Tandis que le régime durcit la répression contre le soulèvement populaire qui a débuté dans le pays il y a six semaines, les chrétiens de Syrie observent les évènements avec prudence, craignant pour leur avenir.
Alors que le régime syrien s’emploie à réprimer avec violence les manifestations appelant à son renversement et que la contestation s’étend et se radicalise dans le pays, certaines franges de la population syrienne - multiconfessionnelle - observent avec prudence ce mouvement qui bouscule le régime du président Bachar al-Assad, au pouvoir depuis 2000.
Scénario irakien
Depuis le début du soulèvement, les deux millions de chrétiens qui vivent en Syrie (12 % de la population) se sont tenus à l'écart des manifestations, constituées d'une écrasante majorité de sunnites, fer de lance de la mobilisation. "La plupart des chrétiens sont restés en marge de la révolte syrienne, attentistes. Ils craignent une issue défavorable à la crise qui porterait atteinte à leur vie et à leurs biens", explique Mohamed Ajlani, professeur de sciences politiques et de relations internationales au Centre d'études diplomatiques et stratégiques (CEDS), joint par FRANCE 24.
itAu sein de cette communauté, l'inquiétude de voir se reproduire le scénario irakien est très forte. Beaucoup ont peur d'être contraints à l'exil, comme l'ont été les chrétiens irakiens depuis la chute de Saddam Hussein, victimes de plusieurs attentats meurtriers. "La déstabilisation de la Syrie pourrait compromettre les rapports entre les communautés religieuses et, de la même manière que cela s’est produit en Irak après l’occupation des Américains, nuire aux deux millions de chrétiens qui vivent dans le pays", déclarait récemment le vicaire apostolique catholique latin d’Alep, Mgr Giuseppe Nazzaro, à l’agence missionnaire Misna.
Jusqu'à présent en effet, la famille Assad, au pouvoir à Damas depuis 1970 et elle-même issue de la minorité religieuse alaouite (dérivée de l’islam chiite), a placé de facto sous sa protection les minorités chrétiennes et druzes du pays. "Le régime a toujours cherché à entretenir une relation privilégiée avec les chrétiens de Syrie afin d’asseoir sa légitimité interne. En s’alliant avec les minorités, le pouvoir a voulu équilibrer les rôles face à la majorité sunnite, et entretenir son image de rempart contre l’islamisme vis-à-vis de l’extérieur", analyse Mohamed Ajlani.
Pris en étau
De leur côté, les chrétiens ont été confortés au fil des ans par la nature laïque du régime et par la mise au pas de l’islamisme radical dont ils redoutent la prise de pouvoir en cas de révolution. "Les Assad ont toujours exploité cette carte, prétendant qu'en cas de chute du régime, le chaos règnerait et que les chrétiens seraient les premiers à payer les pots cassés", relève Mohamed Ajlani.
En échange de la sécurité et de la liberté de culte, les chrétiens de Syrie ont renoncé à jouer un rôle politique semblable à celui de leurs coreligionnaires libanais. Et ce malgré la présence de quelques-uns de leurs représentants au sein du gouvernement ou du Parlement. C’est au prix de ce marché implicite - et non pas tant par adhésion politique au régime des Assad - que l’une des plus vieilles communautés chrétiennes du monde a réussi à prospérer économiquement dans un climat de tolérance religieuse.
"Les chrétiens de Syrie sont une composante très active de la société syrienne, notamment dans les domaines économiques et culturels. Si certains se sont accommodés du régime et ont profité du système pour s’enrichir, d’autres ont choisi l’opposition et la clandestinité, à l’image des autres communautés", analyse pour sa part Samir Arbache, historien des religions et spécialiste du Proche-Orient à l'université catholique de Lille, joint par FRANCE 24.
Prise en étau entre les manifestations appelant à la chute du régime et l’attente d’une solution politique à la crise, la communauté chrétienne hésite donc à prendre position. "Si le régime tombe, on risque de subir, à tort, la colère de tous ceux qui ont été frustrés par le régime des Assad. Si nous participons aux manifestations, le régime risque de nous le faire payer très cher en s’attaquant à nos droits. Dans les deux cas nous sommes perdants !", conclut Sami, un jeune chrétien maronite de Damas.