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CAN 2025, quand le cœur des binationaux balance
Nés à Paris, Madrid ou Bruxelles, ils ont grandi avec deux cultures et deux drapeaux. À l’heure de la CAN 2025, de plus en plus de footballeurs binationaux tournent le dos aux grandes sélections européennes pour rejoindre le pays d’origine de leurs parents.
Cédric Bakambu (RD Congo), Rayan Aït-Nouri (Algérie), Pape Gueye (Sénégal) et Achraf Hakimi (Maroc) sont tous des binationaux. © Studio graphique FMM

Lors de la finale de la dernière Coupe d’Afrique, le 11 février 2024, l’avant-centre Sébastien Haller a offert la victoire à la Côte d’Ivoire en inscrivant un but décisif à la 81e minute face au Nigeria. Instantanément, il est devenu le héros de toute une nation. Ce footballeur est pourtant né à des milliers de kilomètres du pays des Éléphants, à Ris-Orangis, en Ile de France. De 2010 à 2015, il a d’ailleurs porté le maillot de l’équipe tricolore au sein des différentes équipes de jeunes. Ce n’est qu’à 26 ans, qu’il a finalement opté pour les couleurs du pays de sa mère.

Sebastian Haller n'est pas un cas isolé, loin s'en faut. Au cours de la dernière CAN, 200 des 630 footballeurs sélectionnés n’étaient pas nés sur le continent. Seuls trois pays, l’Afrique du Sud, la Namibie et l’Egypte n’en comptait aucun dans ses rangs. La compétition organisée cette année au Maroc devrait afficher un taux équivalent.

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Le joueur ivoirien Sébastien Haller après avoir marqué le deuxième but de son équipe lors de la finale de la Coupe d'Afrique des Nations de football entre la Côte d'Ivoire et le Nigeria, au stade olympique d'Ebimpe à Abidjan, en Côte d'Ivoire, le 11 février 2024. AP - Themba Hadebe

Des fédérations africaines de plus en plus professionnelles

De plus en plus de jeunes binationaux nés en Europe font en effet le choix de rejoindre les équipes nationales africaines. L'un des quatre fils de Zinedine Zidane, Luka a fait le buzz en septembre dernier. Après avoir évolué en jeunes chez les Bleus, le gardien de 27 ans, qui joue en D2 espagnol à Grenade, a opté pour les Fennecs. Comme il n'avait jamais rejoint l'équipe de France A, il était resté éligible pour jouer avec l'Algérie, le pays de ses grands-parents paternels. Dernier en date, le jeune attaquant du PSG Ibrahim Mbaye, âgé de 17 ans et né à Trappes, a joué pour la première fois en novembre avec le Sénégal lors de deux matches amicaux, après avoir porté les couleurs des équipes de France jeunes pendant deux ans. "Ibrahim Mbaye n'a pas eu besoin d'être convaincu. Quand le choix vient du joueur, c'est toujours plus facile. Pour certains joueurs, je pense qu'il faudra se déplacer, rencontrer les parents et leur présenter le projet. Ici, c'est un choix du cœur : Ibrahim a toujours voulu jouer pour le Sénégal", a commenté le sélectionneur sénégalais Pape Thiaw à son sujet. Son coéquipier chez les Bleus, le défenseur de Strasbourg Mamadou Sarr, âgé de 20 ans, a suivi le même chemin et a décidé de représenter le Sénégal.

Pendant longtemps, cette décision représentait plutôt un plan B, mais tout a changé au cours des dernières années, comme l’explique le journaliste sportif belge Sacha Tavioleri : "Avant les fédérations africaines venaient approcher les joueurs européens avec des originaires étrangères mais de façon peu professionnelle. Elles se sont désormais professionnalisées et envoie des scouts, des recruteurs sur place, qui sont des véritables émissaires pour flirter avec les joueurs et leurs entourages".

La locomotive marocaine

Pour ce spécialiste de la question des binationaux, le pays le plus en avance sur la question est le Maroc. "Ils ont carrément une équipe missionnée pour le faire", précise Sacha Tavioleri. Cette stratégie s’est révélée payante : 14 des 26 joueurs composant l’effectif des Lions de l'Atlas demi-finalistes du Mondial 2022 au Qatar ont vu le jour en dehors du Maroc. Symbole de cette réussite, le joueur du PSG Achraf Hakimi, récent Ballon d’Or africain 2025. Né à Madrid, il a reçu une première convocation avec l’équipe d’Espagne des moins de 19 ans, avant d’opter pour la sélection marocaine, pays d’origine de ses parents. "C’est la cerise sur le gâteau. Personne ne s’attendait à ce qu’il soit aujourd’hui l’un des meilleurs joueurs du monde", décrit Sacha Tavioleri. "Il représente désormais un rêve pour les jeunes d’origines marocaines nés en Europe".

Grâce aux investissements réalisés par le Maroc en matière d’infrastructures et d’encadrement, les footballeurs qui optent pour cette sélection savent aussi qu’ils vont bénéficier d’un environnement favorable. Les résultats sont également au rendez-vous, comme le souligne le journaliste : "Le Maroc a un projet qui permet de construire des carrières dans ce pays. Son image a complètement changé. L’équipe U20 a prouvé son efficacité en remportant récemment la Coupe du monde. Si on prend une équipe européenne comme la Belgique, elle est désormais au même niveau que le Maroc. Les deux pays ont atteint une demi-finale d’un Mondial".

Récemment, le jeune Chemsdine Talbi, né à Sambreville en Belgique et qui évolue à Sunderland, a déclenché une polémique en optant finalement pour le Maroc après avoir évolué pendant trois ans dans les équipes jeunes belges. "Avant de les sélectionner, ils doivent nous faire savoir s'ils veulent choisir la Belgique", s’est emporté le directeur technique national (DTN) belge Vincent Mannaert. "Ils sont nés ici et ont fait leur éducation en Belgique, où les clubs ont investi beaucoup de temps et d'énergie. Et si à un moment donné ils ne peuvent pas choisir la Belgique, c'est leur droit, mais nous continuerons avec les joueurs qui le souhaitent". En réponse, le jeune ailier s’était justifié sur l’antenne de Canal + : "J’ai choisi le Maroc, même si j’ai fait la plupart de mes classes en Belgique. C’était le moment de se poser la question (de savoir) pour quelle nation j’allais jouer. C’est plus un choix personnel, comme pour tous les joueurs (binationaux)".

En ce moment, le débat fait rage autour du prometteur milieu de terrain de Lille Ayyoub Bouaddi. Courtisé par le Maroc, l’international français aurait officieusement déjà opté pour les Lions de l’Atlas, selon plusieurs médias. "Pour l’instant, je suis en équipe de France Espoirs et je me sens bien. Et pour vous dire toute la vérité, ma seule décision actuelle est de me laisser du temps pour choisir", avait-il simplement expliqué à So Foot en avril dernier. "Comme lorsque j’ai choisi Lille, je prendrai ma décision seul, sans me laisser influencer".

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auto_awesome Langue source : Anglais 234 / 5 000 Mirko Ivanic (à gauche), de l'Étoile Rouge, dispute le ballon à Ayyoub Bouaddi, de Lille, lors du match de football comptant pour la phase d'ouverture de la Ligue Europa entre l'Étoile Rouge et Lille, à Belgrade, en Serbie, le 6 novembre 2025. AP - Darko Vojinovic

Mais comme le souligne Sacha Tavioleri : "Toutes les fédérations n’ont pas non plus la force économique du Maroc pour aller alpaguer les joueurs. Le Congo par exemple peut compter sur des ambassadeurs comme Noah Sadiki". Ce joueur de Sunderland, né à Bruxelles, a pendant longtemps évolué dans les équipes jeunes belges, avant de finalement opter pour la RDC en 2023, malgré la réticence initiale de ses parents qui souhaitait le voir continuer à jouer pour les Diables rouges. "C’est vraiment un homme qui représente dans son cœur le Congo. Il a déjà rameuté pas mal de joueurs de Belgique dans l’équipe de RDC comme Michel-Ange Balikwisha ou Matthieu Epolo. Il fait un travail de l’intérieur comme un cheval de Troie".

Des gros talents qui restent en Europe

Cependant, de nombreux joueurs font le choix inverse, celui du pays d'accueil de leurs parents. Longtemps espéré par les supporters algériens alors même qu’il n’en avait jamais exprimé le souhait, l’attaquant de Manchester City Rayan Cherki, né à Lyon, a opté pour l’équipe de France. Courtisé par la Côte d’Ivoire, la pépite du PSG Désiré Doué a lui aussi choisi les Bleus. Son frère, moins en vue, Guéla Doué, du RC Strasbourg a en revanche choisi les Éléphants. 

Malgré les moyens qu'il a déployés, le Maroc n’a pas non plus réussi à attirer le phénomène du Barça Lamine Yamal. Le sélectionneur du Maroc Walid Regragui avait pourtant expliqué dans l’émission espagnole El Chiringuito (la buvette, NDLR) avoir tout fait pour le convaincre de jouer pour le pays d’origine de son père.  "Nous avons parlé avec lui, sa famille et son avocat. On a parlé du projet que nous avons avec le Maroc, de la Coupe d'Afrique des nations dans notre pays, de la Coupe du monde 2030, de l'affection que le pays porte à Lamine. Mais le gamin n'a jamais menti. Il n'a pas joué au jeu du 'Je suis Marocain ou Espagnol'. Il a décidé de jouer avec l'Espagne". Pour Sacha Tavioleri, cette décision s’explique avant tout par l’entourage du jeune joueur : "Il y a eu l’influence du FC Barcelone et de la fédération espagnole. Il a aussi été mis en avant parce qu’à un moment il a choisi l’Espagne".

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L'Espagnol Ferran Torres (en bas) est félicité par Lamine Yamal après avoir marqué le 4e but de son équipe lors d'un match de football du groupe E des qualifications pour la Coupe du monde entre la Turquie et l'Espagne au stade Konya Büyüksehir, à Konya, en Turquie, le 7 septembre 2025 AP - Khalil Hamra

Ce choix est aussi un choix de la raison. La Belgique est moins attractive pour les binationaux car elle ne n’affiche aucun titre au compteur. "L’Espagne a en revanche enchaîné les victoires avec un Mondial en 2010 et trois Euro en 2008, 2012 et 2024. La France a aussi été deux fois championnes du monde en 1998 et 2018. Cela reste dans les mémoires de ces joueurs même s’ils étaient jeunes à l’époque". Pour preuve, le jeune Maghnes Akliouche, courtisé par l’Algérie, n’a jamais répondu aux sollicitations des Fennecs. Le milieu de terrain de l’AS Monaco, né à Tremblay-en-France en Seine-Saint-Denis a fait toutes ses classes en bleu chez les équipes jeunes et a été convoqué pour la première fois par Didier Deschamps cet été. "J'ai un profond respect pour l'Algérie qui est le pays d'origine de mes parents. Mais j'ai fait toutes mes classes en équipe de France, dans les équipes de jeunes, chez les Espoirs, avec les Olympiques. C'était la suite logique de continuer à représenter la France", avait-il expliqué au journal L'Equipe, avant d’ajouter "La Coupe du monde 2018 m'a beaucoup marqué. J'ai aussi regardé d'autres vidéos. L'équipe de France a une grande histoire avec énormément de grands personnages. C'est une fierté d'avoir été appelé".

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