
Mohamed Salah ne pourra rejoindre l'Égypte pour la CAN 2025 qu'à partir du 15 décembre. © Charly Triballeau, AFP
C'est une polémique qui s'invite à chaque Coupe d'Afrique ou presque… Alors que la compétition va débuter le dimanche 21 décembre, les clubs européens rechignent à libérer leurs joueurs pour qu'ils puissent rejoindre leurs sélections et entamer leur préparation pour la CAN 2025.
Les clubs ont fait le forcing auprès de la Fifa pour pouvoir garder leurs stars le plus longtemps possible à leur disposition. Et l'instance mondiale a acté le fait que l''EFC (l'association européenne des clubs) a eu gain de cause dans un communiqué diffusé mercredi 3 décembre.
Le règlement en matière de compétition internationale de la Fifa était pourtant clair : "Pour une compétition finale […], les joueurs doivent être mis à disposition et commencer à rejoindre leur équipe représentative au plus tard le lundi matin de la semaine précédant celle durant laquelle démarre la compétition finale en question, et doivent être mis à disposition par l'association le matin du lendemain du dernier match de leur équipe dans la compétition", prévoit pourtant le règlement du "statut et du transfert des joueurs de la Fifa".
Sa stricte application veut que les joueurs soient à la disposition des sélections dès le 8 décembre. Même si l'alinéa suivant précise que "les clubs et associations concernés peuvent convenir d’une période de mise à disposition plus longue ou de modalités différentes de celles prévues par l’alinéa 7 du présent article."
Une préparation rabotée de sept jours qui n'est pas sans poser des problèmes. Pour les sélections marocaines et comoriennes, cela signifierait qu'ils disposeront de leur effectif complet moins d'une semaine avant le match d'ouverture prévu le 21 décembre.
Colère sur le continent
"C'est problématique et c'est un manque de respect pour la CAN", tranche Patrick Juillard, journaliste chez Sports365 et grand habitué de la compétition. "Gouverner, c'est prévoir et en annonçant cette décision aussi tard, on piétine le boulot des sélections et des différents staffs qui pensaient avoir au moins une dizaine de jours pour préparer la compétition."
Le principe avait déjà été appliqué pour le Mondial 2022 au Qatar, exceptionnellement disputé en hiver. Cependant, la fenêtre réduite de préparation avait été annoncée largement en amont aux intéressés. Chez les sélectionneurs, c'est la stupéfaction et la colère qui prévalent après cette surprise de dernière minute.
"C'est un manque de respect par rapport aux sélectionneurs. Nous sommes en colère", lâche Gernot Rohr, sélectionneur du Bénin auprès de RFI.
Le coût financier d'une décision tardive
"Si les joueurs ne sont libérés le 15, nous n'aurons que trois entraînements avant de partir pour Marrakech quatre jours avant notre premier match. Trois séances, ce n'est plus un stage, mais juste du bricolage ! Et je trouve que pour préparer une Coupe d'Afrique des Nations, c'est dramatique", regrette Patrice Beaumelle, son homologue de l'Angola.
Les sélectionneurs insistent également sur les lourdes conséquences économiques induites par cette décision de la Fifa. La plupart des sélections avaient prévu des stages de préparation intensifs à l'étranger pour bâtir une cohésion de groupe et roder les systèmes de jeu. Ce temps de travail, désormais amputé, a pourtant été payé. Un travail colossal est ainsi jeté aux orties, et avec lui, les fonds engagés par les fédérations pour payer les frais d'hôtel, de transport ou encore de locations d'infrastructures avancées. Sans parler des matches amicaux qui étaient prêts à être disputés.
"Comment imaginer les équipes maintenir leur préparation si elle se retrouvent avec des demis ou tiers d'effectifs", interroge Patrick Juillard. Au-delà du préjudice sportif, c'est la gestion budgétaire des Fédérations africaines, souvent déjà fragiles, qui est brutalement mise à mal.
Un rodage capital devenu "ersatz ridicule"
Le journaliste rappelle que ces temps de préparation en amont des compétitions sont capitaux pour les sélectionneurs. Dans un calendrier toujours plus intense, les staffs ont de moins en moins de fenêtres internationales composées de matches amicaux pour travailler le fond. Les éliminatoires, que ce soit de la CAN ou de la Coupe du monde, sont quasi-permanents.
"Ils n'ont plus le temps pour travailler vraiment. À chaque fenêtre, il faut préparer prioritairement les deux matches et ne pas se rater", rappelle Patrick Juillard. "Ces dix jours-là étaient donc vraiment précieux. Là, ils ne vont avoir qu'un ersatz ridicule de préparation."
Cette situation de blocage pourrait paradoxalement avantager certaines sélections, dont les ossatures sont principalement bâties autour de joueurs évoluant sur le continent, dans les clubs locaux, souvent plus arrangeants que leurs homologues européens. C'est le cas de l'Égypte qui devra certes attendre pour récupérer ses stars Salah et Marmoush mais devrait pouvoir récupérer plus tôt le reste de son effectif. Même chose pour l'Afrique du Sud avec ses joueurs majoritairement issus des Orlando Pirates et des Mamelodi Sundowns.
L'éternel casse-tête de la date de la CAN
En creux, c'est l'éternel problème des dates de la Coupe d'Afrique des nations qui est à nouveau posé. Son organisation en hiver a toujours fait débat. Les clubs préfèreraient la voir se jouer en été, comme l'Euro, la Copa America ou la Coupe du monde et comme l'édition 2019 en Égypte.
Si la solution estivale arrange beaucoup de monde, c'est souvent au détriment du spectacle. Les conditions météorologiques sont déplorables sur une bonne partie du continent en raison de la saison des pluies ou en raison des fortes chaleurs. L'édition de 2019 n'a pas laissé un souvenir impérissable aux spectateurs.
Le Maroc souhaitait initialement un tournoi estival pour stimuler le tourisme et démontrer sa capacité à accueillir la Coupe du Monde 2030, mais la Fifa lui a demandé de privilégier l'hiver, pour éviter un chevauchement avec sa nouvelle formule de Coupe du monde des clubs. Le royaume a alors opté pour des dates inédites, à cheval entre deux années civiles, pour minimiser le parasitage avec la Ligue des champions. Las. Cela reste insuffisant pour les clubs.
"On déplace une CAN que le Maroc voulait organiser en été. Et désormais, on découvre que les équipes participantes auront une préparation quasi inexistante. C'est une double peine et c'est navrant", déplore Patrick Juillard.
Encore lors des derniers CAF Awards, Gianni Infantino aimait se présenter comme un ami du continent africain. Il vient pourtant de jouer un bien mauvais tour à sa compétition reine.
