logo

Peter Dench photographie le mauvais goût à l'anglaise

, envoyée spéciale à Perpignan – Depuis 1999, le Britannique Peter Dench a glané à travers le Royaume-Uni plus de 150 clichés de la jeunesse alcoolisée, de l'aristocratie arrogante, et de l'humour britannique. Une sélection est présentée au festival Visa pour l'Image.

Rendez-vous est pris avec le photographe Peter Dench à Perpignan. À voir ses photos de vieux Britanniques hilares sur un parking du derby ou de jeunes femmes assises dans l'herbe, protégées de la pluie sous une bâche aux couleurs de l'Union Jack et happées par un match de foot, il fallait en déduire que l'interview allait forcément être un moment sympathique autour d'une bière. Ce pressentiment se renforce à la lecture des tweets de Peter Dench, qui sont une succession de traits d'esprit 100 % British.

Mais, pour tout dire, le rendez-vous était également très redouté. Car si le photographe britannique, âgé de 39 ans, a pris l'habitude de se réfugier dans le caustique, il sera difficile de tirer quoi que ce soit de consistant à mettre dans un article.

"C'est très courant, que les gens se fassent des idées préconçues à partir du contenu de mes photos", fait remarquer Peter Dench, amusé. "On croit que, parce que j'expose des photos de personnes saoules lors de soirées, je suis moi-même un fêtard alcoolique." Preuve que non : alors que la fête battait son plein, Peter Dench s'est éclipsé de la soirée de clôture de Visa pour l'Image, peu après les douze coups de minuit, pour rentrer dormir.

Mais tout de même, concède-t-il, son amour de l'Angleterre "beauf", alcoolisée et de mauvais goût remonte à son enfance dans la ville côtière de Weymouth. "Mes parents ont tous deux travaillé dans une brasserie, et mon père faisait partie de l'équipe locale de foot. Autant dire que j'ai passé mon temps au pub. Weymouth est une ville violente, le week-end débarquent des marins en rut, les soirées sont très alcoolisées."

"L'humour vient avec le temps, quand j'ai pris confiance en moi"

Le petit Peter Dench s'imagine d'abord en joueur de cricket. Puis, à 14 ans, son père lui offre un appareil photo, un Pentax ME super. Ses premiers sujets de photo : "d'abord des coccinelles et ce type d'insectes. J'ai mis beaucoup de temps à photographier des êtres humains. C'est dommage. Rétrospectivement, ça me plairait bien d'avoir des documents de la vie nocturne de Weymouth de cette époque."

Les toutes premières personnes qu'il ose approcher avec un boîtier noir : les vieilles dames dont s'occupe sa mère en tant qu'aide à domicile. Pose-t-il déjà sur elles un regard d'ironie ? "Non, pas vraiment. Je suis sûr de pouvoir trouver dans mes archives quelques femmes obèses assises au fond d'un gros fauteuil, ou des coups de soleil sur la nuque et les bras. Mais non, l'humour est venu avec le temps, en prenant confiance en moi."

Puis Peter Dench se ravise : "En fait, c'est surtout quand j'ai pris conscience de l'existence des classes sociales en Grande-Bretagne, vers l'âge de 18 ans, que mes clichés ont pris ce tournant caustique. Avant cela, je ne savais même pas que les noms à particule existaient !" L'adolescent cherche alors toutes les occasions de se rendre à des derbys et des rallyes, dans des universités huppées. C'est peut-être cela, le but de son travail photographique : avoir l'occasion de chatouiller la barbe des aristocrates, leur taper sur le ventre et s'amuser de leur mauvais goût comme de celui des classes populaires. La tache sur la veste d'un aristocratique, un homme qui vomit à côté d'un couple qui s'embrasse, les petits-déjeuners gras et lourds, les soirées trop arrosées... 

Depuis 1999, c'est ainsi plus de 150 photos qui se accumulées dans le portfolio de Peter Dench. L'Angleterre des derbys et des ports, celle des ados imbibés d'alcool et celle des personnes âgées retombant amoureuses.

L'incompris des puristes

À Visa pour l'Image, son exposition amuse beaucoup. Peter Dench sait disposer ses photos de telle sorte qu'elles provoquent des émotions contradictoires et fortes. Il sait cependant qu'il ne plaît pas toujours à certains puristes du photojournalisme qui ne jurent que par les conflits et l'actualité, ou à ceux qui lui préfèrent le travail, assez proche, de Martin Paar. "Mon travail sur l'alcoolisme en Angleterre, montré il y a quelques années à Visa pour l'Image lors des soirées de projection, a été hué par le public. Je l'ai pris personnellement, certes. Mais tout le monde a le droit de huer. Je suis le premier à me l'octroyer."

Lors de cette édition 2011 du festival, Peter Dench a un challenger notable : Jocelyn Bain Hogg, l'homme qui a approché d'assez près la mafia britannique "old school", pour en tirer des portraits saisissants. Hogg et Dench se connaissent bien. D'une certaine manière, ils documentent chacun un aspect de la société britannique. Au premier les grimaces de la pègre, au second la vérité nue de la masse. Jocelyn Bain Hogg aurait été passionnant à interviewer, mais il a préféré poser un lapin à notre rendez-vous. Il a été tout aussi peu gentleman avec Peter Dench, qui aurait voulu s'entretenir avec lui pour un nouveau magazine britannique de photographie, le Hungry Eye Magazine.

L'occasion a donc manqué pour couper court aux fantasmes : l'attitude et le physique de Hogg ne présentent-ils pas des similitudes avec le sujet de ses photos ? Comment a-t-il pu, sinon en leur donnant des gages d'appartenance, approcher ces chefs de la pègre d'aussi près ? À cette idée, Peter Dench s'esclaffe. "Encore cette idée qu'un photographe colle avec son sujet ! Je suis certain que non." Dommage, nous ne pourrons pas vérifier.