Homme de l’ombre du pouvoir français en Afrique, Robert Bourgi est désormais sous le feu des médias après ses multiples révélations sur le système de la Françafrique. Retour sur le parcours d’un émissaire officieux controversé.
"En Afrique, reste à l’abri du soleil : il brûle", avait enseigné l’ancien "Monsieur Afrique" du général de Gaulle, Jacques Foccart, à son disciple et successeur autoproclamé Robert Bourgi. L'avocat français d'origine libanaise se retrouve pourtant aujourd’hui sous le feu des projecteurs depuis ses révélations dans le Journal du dimanche sur des remises d'argent liquide provenant de chefs d'État africains à Jacques Chirac et Dominique de Villepin. Bien curieuse position que celle d’un homme qui après être resté dans l'ombre pendant près de 30 ans s'expose volontairement en pleine lumière.
En le décorant de la Légion d’honneur en 2007, le président français, Nicolas Sarkozy, avait pourtant loué sa discrétion. "Je sais, cher Robert, pouvoir continuer à compter sur ta participation à la politique étrangère de la France, avec efficacité et discrétion", avait alors déclaré le chef de l’État. De son propre aveu à des journalistes du quotidien Le Monde en 2009, Robert Bourgi était alors "très écouté du locataire de l’Élysée". L’émissaire officieux avait, par exemple, obtenu la tête de Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État à la Coopération partisan d’une normalisation des rapports avec l’Afrique. Depuis, l’eau a coulé sous les ponts. L'héritier des réseaux de la Françafrique n’arpente désormais plus les couloirs de l’Élysée : il en a été écarté à l’arrivée d’Alain Juppé au ministère des Affaires étrangères en février 2011.
"Robert Bourgi incarne des pratiques obsolètes"
Pour Vincent Hugeux, auteur de l'ouvrage " Les Sorciers blancs, enquête sur les faux amis français de l'Afrique" (éd. Fayard, 2007), Robert Bourgi "incarne à la perfection ces pratiques obsolètes", qui consistent à livrer aux hommes politiques des valises pleines de billets venues tout droit d’Afrique. Pour le journaliste, également grand reporter pour l’hebdomadaire L’Express, "Robert Bourgi est un intrigant qui doit sa bonne fortune à son carnet d’adresses, à son entregent et à l’influence qu’il prétend avoir sur les affaires franco-africaines".
L’émissaire officieux fricote avec le pouvoir africain et français depuis une trentaine d’années. L’homme qui a tutoyé les chefs d’État d’Afrique francophone - il est le parrain de l’un des fils d’Omar Bongo -, a pris la suite des activités officieuses de l’Élysée en Afrique après la mort du très controversé Jacques Foccart en 1997.
Les deux hommes se connaissent de longue date : Jacques Foccart, alors conseiller de Charles de Gaulle en Afrique, était en relation d’affaires avec Mahmoud Bourgi, le père de Robert, un riche importateur de textile libanais installé au Sénégal. Après avoir mené ses études de droit en France, et présenté sa thèse intitulée "Le général de Gaulle et l’Afrique noire", Robert Bourgi contacte Jacques Foccart sur les conseils de son père pour entamer sa carrière. Il devient alors coopérant : il enseigne le droit en Mauritanie, puis au Bénin et enfin en Côte d’Ivoire. À Abidjan, il noue des liens avec Laurent Gbagbo, professeur d’histoire et futur président de la Côte d’Ivoire.
Jacques Foccart lui ouvre des portes
Introduit par Jacques Foccart dans les cercles politiques français, Robert Bourgi devient, dans les années 1980, conseiller de Jacques Chirac, alors maire de Paris et président de l’ancien parti de droite, le Rassemblement pour la République (RPR). Parallèlement, Foccart lui présente Félix Houphouët-Boigny, à cette époque président de la Côte d’Ivoire. À la mort de Jacques Foccart en 1997, Robert Bourgi reprend la mission de son maître et se rapproche de Dominique de Villepin. Selon ses aveux récents dans le Journal du dimanche, il joue pendant toute cette période les émissaires auprès des chefs d’État africains et achemine des mallettes pleines de billets à l’Élysée.
Finalement éconduit par Dominique de Villepin en 2005, il se présente à Nicolas Sarkozy, élu à la présidence française deux ans plus tard. Sa présence auprès du chef de l’État français ne fait pas que des heureux. Nombre de diplomates l’accusent de véhiculer l’idée que l’Afrique est "un continent qu’on ne tient que par les barbouzes". D’autres le suspectent de créer de faux conflits. Dans les colonnes du Monde, en 2009, il explique : "Je travaille à la fois pour les présidents africains et pour le président français.Je ne suis pas conseiller, plutôt missi dominici. Mais je ne me déplace jamais sans informer Sarkozy et Guéant."
Aujourd’hui, cette époque semble bel et bien révolue pour Robert Bourgi. Son influence auprès des chefs d’État d’Afrique francophone est à l’agonie : il s’est fâché avec Karim Wade, fils du président sénégalais ; Ali Bongo, président du Gabon et fils de son ami Omar Bongo, ne le reçoit plus de bonne grâce, et Laurent Gbagbo, président déchu de la Côte d’Ivoire, croupit désormais en prison. Que cherche donc aujourd’hui Bourgi en révélant les affaires secrètes de la Françafrique ? Selon Vincent Hugeux, qui répondait à la question d’un internaute sur le site de L’Express mardi après-midi, "il est très probable que Bourgi, qui redoute de disparaître de la scène, allume ainsi des contre-feux et rappelle à qui de droit la persistance d'une capacité de nuisance, fût-elle résiduelle".