Les Chinois ont simulé un blocus maritime de Taïwan, lundi 14 octobre. Ils se sont entraînés simultanément à garantir une supériorité aérienne avec un soutien maritime au-dessus de l’île, à bloquer l'accès aux "ports et zones clés" et à organiser un assaut des cibles maritimes et terrestres. C'est l'un de ses exercices militaires les plus intrusifs menés par l’armée chinoise aux abords de Taïwan.
Ce "test des capacités opérationnelles conjointes [air et mer]" de l'armée chinoise doit servir d'"avertissement sérieux aux forces 'séparatistes' taïwanaises", a assuré Li Xi, le porte-parole du commandement militaire du théâtre oriental de l’armée.
"Épées unies-2024B"
L’opération, baptisée "Joint Sword-2024B" ("Épées unies-2024B"), a été déclenchée quelques jours après le discours du président taiwanais Lai Ching-te, prononcé à l’occasion de la fête nationale, jeudi 10 octobre. "Certains propos de Lai Ching-te avaient de quoi irriter Pékin, qui considère Taïwan comme partie intégrante de son territoire. Il a notamment suggéré que les gouvernements chinois et taïwanais devaient être traités sur un pied d’égalité", souligne Marc Lanteigne, spécialiste de la Chine à l'Université arctique de Norvège.
Preuve de l'ire chinoise : le pouvoir a déployé les grands moyens pour envoyer son signal à Taïwan. L'armée de libération du peuple a non seulement mobilisé plusieurs navires de guerre de sa flotte orientale - dont un porte-avion -, mais elle a aussi fait appel à cinq navires des garde-côtes chinois.
En Chine, ces patrouilleurs sont directement rattachés à l’armée, et représentent une force d’intimidation "qui a pris de plus en plus d’importance au sein du dispositif de projection de puissance chinois", précise Zeno Leoni, spécialiste des questions de sécurité chinoise au King’s College de Londres.
Pékin n’a pas mobilisé le commun des garde-côtes. Les autorités ont notamment fait appel au patrouilleur CCG-2901, un bateau qui entre dans la catégorie des navires "monstres" de la flotte des garde-côtes chinois. Il s'agit d'un géant de 165 mètres de long, qui pèse plus de 10 000 tonnes, et dont la taille est similaire à certains destroyers nord-américains. Ce sont des mastodontes maritimes "dont le but premier est d’impressionner et de faire peur au camp adverse", affirme Zeno Leoni.
"C’est la première fois que le 'CCG-2901' intervient autour de Taïwan", souligne le Global Times, l'un des principaux médias officiels chinois anglophones. "La flotte des garde-côtes chinois est davantage utilisée en mer de Chine méridionale, dans le cadre du conflit maritime avec les Philippines", souligne Zeno Léoni.
La participation du "CCG-2901" et des quatre autres navires des garde-côtes aux exercices autour de Taïwan représente un signal fort envoyé aux autorités à Taipei. "C’est la preuve que la Chine s'entraîne à une opération de blocus impliquant tous les composants de son armée [porte-avions, vaisseaux de guerre maritime traditionnels, troupes de débarquement et la force moins conventionnelle des garde-côtes]", estime Zeno Leoni.
La logique nationaliste chinoise
L'opération "Épées unies-2024B" pousse aussi la logique de la confrontation ouverte entre la Chine et Taïwan toujours plus loin. "Depuis la visite de Nancy Pelosi, alors présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, à Taiwan en 2022, la Chine n'a pas cessé d’augmenter graduellement la pression sur l’île et son allié nord-américain", souligne Zeno Leoni. À l'époque, l'armée chinoise avait déjà organisé des exercices visant à simuler un blocus maritime... mais de moins grande ampleur.
Ces nouveaux exercices militaires font suite à une opération similaire, organisée en mai 2024, peu après à la cérémonie d’investiture du président Lai Ching-te. À l'époque, il n’était pas encore question de blocus total du territoire, ni de faire intervenir les garde-côtes.
Cette fuite en avant de la Chine, qui multiplie les provocations, peut s'expliquer en grande partie par un contexte "économique et politique compliqué pour la Chine", estime Lewis Eves, spécialiste des questions de sécurité en Chine à l’université de Sheffield.
Le ralentissement de la croissance économique chinoise "a mis Pékin sur la défensive diplomatiquement", estime Marc Lanteigne. Pour cet expert, le régime chinois "craint que les États-Unis, moins impressionnés par la puissance économique chinoise, en profitent pour renforcer leur soutien à Taïwan et aux revendications indépendantistes de l'île".
Face au ralentissement économique, le régime ne peut en effet "plus compter sur les promesses de prospérité comme principal socle de sa légitimité. Il a, de ce fait, développé toute une rhétorique nationaliste pour consolider le régime. Il doit donc agir en conformité avec ce nouveau crédo nationaliste. Réaffirmer ses prétentions sur Taïwan fait partie de cette logique", note Lewis Eves.
Si la Chine sort l'artillerie la plus lourde possible, c'est pour faire comprendre à Washington que Pékin "est très sérieux quant à ses revendications sur Taïwan", note Marc Lanteigne. "L'indépendantisme taïwanais et la paix dans le détroit de Taïwan [qui sépare le territoire insulaire de la Chine continentale] sont deux choses parfaitement incompatibles", a ainsi averti lundi après-midi Mao Ning, une porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères.
Jouer sur les hésitations chinoises
Le problème est que "militairement, la Chine n'a pas envie d’une guerre ouverte avec Taïwan qui entraînerait probablement un conflit avec les États-Unis", assure Marc Lanteigne. D'où le choix d’un blocus. En effet, Pékin peut parier sur le fait "qu’un blocus n'entraînera pas l'intervention des États-Unis", estime Zeno Léoni. Pour lui, Washington aura probablement politiquement du mal à faire accepter à son opinion de s'engager dans un conflit ouvert avec la Chine s'il n’y a pas d’invasion directe de Taïwan.
Cela étant, un blocus peut permettre à la Chine de démontrer qu’elle se prépare "à une première étape nécessaire à toute attaque contre Taïwan", note l’expert de l’université de Norvège.
Ainsi, même si ces nouveaux exercices militaires ont de quoi inquiéter par leur ampleur, "la Chine n'a pas pris d'initiative irréversible à l’encontre de Taiwan, ce qui suggère que Pékin ne veut pas que la situation échappe à tout contrôle", affirme Lewis Eves. Le problème est que simuler un blocus représente un geste déjà très belliqueux. Le régime chinois risque de se retrouver rapidement à court d’options pour se montrer toujours plus ferme sans franchir pour autant le Rubicon d’un conflit ouvert.