
Des coups de feu, un attroupement devant une enseigne, de la confusion : le 11 mars, une vidéo montrant des miliciens houthis s’en prendre à un magasin vendant de l’ail est venu documenter la tension qui entoure le commerce de cette denrée.
Pour Mohammed al-Basha, du Basha Report, un organisme de conseil en matière de risques basé aux États-Unis, ces images témoignent de la "guerre de l'ail" qui aurait désormais cours dans le pays.
Cette vidéo publiée sur X le 11 mars montre la milice houthie prenant d'assaut des agences d'ail à Sanaa, au Yémen.
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Accepter Gérer mes choixLes Houthis, soutenus par l'Iran, combattent le gouvernement du Yémen reconnu internationalement, depuis 2014, lorsque les rebelles chiites ont pris le contrôle de Sanaa et de la majeure partie du Nord. Le gouvernement yéménite est soutenu par une coalition dirigée par l'Arabie saoudite.
"Le lendemain matin, j'ai vu ces magasins scellés avec de la cire rouge et fermés"
M. est un journaliste indépendant yéménite, il a demandé à rester anonyme. Il explique pourquoi ce raid a été organisé :
Cela s'est produit parce que certains commerçants d'ail achètent directement aux agriculteurs.
Les Houthis ont envoyé plus de 20 éléments armés pour empêcher les commerçants d'ail d'acheter directement aux agriculteurs.
Je me suis rendu dans la zone où se trouvaient certains de ces magasins, et en effet, le lendemain matin, j'ai vu ces magasins scellés avec de la cire rouge et fermés.
Cet incident intervient alors que de nouvelles mesures affectant les producteurs d'ail dans les zones contrôlées par les Houthis ont été mises en place avant le début de la saison de l'ail 2025 (de janvier à mars), d'après ce journaliste.
En 2023, les Houthis ont créé une structure appelée l'Institution des services agricoles, qui agit comme intermédiaire entre les agriculteurs et les négociants locaux d'ail au Yémen.
L'Institution des services agricoles exige désormais 7 % de la valeur de chaque récolte. Les Houthis ont interdit l'importation et l'exportation d'ail et ont imposé des frais de 7 % simplement pour entrer sur le Marché des services agricoles, et les empêchent également de vendre directement aux négociants locaux.
Une vidéo qui a circulé sur les réseaux sociaux le 23 février 2025 montre des agriculteurs en train de manifester sur la place Al-Sabeen dans le sud de Sanaa. Cette place était un lieu de ralliement des opposants à l'époque de l'ancien régime. Cette manifestation ne s’est pas tenue par hasard : les Houthis organisaient le même jour une cérémonie funéraire en l'honneur de l'ancien chef du Hezbollah libanais, Hassan Nasrallah, dans la mosquée située sur cette place.
Les images montrent également une file de camionnettes chargées de sacs de jute contenant des gousses d'ail.
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Accepter Gérer mes choixDans la vidéo, on peut entendre un agriculteur dire : "L'Institution générale des services agricoles, Abdul Salam al-Azzi et Abdul Hashid, ont empêché les producteurs locaux de vendre. Si vous essayez de passer avec un sac de produits locaux, ils vous obligent à faire demi-tour et à payer une taxe de 7 %. Nous ne pouvons pas nous le permettre. Nous sommes censés soutenir les agriculteurs yéménites."
"Les Houthis veulent tout contrôler"
Riyadh Aldubai est un militant yéménite des droits humains.
Les Houthis veulent prélever 7 % de la récolte avant sa vente. Par exemple, si vous avez 100 tonnes, vous devez donner sept tonnes aux Houthis gratuitement avant la vente. Et ensuite, une fois que vous avez vendu, vous payez les impôts, vous payez la zakat [l'aumône légale islamique, NDLR], vous payez les droits, vous payez les taxes, vous payez tout. (...)
Et si ces agriculteurs refusent de payer, que font-ils ? Ils empêchent l'entrée de ces marchandises sur les marchés. Parce que tous les agriculteurs sont en dehors des marchés, en dehors de Sanaa, en dehors des villes. Par conséquent, ils les empêchent d'atteindre les marchés, et par conséquent, les marchandises s'accumulent et se gâtent.
Et c’est pour ça que les agriculteurs se sont rassemblés sur la place Al-Sab'in à Sanaa. Ils ont été dispersés par la force. Les agriculteurs avaient deux demandes. D’abord, que les Houthis leur permettent de livrer aux commerçants, car il y a des contrats entre eux. Les agriculteurs ne vendent pas leurs produits sur les marchés ordinaires, ils les vendent aux commerçants de gros. Et ensuite, que la taxe des 7 % soit annulée, car ils disaient qu'ils ne peuvent pas la payer.
Baisse du prix de l'ail
Le mécontentement des agriculteurs est également alimenté par un contexte de baisse des prix de l'ail. Avant le début de la saison de l'ail en janvier, le prix était de 1 200 riyals par kilogramme (environ 4,50 euros), selon le média yéménite Yemen Shabab. Il est maintenant de 400 riyals (1,50 euro). Selon Yemen Shabab, la baisse du prix de l'ail s'explique par l'afflux récent de grandes quantités d'importations en provenance de l'étranger.
Les Houthis avaient déjà interdit les importations d'ail, d'abord en 2021 pendant la saison de l'ail, puis entièrement en 2023. Le tout "sous prétexte de soutenir les agriculteurs et d'atteindre l'autosuffisance", juge M., le journaliste yéménite contacté par notre rédaction. Car selon lui, cette décision a en réalité conduit à une accumulation d'ail importé dans le Sud, controlé par le gouvernement, et à une hausse des prix de l'ail dans le Nord, ce qui a incité les agriculteurs des régions septentrionales à augmenter leur production et a finalement entraîné une nouvelle baisse des prix.
"Il n'y a pas de plat yéménite sans ail"
Plus de 70 % de la population yéménite dépend, directement ou indirectement, des revenus des activités agricoles, selon le think tank américain Carnegie Endowment for International Peace.
Mais le secteur a été fortement affaibli par les 11 dernières années de guerre civile, notamment par les bombardements fréquents des terres agricoles, par de la détérioration de l'économie ou le coût élevé des dérivés du pétrole ou des engrais.
L'ail est une culture importante au Yémen, ce qui explique la défiance inspirée par les récentes mesures. Selon Yemen Shabab, le pays en produit environ 5 000 tonnes par an.
M. ajoute :
Il n'y a pas de plat yéménite sans ail, à l'exception des desserts. Le Yémen est une terre agricole et aussi un pays pauvre. Par conséquent, de tels ingrédients sont essentiels pour les citoyens yéménites et la cuisine yéménite. L'ail est également important en tant que substance médicinale, et les Yéménites l'utilisent largement et comptent sur lui pour les traitements. Les gens croient que quelqu'un qui mange beaucoup d'ail est protégé des toxines. Ils le considèrent comme une médecine prophétique.
Mais d’autres produits se trouvent affectés par la politique de taxation des Houthis.
Cela s'étend également aux fruits, au miel, à de nombreux produits agricoles. Maintenant, ils ont commencé à se concentrer sur les céréales. Le ministère de l'Agriculture a maintenant un département spécifique pour chaque produit, géré par les Houthis.
Les Institutions de services agricoles croient que l'agriculture est aussi une arme de guerre, et que pour se battre, ils doivent avoir l'autosuffisance. L'autosuffisance est un rêve pour chaque gouvernement. Mais pour le gouvernement de Sanaa, l'autosuffisance signifie le contrôle de nouveaux commerçants sur un secteur spécifique sous prétexte d'autosuffisance.
Les Houthis connectent tout à la guerre. Ils lient tout à la résistance contre l'agression saoudienne, américaine et israélienne. (...) Comme vous l'avez vu dans la vidéo, ils utilisent même des armes pour forcer la mise en œuvre de leurs décisions politiques ou agricoles.
"Les Houthis sont tout"
Pour Riyadh Aldubai, ces nouvelles taxes reflètent l'ambition des Houthis de "prendre le contrôle de toutes les sources de revenus au sein de l'État". La prise d'assaut des magasins, note-t-il, est également typique des méthodes des Houthis :
Habituellement, quand les Houthis mènent une action militaire, ils arrivent soudainement, avec des gens armés, et commencent à terroriser les gens et à tirer. L’objectif est de montrer qu’ils ont le contrôle, d’effrayer les gens.
C’est une méthode qu'ils utilisent avec tout le monde, même au niveau des employés des Nations unies qui ont été arrêtés.
En août 2024, les Houthis ont pris d'assaut le bureau du HCR, l'agence des Nations unies pour les réfugiés, situé à Sanaa. Ils ont forcé le personnel à remettre des documents, des véhicules et les clés du bureau avant de les rendre plus tard dans le mois. Les Houthis ont détenu des dizaines de membres du personnel de l'ONU et d'autres organisations humanitaires, la plupart depuis le milieu de l'année 2024.
Riyadh Aldubai estime toutefois que la contestation des agriculteurs a peu de chances d'aboutir :
À qui d'autres peuvent-ils vendre leur ail ? Même s'ils ont des marchandises d'une valeur d’un milliard et que ces marchandises risquent d’être gâtées ou ruinées, les Houthis leur envoient un message disant : 'Cela nous importe peu, vous payez ou alors au revoir'.
Donc, je crois que d'après les expériences passées, les agriculteurs vont se soumettre aux nouvelles lois des Houthis. Ils seront obligés de payer parce qu'ils ont beaucoup de marchandises, et la saison du ramadan est aussi une saison où il y a beaucoup de demande.
Les gens n'ont aucun moyen de résister militairement, il n'y a pas de tribunaux indépendants, et si vous allez en prison, vous n'avez pas de procès équitable, et si vous êtes arrêté, vous ne pouvez pas être libéré. Il n'y a pas de presse indépendante pour vous défendre.
Sanaa est d'une seule couleur, la couleur des Houthis. Les gens se soumettent aux Houthis parce que les Houthis sont l'autorité, ils sont l'État, ils sont tout. Ils sont la justice, ils sont la presse, ils sont la société civile.