Théâtre d'affrontements sanglants ces dernières semaines, Bangui montre des signes d'apaisement depuis la démission de Michel Djotodia. Un calme précaire qui reste suspendu à la désignation, d’ici 15 jours, d'un nouveau président de transition.
Une vacance dans la vacance du pouvoir. Telle est la nouvelle situation politique dans laquelle se trouve la Centrafrique depuis la démission, vendredi 10 janvier, du président de la transition, Michel Djotodia, et de son Premier ministre, Nicolas Tiangaye. Un vide institutionnel que les 135 membres du Conseil national de transition (CNT), présidé par Alexandre-Ferdinand Nguendet, doivent combler en désignant d’ici à 15 jours un nouveau dirigeant par intérim.
itEn attendant que le fauteuil présidentiel soit de nouveau occupé, le patron du CNT ne cesse d’exhorter ses concitoyens à l’apaisement."Aux ex-Séléka [l’ex-rébellion qui a porté Michel Djotodia au pouvoir], aux anti-balaka [miliciens proches de l’ancien président François Bozizé] et aux amoureux du pillage, je vous lance une mise en garde sévère, c'est terminé la récréation", a-t-il lancé dimanche, avant d’assurer que "l’anarchie était terminée".
Un appel accueilli avec grand enthousiasme par les habitants de Bangui. "La population attend la fin des violences puis une transition qui mènera à des élections générales, rapporte Matthieu Mabin, envoyé spécial de FRANCE 24 dans la capitale centrafricaine. Or, la fin des violences commence par le retour des quelque 100 000 déplacés de l’aéroport Mpoko."
Alexandre-Ferdinand Nguendet l’a compris qui, à peine fut-il chargé d'organiser la nomination du successeur de Michel Djotodia, s'est rendu à l'immense camp de Mpoko. Debout sur un camion, le président du CNT a invité les personnes ayant fui les combats à regagner la ville. Et de promettre : "À partir d’aujourd’hui [dimanche], il n’y aura plus d’armes dans les quartiers".
La violence à son plus bas niveau
Si les anciens Premiers ministres Martin Ziguélé et Anicet Georges Dologuélé ont déjà fait savoir qu’ils n’envisageaient pas de succéder à Michel Djotodia afin de se consacrer à l’élection présidentielle prévue d’ici à 2015, d’autres poids lourds de la politique centrafricaine seraient sur les rangs.
Selon RFI, certains verraient bien Désiré Kolingba, ex-ministre chargé du Secrétariat général du gouvernement et ancien fonctionnaire de la Banque mondiale, à Washington, occuper les fonctions. L'ancien ministre de la Défense, Jean-Jacques Demafouth, qui aurait les faveurs du Tchad, et l'ex-ministre de l'Administration territoriale, Josué Binoua, pourraient également se lancer dans la course.
D’autres estiment qu’un militaire, fin connaisseur des problématiques sécuritaires ferait davantage l’affaire, tels le général Gailloty Bibanga, officier à l'état-major de la force des pays d’Afrique centrale, le général de gendarmerie et ex-ministre des Affaires étrangères, Parfait Mbaye, ou encore le colonel Anicet Saulet, aujourd’hui ambassadeur au Caire.
Parmi la société civile, on cite quelques candidatures plus atypiques mais fédératrices comme la maire "courage" de Bangui, Catherine Samba Panza, ou Béatrice Epaye, très active auprès des enfants des rues.
Enfin, d’aucuns estiment que le président de la CNT, Alexandre-Ferdinand Nguendet, qui s’est montré sur tous les fronts ces derniers jours, pourrait également être désigné à la tête de la transition par ses collègues.
De fait, c’est un calme précaire qui régnait, lundi, dans les rues de Bangui. "Le processus politique est enclenché dans un climat apaisé", constate Matthieu Mabin. Premier signe d'un début de retour à la normale dans la ville, des centaines de soldats qui avaient déserté ces derniers mois les rangs de l’armée régulière ont peu à peu regagné leur commandement.
Après des semaines d’affrontements interreligieux meurtriers, les combattants Séléka et les miliciens anti-Balaka qui s'affrontaient dans le quartier Bimbo, à la sortie sud de la capitale, ont mis fin aux hostilités après avoir offert des scènes de fraternisation sous les applaudissements de la population.
Parallèlement, les militaires français de l’opération Sangaris et les soldats africains de la mission internationale de maintien de la paix (Misca) ont intensifié leurs patrouilles contre les pillards armés de machettes et de gourdins. "Les hommes de Sangaris et de la Misca saturent l’espace. Et chaque coup de feu entendu fait l’objet d’une intervention, a pu constater Matthieu Mabin. Depuis la démission de Djotodia, les forces françaises et africaines sont parvenues à maintenir la violence à son plus bas niveau. En décembre, on pouvait dénombrer des centaines de morts en une journée, aujourd’hui on n’évoque plus que des cas isolés."
Dimanche, la Croix-Rouge internationale (CICR) a indiqué que, depuis vendredi, dix cadavres avaient été ramassés dans les rues de Bangui et que 57 blessés avaient été admis au seul hôpital communautaire de la ville.
Mise sous tutelle à double tranchant
"Sur le terrain, l’Histoire hésite entre l’apaisement et la violence, marquée par des tueries qui perdurent. Il s’agit donc d’une période qu’il faut abréger, affirme à FRANCE 24 le politologue Michel Galy, professeur à l’Institut des relations internationales (Ileri), à Paris. Nguendet assure l’intérim, mais il n’y a, pour l’heure, ni pouvoir élu, ni pouvoir de la rébellion, et un pouvoir, de fait, des armées française et tchadienne. Cela s’apparente à une mise sous tutelle, une situation qu’on n’avait pas vu depuis le Kosovo." Un haut patronage qui s’avère toutefois risqué. "La communauté internationale mise sur le fait qu’un nouveau président mène à des élections et apporte l’apaisement. À l’inverse, cela peut affaiblir encore un peu plus ce qu’il restait de l’autorité à Bangui", analyse Michel Galy.
Afin d’éviter que le pays ne sombre à nouveau dans une spirale de violence, les 135 membres du CNT devront ainsi choisir, parmi la dizaine de candidatures aujourd’hui déclarées ou supposées (voir encadré), la personnalité susceptible de prévenir toute reprise des combats. Entre les officiers rompus aux questions sécuritaires, les responsables politiques expérimentés, les figures consensuelles issues de la société civile et Alexandre-Ferdinand Nguendet lui-même, les différents profils ne manquent pas. "Il est difficile pour le moment de dire qui sera choisi. L’heure est actuellement aux grandes manœuvres entre Paris, le Tchad et le marigot politique à Bangui, affirme Michel Galy. Mais tout porte à croire qu’on se dirige vers un scénario à la libanaise avec un partage du pouvoir entre les différentes confessions : les sudistes chrétiens et les nordistes musulmans."
À charge ensuite aux nouvelles autorités de ménager les différents groupes armés qui ont pris part à la crise. La mission s’annonce d’ores et déjà délicate. "Pour le moment, les forces de la Séléka restent cantonnées avec leurs armes dans huit camps de la capitale, observe Matthieu Mabin. Elles attendent que le processus politique se mette en place afin de pouvoir rejoindre l’armée régulière. Mais, pour certains, ils sont des éléments déstabilisateurs et leur intégration reviendrait à mettre le vers dans le fruit. De leur côté, les anti-balaka considèrent qu’ils représentent les forces légitimes. L’amalgame des deux camps au sein de l’armée est prématuré et n’aura sûrement pas lieu à courte échéance."