Richard Descoings, directeur de Sciences-Po Paris, a été retrouvé mort mardi dans un hôtel de Manhattan. En seize années, il avait profondément transformé la grande école française et entamé l’ouverture de l’institution à la diversité.
"On se disait entre nous : ‘Oh tiens, j’ai croisé Richie aujourd’hui !’…" Dans les allées du
La mort du directeur de Sciences Po Richard Descoings restait inexpliquée mercredi, l'autopsie de son corps à New York n'ayant pas permis de parvenir à un résultat concluant.
petit jardin de Sciences-Po Paris, la consternation des étudiants est palpable. Comme Pétronille Coulon, 18 ans, élève de première année, des dizaines d’étudiants se sont rassemblés, mercredi 4 avril au matin, dans les locaux de l’école pour rendre un dernier hommage à Richard Descoings, directeur de l’établissement décédé dans la nuit du 2 au 3 avril à New York. Réunis par petits groupes, les élèves discutent, refont le film de cette nuit tragique sans vraiment comprendre ce qui a pu se passer. Richard Descoings était invité à New York pour une réunion de grands directeurs d'université, à laquelle il devait représenter l’Europe.
I a été retrouvé mort mardi 3 avril par la police de New York sur le lit de sa chambre de l’hôtel Michelangelo, dans le centre de Manhattan. Selon les autorités américaines, la chambre était "en désordre", mais le corps du directeur de Sciences-Po ne portait pas de "signe évident de traumatisme".
Un grand réformateur
• Une étude menée par Vincent Tiberj, chercheur au Centre d’études européennes de Sciences-Po, révèle les chiffres suivants : depuis 2001, 860 étudiants ont été admis au sein de l’IEP francilien via ce dispositif.
• La mixité sociale au sein de l’établissement est encore peu présente : la part des enfants d'ouvrier s'établit à 4,5% des effectifs en 2011. Celle des enfants d'employé grimpe à 7,5%. Il y a dix ans, ces valeurs étaient respectivement de 1% et 2%.
• En revanche, la progression du nombre d’élèves boursiers est plus flagrante. Ils sont 26 % en 2011, contre 6 % dix ans plus tôt. Mais les étudiants issus de milieux aisés sont toujours largement majoritaires et représentent 68 % des effectifs.
Avec le décès de son directeur, l’établissement-phare de l’éducation française perd une figure historique, que tous dépeignent en grand réformateur. Christian B. a été auditeur libre au sein de l’école, et se souvient, ému, d’un "homme de présence". "C’est assez rare. J’ai appris son décès ce matin et je suis venu directement. C’était un homme de valeurs, de convictions, de prises de position aussi. Il a beaucoup œuvré pour la réforme de Sciences-Po. L’ouverture de l’école à un public beaucoup plus large, le repositionnement de l’école à l’international, et la suppression de l’épreuve de culture générale au concours d’entrée… Il a fait beaucoup de choses en 16 ans", explique-t-il.
L’ouverture des portes de l’école aux milieux défavorisés, qui restera comme l’un de ses grands chantiers accomplis, a métamorphosé le visage de l’établissement. Le lycée Jean Renoir de Bondy a été l’un des premiers établissements à bénéficier de cette évolution.
Depuis 2003, 22 élèves ont intégré l’IEP francilien. Le coordinateur du dispositif au lycée, Philippe Destelle, se souvient : "C’était quelqu’un de très présent, très facile d’accès. Notre lycée est rentré dans le dispositif dès 2003. C’est Richard Descoings qui a porté le dossier à bout de bras. Et si aujourd’hui, dans beaucoup de grandes écoles, ces dispositifs ‘diversité’ existent, c’est grâce à lui. Il y aura un avant et un après Richard Descoings. Nous sommes tous un peu orphelins".
Un point de vue partagé par ceux qui l’ont côtoyé, comme Christian Stoffaes, professeur à Sciences-Po pendant 20 ans. Il décrit Richard Descoings comme un visionnaire, un précurseur doté d’une grande sensibilité : "Comme il aimait à le dire, il ne laissait personne indifférent. Il a démocratisé Sciences-Po, ouvert les portes aux milieux défavorisés. Quelque part, il a été l’un des pionniers de la discrimination positive en France. Il a révolutionné les universités françaises et fait partie des premiers à instaurer le principe des universités-entreprises. C’était un réformateur, il n’avait donc pas que des amis".
Polémique budgétaire
Car en dépit de l’unanimité apparente, Richard Descoings n’a pas été épargné par les polémiques. Fin 2011, le site d’information Médiapart a révélé qu’il était rémunéré à hauteur de 24 000 euros par mois, un chiffre mis en balance avec le salaire des présidents d’université en France : 4 500 euros en moyenne.
"Je pense qu’il était très touché par cette polémique", confie Christian Stoffaes. D’autant que la semaine passée, un rassemblement de protestation contre la politique budgétaire de l’établissement a été organisé par des étudiants. Lundi 26 mars, une cinquantaine de personnes ont manifesté devant les portes de l’école pour dénoncer les bonus octroyés à la direction tandis que, dans le même temps, les droits de scolarité ont augmenté.
Une polémique qui a désormais laissé place au recueillement. Ce mercredi, dès 2 heures du matin, l’établissement a ouvert ses portes pour permettre la tenue d’une veillée, organisée spontanément. Camille Bonnard, 19 ans, étudiante en première année, y a participé : "Une veillée a été organisée en son honneur dans le petit jardin de Sciences-Po. Nous sommes arrivés vers 2h30 et nous sommes restés toute la nuit. Au moins deux cents personnes sont passées durant la nuit pour lui rendre hommage et pour partager cet instant de recueillement. Des bougies avaient été installées, certains lui ont laissé des mots. C’était très touchant".
Mercredi matin, devant des dizaines de professeurs et d’élèves, Hervé Crès, le directeur des études de l’IEP a, lui aussi, rendu hommage à Richard Descoings. Le discours a duré un quart d’heure. La cérémonie s’est achevée, peu après 9 heures, par une minute de silence, puis cet appel : "J'invite maintenant les professeurs et les élèves à reprendre les cours parce qu'aujourd'hui, plus que tout autre jour, il faut que Sciences-Po vive".