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L'armée à l'épreuve de la contestation sociale

Près d'une semaine après le départ du président Hosni Moubarak, la contestation sociale a pris le pas sur la révolte politique. Au risque de compromettre, selon l'armée au pouvoir, l'épineux processus de transition.

Six jours après la chute du président Hosni Moubarak, la contestation sociale a désormais pris le pas sur la révolte politique. Depuis lundi, des milliers d’Égyptiens se sont mis en grève et manifestent dans le pays pour réclamer de meilleures conditions de travail, une hausse des salaires et une sécurité sociale pour tous les travailleurs quel que soit leur revenu.

Cette grogne sociale inédite touche une grande partie des secteurs d’activité égyptiens – métallurgie, textile, service public – et gagne, en dehors du Caire, de plus en plus de villes. À Helwan, une banlieue au sud du Caire, à Mahallah, dans le delta du Nil, à Ismaïliya, sur le canal de Suez, ou encore à Port-Saïd, le mot d’ordre est le même : obtenir rapidement des réformes sociales. Certaines usines sont en grève depuis plusieurs jours comme celle de Misr Filature et Tissage (24 000 employés), la plus grande manufacture de textile du pays.

Rassemblements spontanés

Dans un communiqué publié le 2 février, l’Organisation internationale du travail (OIT) rappele que le chômage et le sous-emploi en Égypte demeurent parmi les plus élevés au monde. C’est donc "sans grande surprise" que la population, galvanisée par leur révolution politique, déclenche ce "déferlement historique de revendications populaires", estime l’organisation.

"Dans la capitale, tous les rassemblements sont spontanés", raconte Alexandra Renard, envoyée spéciale de FRANCE 24. "Par groupe d’environ 200 personnes, les protestataires passent dans les rues avec leurs pancartes, mais ils ne sont pas organisés. D’un côté de la rue, des étudiants défilent. Sur le trottoir d’en face, des policiers manifestent, il est donc assez compliqué de les suivre, précise-t-elle. On ne perçoit pas non plus la présence des syndicats qui ne semblent pas avoir la mainmise sur ces mouvements autonomes."

Malgré le manque de coordination, tous ces conflits sociaux ont pourtant un point commun depuis la chute de Moubarak : le sentiment de pouvoir désormais s’exprimer librement. Après trois décennies de dictature, "les gens se sont rendus compte qu’ils avaient un créneau à saisir pour exprimer toutes leurs revendications sociales sans être inquiétés, explique Cyril Vanier,envoyé spécial de FRANCE 24 au Caire. Ils ne craignent pas de représailles et, en plus, ils ont confiance en l’armée."

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L’armée appelle à la reprise du travail

Soucieux d’éviter la paralysie économique du pays, le Conseil suprême des forces armées, qui dirige le pays, a, de son côté, exhorté les grévistes à reprendre le travail. Mardi, il a mis en garde contre les conséquences "désastreuses" de nouveaux mouvements sociaux en soulignant que les problèmes du pays "ne pouvaient être résolus avant la fin des grèves et des sit-in".

Signe de l’effet de ces grèves sur les institutions du pays, la réouverture des universités et des écoles a été reportée d’une semaine, et la Bourse du Caire, fermée depuis le 27 janvier, ne rouvrira pas avant dimanche.

Cet appel au calme est nécessaire pour mener à bien la transition démocratique du pays, estime Alexandra Renard. "L’armée est plongée dans les problèmes politiques de l’Égypte, elle ne peut pas faire face dans le même temps à la grogne sociale montante".

Le Conseil suprême est chargé de présenter, dans un délai de dix jours, des amendements à la Constitution, qui seront soumis à un référendum d’ici deux mois. Il doit également préparer les prochaines élections législatives et présidentielle, qui auront lieu en septembre.

À l’instar des militaires, beaucoup de citoyens égyptiens s’inquiètent pour l’économie du pays, déjà fortement dégradée depuis les manifestations anti-Moubarak. Selon certains d’entre eux, interrogés par nos envoyés spéciaux, le pays souffre aujourd’hui de la désertion des voyageurs étrangers. Le tourisme rapporte environ 13 milliards de dollars par an à l’État et représente près de 10% des emplois.