Depuis la révolution du 14 janvier, les salafistes ont redoublé de dynamisme en Tunisie. Gros plan sur ce phénomène nouveau qui suscite l’inquiétude de la société civile tunisienne, notamment dans le domaine de l'enseignement.
À la suite de la révolution du 14 janvier, les Tunisiens ont assisté avec surprise à l’émergence d’un nouveau mouvement actif au sein de la société, dont les membres arborent d’inhabituelles barbes longues et des vêtements particuliers. Ces personnes qui ont commencé à organiser leurs propres réunions et activités se définissent eux-mêmes comme des salafistes. Leur nombre ne cesse d’augmenter aux quatre coins du pays, et plus particulièrement dans les quartiers populaires ou pauvres des villes. Le mouvement salafiste repose sur une vision particulière de l’islam et est caractérisé par sa proximité avec des organisations considérées comme extrémistes.
Le salafisme est généralement défini comme un courant islamiste qui prône un mode de vie semblable à celui du prophète Mahomet. Comme les autres courants islamistes soient-ils modérés ou extrêmes, le mouvement salafiste était pour le moins discret sous l’ère Ben Ali et précédemment sous le mandat de Bourguiba qui avait instauré un état laïque et moderniste contrant les mouvements islamistes.
Les salafistes s’affichent en Tunisie depuis la révolution
Un mois environ après la fin du soulèvement qui a mené à la chute de Ben Ali, le mouvement salafiste s’est fait plus présent dans le pays. La victoire du parti islamiste Ennahda aux législatives en octobre dernier a également créé un contexte propice à sa visibilité. Les salafistes se montrent désormais au grand jour, n'hésitant à faire des démonstrations de force. Certains d'entre eux ont ainsi pris d’assaut un lupanar de la capitale Tunis pour demander sa fermeture arguant qu’il s’agissait d’un lieu de perdition. De même sont-ils intervenus en septembre dernier dans une université de la ville de Sousse pour réclamer le droit de s’inscrire pour les étudiantes portant le niqab. Ce scénario s’est également répété en novembre dernier, quand a été séquestré des heures durant le doyen d’une faculté de Lettres pour obtenir de lui la séparation des étudiants des étudiantes, et la création d’une salle de prière dans l’enceinte de cette université.
Ces actions suscitent l’inquiétude d’un nombre grandissant de Tunisiens. Les salafistes de Tunisie n’ont d'ailleurs fait aucun effort pour rassurer la société civile, faisant usage de violences physique et morale.
Irruption des salafistes dans le domaine de l’Éducation
Ont été notamment rapportés des actes de violences à l’encontre de professeurs sous prétexte que ce qu’ils enseignent ne correspond pas à la doctrine salafiste, ses membres ayant "le devoir de réformer même par la force".
Interrogée par FRANCE 24, Fatima Jaghem, professeur d’art, témoigne de la violente agression qu’elle a subie de la part d’étudiants salafistes, lui ordonnant d’arrêter d’enseigner les arts représentatifs. L’un d'eux lui avait déjà demandé auparavant de porter le voile et face à son refus d’obtempérer ces agresseurs sont allés jusqu’à l’insulter publiquement sur le réseau social Facebook. Face à ces agressions répétées, et au vu du silence de sa direction et du ministère de l’Éducation nationale, Fatima Jaghem s’est vue contrainte d’abandonner l’enseignement.
Pour le professeur Sami Ben Amer, ancien directeur de l’Institut des Beaux-Arts à Tunis, le fait que les salafistes ciblent des lieux d’éducation et notamment des instituts d'arts s’explique par le fait qu’y sont abordées des matières contraires selon eux "aux principes de l’islam" comme la photographie, la peinture, ou la sculpture, matières basées sur la représentation "interdite et qui pousse à la discorde" selon les salafistes tunisiens. De même l’enseignement des langues étrangères est selon eux blasphématoire.
"Nous avons retrouvé des slogans inscrits sur les murs de notre institut disant par exemple : ‘nous nous vengerons de vous bande de mécréants’, ‘les images sont interdites selon la religion’". Il est devenu clair que cette catégorie de personnes extrémistes dans leur pratique de l’islam a établi que l’art était contraire à la religion. Ces arts qui sont enseignés depuis toujours en Tunisie sans qu’aucun religieux n’ait eu à y redire font maintenant partie des 'interdits' du mouvement salafiste tunisien.
Sami Ben Amer souhaite désormais l’interdiction des activités politiques dans les universités et autres lieux d’éducation. Il souligne par ailleurs la nécessité, afin de préserver l’équilibre du système éducatif tunisien, de dialoguer avec ces groupes extrémistes qui se sont érigés en défenseurs de l’islam.
Nombreux sont ceux qui comme Fatima Jaghem souligne l’inaction des autorités face à ce genre d’actes. Le porte-parole du ministère de l’Intérieur Hicham al Moadab assure pour sa part que les forces de l’ordre ne peuvent intervenir dans les établissements d’éducation tant que les directeurs de ces lieux ne font pas appel à eux.