Après le feu vert du Parlement turc mardi 23 janvier, la Hongrie est désormais le seul pays membre de l’Otan à ne pas avoir approuvé l’adhésion de la Suède à l’Alliance Atlantique. Le pays nordique avait déposé sa demande en même temps que la Finlande voisine, qui a intégré l’organisation en avril 2023, suite à l’invasion russe de l’Ukraine.
S’exprimant sur X mercredi, au lendemain du vote turc, le Premier ministre hongrois Viktor Orban, a cependant assuré que son gouvernement "soutient la candidature suédoise". Lors d’une conversation téléphonique avec le chef de l'Otan, Jens Stoltenberg, le leader nationaliste a par ailleurs assuré qu’il allait "continuer à appeler [son] Parlement à boucler la ratification à la première occasion possible".
La veille, Viktor Orban avait aussi invité le Premier ministre suédois Ulf Kristersson en Hongrie pour "discuter". Une invitation cependant refusée par le gouvernement suédois rétorquant que son pays n’avait pas de raison de négocier avec la Hongrie.
Orban joue la montre
"Je pense que Viktor Orban a été surpris par ce refus suédois et qu’il a mesuré l’isolement de Budapest avec la levée du veto turc. La Hongrie reste le seul pays à bloquer l’entrée de la Suède dans l’Otan", estime Eszter Karacsony, spécialiste de la Hongrie et chargée de projet à l’IFRI (Institut français des relations internationales). "Et la question n'est pas encore à l'ordre du jour du Parlement hongrois" précise-t-elle.
Malgré l’accord de principe donné par Budapest à l’adhésion de la Suède à l’Otan, Viktor Orban temporise ainsi depuis de longs mois. L’approbation "sera décidée uniquement par le Parlement hongrois… lorsque les législateurs décideront que le moment est venu de le faire. Ils ne sont pas très disposés à le faire", avait il déclaré. Une position ambiguë alors que "son parti, le Fidesz, détient les deux tiers des sièges au Parlement hongrois, et que les députés de la majorité suivent toujours les directives du Premier ministre. Ils ne se sont jamais opposés à lui depuis son arrivée au pouvoir en 2010", rappelle Eszter Karacsony.
Obstination et chantage
Pour de nombreux observateurs, il est évident que Viktor Orban veut freiner la ratification par le Parlement hongrois de l’entrée de la Suède dans l’Otan. Pour Paul Gradvohl, historien, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et spécialiste de la Hongrie, l'une des raisons n'est autre que la position du gouvernement suédois qui "ne cache pas qu’il est soucieux de la dérive autoritaire de la Hongrie", explique-t-il.
En outre, le dirigeant hongrois cherche à obtenir des contreparties en échange de son feu vert. À l’instar de la Turquie, qui a obtenu de Stockholm un durcissement de la législation envers certains groupes kurdes considérés comme terroristes par Ankara, notamment le Parti des travailleurs du Kurdistan, mais aussi la promesse de Washington d’une possible livraison d'avions F-16 à Ankara.
"Budapest a développé une capacité de 'chantage' vis-à-vis de ses partenaires de l’Union européenne et de l’Otan", analyse Jacques Rupnik, historien, politologue et directeur de recherches émérite au CERI/Sciences Po. Lors du Conseil européen qui s’est tenu mi-décembre, le Premier ministre hongrois est parvenu à obtenir le déblocage d’une tranche de 10 milliards d’euros de fonds communautaires qui avaient été bloqué par Bruxelles pour "non-respect de l’état de droit" par Budapest. Il s'agissait d'une concession de l'UE afin d’éviter une opposition frontale de la Hongrie à l’ouverture des négociations d’adhésion de l’Ukraine et à une aide financière de 50 milliards d’euros au pays.
"Je pense que Viktor Orban cherche actuellement à obtenir des Suédois une promesse d’abstention au cas où l’UE voudrait sanctionner la Hongrie pour d’éventuelles entorses à l’état de de droit, à l’indépendance de la justice ou des médias ", poursuit Jacques Rupnik.
Crainte de l'isolement et soutien à la Russie
Jusqu’à présent, la Hongrie pouvait cependant compter sur la solidarité de la Pologne. Mais le PiS, parti conservateur et nationaliste au pouvoir, a été défait le 15 octobre dernier à l'issue des élections législatives remportées par une coalition pro-européenne.
Selon les observateurs, en temporisant ainsi, le leader nationaliste cherche aussi à donner des gages à son allié, le président russe, Vladimir Poutine. Contrairement aux autres pays de l’Otan, la Hongrie ne fournit pas d’armes à l’Ukraine. Le pays a aussi bloqué en juin 2022 l’adoption de sanctions européennes à l’encontre du chef de l’Église orthodoxe russe, le patriarche Kirill, rappelle Paul Gradvohl. Le chercheur estime que Viktor Orban, qui mise sur une victoire russe, "fait tout pour freiner l’aide apportée à l’Ukraine, et ce blocage en est un exemple. Il essaie de gagner du temps et espère entraver encore de quelques semaines ou de quelques mois l’extension de l’Otan".