De retour d'un séjour aux États-Unis, destiné à étudier la façon dont l’origine des citoyens américains est prise en compte, dix élus locaux issus des minorités appellent à un emploi des statistiques ethniques en France.
Après un séjour d'une semaine aux États-Unis mi-juillet, dix membres de l’Association nationale des élus locaux pour la diversité (Aneld) sont rentrés avec un message : il est temps pour la France de recueillir des données sur sa population en fonction de ses origines ethniques.
L'Aneld, une organisation composée d'élus de Seine-Saint-Denis (en banlieue parisienne), majoritairement d'origine nord-africaine, a été créée en 2008 pour réfléchir à différentes problématiques liées à la diversité, telles que l'emploi, l'égalité des chances ou les discriminations.
À Washington, la délégation française a rencontré des membres d'organisations de la société civile, comme la Ligue urbaine nationale ou la Coalition arc-en-ciel du révérend Jesse Jackson, ainsi que des membres des secteurs public et privé. Le séjour, financé en majeure partie par la Fondation franco-américaine et l'ambassade américaine à Paris, visait à étudier comment les États-Unis font face à la délicate question de la diversité ethnique.
Leila Leghmara, l'une des membres de l'Aneld qui a participé au voyage, raconte que certains représentants américains ont été surpris d'apprendre que les statistiques ethniques étaient interdites en France.
Avoir une "image claire" de la situation
Considérées comme un moyen de contraindre les citoyens à s'identifier à un groupe donné, défini de façon peu pertinente, les statistiques ethniques sont interdites par la Constitution française. Certains considèrent toutefois que ces chiffres sont nécessaires dans un pays où la diversité ethnique ne cesse de s'accroître. Pour l'Aneld, ils pourraient même aider à combattre les discriminations. "L'évaluation statistique permettrait d’évaluer les injustices et de les corriger plus rapidement, pour une meilleure cohésion nationale", a ainsi plaidé le président de l'association, Kamel Hamza.
Mais cette position est loin de faire l'unanimité en France, où le sujet revient régulièrement sur le devant de la scène. En 2009 par exemple a été créé le Comité pour la mesure de la diversité (Comedd). Arguant du fait que le manque de données constituait un frein aux efforts mis en œuvre pour aider les minorités, le président Nicolas Sarkozy avait fait part de sa volonté, en décembre 2008, de doter la France d’"outils statistiques permettant de mesurer sa diversité". Associations de lutte contre les discriminations, chercheurs et membres de l'opposition s'étaient alors opposés à cette idée.
Dans son rapport publié en février 2010, le Comedd plaidait pour "un usage critique et responsable de l'outil statistique", mais ne mentionnait pas explicitement l’emploi de statistiques ethniques.
Relancer le débat
De retour des États-Unis, les membres de l'Aneld relancent donc le débat. "Nous sommes issus de différents courants politiques - de droite, de gauche, du mouvement écologiste... - mais nous sommes tous d'accord sur le fait que les débats sur la laïcité et l'identité nationale contribuent à diviser notre société, souligne Leila Leghmara. Ils n'aident pas à favoriser la cohésion."
"Si nous voulons améliorer la situation des minorités en France, nous devons être capables de l'évaluer, poursuit Leila Leghmara. Pour sensibiliser la population, nous devons lui montrer des chiffres." Faisant écho à une question qui lui a été posée par certains interlocuteurs américains, elle s'interroge à haute voix : "Comment pouvons-nous corriger ou améliorer une situation quand nous n'en avons pas une image claire ?"
La vision de ces élus de l'Aneld a toutefois été rapidement réfutée par le président du Haut conseil à l'intégration (HCI), Patrick Gaubert. Dans un communiqué publié le 22 juillet, celui-ci a estimé que l'on n'avait "pas besoin de comptabiliser les Français et les étrangers résidant en France par appartenance communautaire et/ou en catégories raciales pour lutter contre les discriminations".
les États-Unis ont une longueur d'avance
Kamel Hamza retire de ce séjour le sentiment que les Américains sont largement en avance sur la France en matière de gestion de la diversité. "Le responsable du département des Affaires étrangères qui nous a accueillis était Afro-américain et son assistante était blanche, raconte-t-il. En France, c'est habituellement l'inverse. Cela nous a vraiment surpris."
"En France, il est possible [pour les personnes d'origine étrangère d'obtenir des postes à responsabilité], mais seulement si elles ont le soutien des 'bonnes' personnes. C'est le problème avec les minorités ethniques dans notre pays : elles n'ont pas accès aux mêmes réseaux que les autres."
Consciente du fait que le principe des statistiques ethniques est encore loin d'être accepté en France, Leila Leghmara estime que son association a déjà remporté une première victoire en relançant le débat. Des membres de l'Aneld doivent rencontrer ce lundi le commissaire à la diversité et à l'égalité des chances, Yazid Sabeg. En septembre, ils adresseront un courrier à différentes associations pour organiser une table ronde sur le sujet. Ils souhaitent également faire de la lutte contre les discriminations un thème essentiel de la campagne présidentielle.