pas donner suite à la lettre parce qu'ils ne croyaient pas que John l'avait écrite."
Depuis plusieurs années, John F. Kennedy Jr. est devenu une thématique centrale des théories conspirationnistes du mouvement QAnon. Certains de ses adeptes affirment qu’il aurait simulé sa mort et travaillerait aujourd’hui dans l’ombre aux côtés de Donald Trump.
Pas de révélations majeures à attendre
Interrogé par la rédaction des Observateurs, Vincent Quivy, journaliste d’investigation et auteur du livre "Qui n’a pas tué Kennedy ?", relativise le rôle de Donald Trump dans la déclassification des documents liés à l'assassinat de JFK. "Trump s’est présenté comme le président qui allait enfin ouvrir les archives, mais c’est totalement faux. 99 % des documents avaient déjà été déclassifiés” un processus qui avait commencé dès 1963. Il rappelle qu’en 1992, le JFK Act avait été adopté, imposant la publication de l’ensemble des archives sur l’assassinat du président d’ici 2017. Toutefois, le volume colossal de documents a retardé ce processus, qui s’est poursuivi sous les administrations suivantes. (...) Depuis 1963, des milliers et des milliers de documents ont été déclassifiés, y compris sous Biden, qui a rendu publics plus de 13 000 nouveaux dossiers. Trump n’a donc rien inventé ni révolutionné ; il a simplement cherché à s’attirer la sympathie des sphères complotistes, qui constituent une partie de son électorat." explique le journaliste.
Les experts s’accordent à dire que le processus de déclassification prend du temps, mais préviennent qu'il ne faut pas s'attendre à des révélations majeures ni à des éléments remettant en cause les conclusions établies sur l'assassinat de Kennedy. "Pour l’instant, personne ne peut prétendre avoir tout lu et analysé", souligne Vincent Quivy. "Mais les organismes chargés de l’examen de ces archives depuis 1992 ont déjà étudié la majorité des documents et ont conclu qu’il n’y avait rien de particulièrement explosif ni de directement lié à l’assassinat. Il s’agit essentiellement des dernières archives administratives, sans grande révélation."