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Israël : la mort des six otages "ne va avoir aucun impact sur la situation politique"
L’annonce, dimanche, de la mort de six nouveaux otages retrouvés dans un tunnel de la bande de Gaza a provoqué stupeur et colère en Israël. Des dizaines de milliers d'Israéliens ont manifesté dans plusieurs villes pour réclamer un accord sur la libération des otages. Des mobilisations suivies d’une grève générale qui a duré une partie de la journée de lundi. Toutefois, la mort de ces otages “ne va avoir aucun impact sur la situation politique” en Israël, affirme Denis Charbit. Entretien.

Colère au sein de la société israélienne. Des dizaines de milliers de personnes ont manifesté, dimanche 1er et lundi 2 septembre, dans plusieurs villes d’Israël, pour réclamer un accord avec le Hamas sur la libération des otages. Une grève générale a été lancée lundi matin à l'appel de la puissante centrale syndicale Histadrout, avant que la justice n'ordonne la fin de cette initiative. Ces mobilisations sous le coup de la colère ont eu lieu après que l’armée a annoncé avoir retrouvé six nouveaux otages israéliens morts dans un tunnel de la bande de Gaza.

Carmel Gat, Eden Yerushalmi, Hersh Goldberg-Polin, Alexander Lobanov, Almog Sarusi et Ori Danino faisaient partie des 97 personnes retenues dans l’enclave palestinienne depuis l’attaque du Hamas du 7 octobre – 251 personnes ont été enlevées au total, et 33 sur les 97 toujours retenues ont été déclarées mortes par l’armée.

En l’occurrence, aucun des six otages n’avait été déclaré mort jusqu’ici, ce qui a suscité la colère d’une partie de l’opinion publique israélienne mobilisée depuis près de 11 mois pour “ramener à la maison” les personnes retenues à Gaza. Elle se mobilise aussi en vue d'accroître la pression sur le gouvernement de Benjamin Netanyahu. “Leur mort est insupportable et intolérable pour les Israéliens”, explique notamment Denis Charbit, professeur de science politique à l’Open University of Israel à Raanana et dont le livre "Israël, l'impossible État normal" (Éd. Calmann-Lévy) paraîtra le 18 septembre prochain.

France 24 : Des manifestations, une tentative de grève générale… Que cela dit-il de la situation actuelle au sein de la société israélienne ?

Denis Charbit : Depuis le 7 octobre, la population israélienne dans son ensemble reste beaucoup plus marquée et obsédée par le sort des otages que par la guerre et sa longue durée. En novembre, une première partie d’entre eux avaient été libérés et on pensait qu’il y aurait une deuxième, voire une troisième vague de négociation si nécessaire.

Pour les Israéliens, la libération des otages prime par-dessus tout, ce qui veut dire que s’il faut arrêter la guerre pour y parvenir, alors on arrête la guerre pour sauver des civils. Et si c’est la clé de cette seconde négociation en cours, alors on arrête les combats. D'autant que pour tous les Israéliens, il est très clair que la guerre ne va pas se terminer, même s’il y a un cessez-le-feu. 

En revanche, sauver les otages encore vivants retenus à Gaza, c'est maintenant et tout de suite. Leur mort est insupportable et intolérable pour les Israéliens croyants et pratiquants. Un des impératifs les plus importants dans la loi juive a toujours été la libération des captifs, c’est un devoir de solidarité élémentaire. C’est le contrat que passe l’État d’Israël avec chacun de ses citoyens et que le gouvernement ne respecte pas.

Sur la question des otages, près de deux tiers de la population pense que c’est un devoir de les libérer. Tous les sacrifices qu’on lui demande – le service militaire, les réserves, les guerres, etc… – n'est justifié à ses yeux que si l'État fait tout ce qui est possible pour sauver des otages. Or, beaucoup d'Israéliens sont furieux parce qu'ils ont le sentiment qu’il y avait un accord pour y parvenir.

Le gouvernement a une responsabilité parce qu'il aurait pu avancer sur la question des otages depuis le mois de juin. Il avait une chance de libérer des otages qu’il n’a pas saisie.

Quel impact peut avoir la mort des six otages israéliens sur la situation politique en Israël ?

C’est très clair : elle ne va avoir aucun impact. Personne n'a pensé que l'annonce de leur assassinat par le Hamas allait faire bouger le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu. Cela aurait été une vraie surprise, presque un tremblement de terre, qu’il déclare au vu des manifestations de masse : ‘Ok, je vous ai compris, j’ai entendu votre émotion. Je renonce à ma revendication de maintenir l'armée israélienne sur le couloir de Philadelphie à la frontière entre la bande de Gaza et l'Égypte’.

Personne n’a manifesté en espérant un tel résultat. Mais même si nous ne sommes pas entendus, nous conservons le droit d’exprimer notre douleur et le devoir de demander pardon aux familles des six otages pour avoir échoué à faire changer Netanyahu d'avis.

Quel est l’intérêt politique de Benjamin Netanyahu de maintenir cette stratégie militaire au détriment des otages et de la population palestinienne ?

Les intérêts de la population palestinienne, c’est au Hamas de s’en préoccuper. En ce qui concerne Benjamin Netanyahu, son intérêt politique est bien sûr de maintenir en place sa coalition. Encore que l’opposition fût prête à le soutenir et à ne pas voter de motion de censure s’il signait un accord de cessez-le-feu.

Benjamin Netanyahu, qui a toujours prétendu être 'M. Défense', a failli le 7 octobre. Pour lui, le seul moyen de rétablir son image est de remporter une victoire totale sur le Hamas, bien que l'objectif d'éradication du mouvement islamiste palestinien se révèle difficile à réaliser.

Concernant les négociations en cours, le Premier ministre israélien ne fait pas confiance aux Égyptiens et au Hamas au sujet de l’axe de Philadelphie (une exigence sur laquelle il a déclaré qu’il ne transigera pas, NDLR). Cela se défend stratégiquement parlant. Le problème, c'est qu'il reste encore 101 otages (sic) dans la bande de Gaza et qu’ils peuvent être tous sauvés si Benjamin Netanyahu consent à retire l'armée israélienne du couloir de Philadelphie en question.

Le litige politique porte là-dessus. Benjamin Netanyahu et son gouvernement ont confirmé par un vote, jeudi dernier, que le couloir de Philadelphie est une condition sine qua non de la négociation sur le cessez-le-feu. Ils veulent que le Hamas accepte cette condition. Mais d’ici là, s'il y parvient, du temps passera, et il est probable que d’autres mourront ou seront abattus comme cela a été le cas des six personnes hier (dimanche)."