
Des personnes courent dans une rue lors d'affrontements avec la police, dans un contexte d'émeutes anti-immigrés, à Torre Pacheco, en Espagne ,le 13 juillet 2025. © Violeta Santos Mour, Reuters
Troisième nuit d'émeutes racistes à Torre Pacheco. Cette ville de plus de 40 000 habitants, située dans la région de Murcie, dans le sud-est de l'Espagne, a connu, dans la nuit du dimanche 13 au lundi 14 juillet, un nouvel épisode de violences urbaines.
La diffusion, le 9 juillet, de la photo d'un homme de 68 ans, le visage tuméfié et l'œil voilé par les coups, a mis le feu aux poudres : le sexagénaire a raconté à des médias espagnols avoir été violemment agressé en pleine rue par trois jeunes d'origine nord-africaine. Selon la victime, l'attaque, filmée, avait pour unique but d'être partagée en ligne.
Instrumentalisée par des groupes d'extrême droite, et notamment le parti Vox, avec des appels à la haine diffusés sur Telegram, l'affaire Torre Pacheco – qui rappelle les événements survenus en France, à Crépol, en 2023 ou les récentes émeutes en Irlande du Nord – révèle une dynamique familière dans plusieurs pays européens : celle où les faits divers deviennent des catalyseurs de discours racistes et sécuritaires.
Vendredi 11 juillet, à l'initiative de la commune – dont un tiers des habitants est d'origine étrangère –, un rassemblement de soutien a été organisé. La présence de groupes d'extrême droite fait basculer la manifestation, à l'origine pacifique, en véritable "chasse aux immigrés".
"Des dizaines d'hommes, vêtus de noir et certains encagoulés, ont pénétré dans le quartier [de San Antonio], se livrant à ce qu'ils ont eux-mêmes appelé une 'chasse' aux immigrés nord-africains qui, en réalité, vivent dans la ville depuis trois décennies", raconte le quotidien espagnol El Pais. Selon le journal, les émeutes de ces trois jours ont fait des blessés légers et conduit à plusieurs arrestations. "Des patrouilles de la Garde civile – qui a déployé 75 agents dans la municipalité – et de la police locale sillonnent les rues. Tout le monde sait que quelque chose va se passer. La question est de savoir quand."
À relire Vox, le parti sorti de nulle part qui relance l'extrême droite en Espagne
L'extrême droite en embuscade
Située dans une région agricole dépendante de la main-d’œuvre étrangère, Torre Pacheco a vu s’installer au fil des années une importante population immigrée, en provenance principalement du Maghreb.
D'après le quotidien local La Opinion de Murcia, des groupes d'hommes violents parcourent depuis vendredi les rues de Torre Pacheco avec des bâtons à la recherche de personnes d'origine marocaine, malgré le déploiement d'un important dispositif policier.
Sur Telegram, un groupe d'extrême droite baptisé "Deport them now" ("Déportez-les maintenant") a appelé à une "chasse" aux personnes d'origine nord-africaine du 15 au 17 juillet, avec pour objectif de retrouver les agresseurs.
Vendredi, aux cris de "Hijos de puta" ["Fils de pute"], "A vuestro país" ["Dans votre pays"], ou encore "viva Franco" ["Vive Franco"], des heurts ont éclaté entre habitants et personnes venues de l’extérieur.
"Ils sont venus nous provoquer parce qu'ils savent que nous habitons ici ; ils venaient de l'extérieur de la ville", témoignait samedi auprès d'El Pais, Omar, 25 ans, qui vit en Espagne depuis 20 ans, un pays dans leqsuel il a grandi et étudié. Selon lui, ceux qui les cherchaient n'étaient pas leurs anciens camarades de classe ou des habitants du quartier, mais des jeunes venus d'autres quartiers, encouragés par des agitateurs extrémistes sur les réseaux sociaux.
Dans la nuit de dimanche à lundi, suivant les appels lancés sur Telegram par des groupuscules identitaires, des commerces tenus par des Maghrébins ont été attaqués et détruits, à l'instar d'un kebab envahi et saccagé par plusieurs dizaines d'individus encagoulés.
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Accepter Gérer mes choixSelon le quotidien madrilène, "l’extrême droite a profité de l’agression d’un homme âgé pour associer l’immigration à la criminalité et à la violence, accusant le gouvernement de ne pas assurer la sécurité dans les rues".
De son côté, le parti Vox, connu pour ses positions anti-immigration et nationalistes, "jette de l’huile sur le feu". Son responsable régional, José Ángel Antelo, a lui-même participé à une manifestation à Torre Pacheco, samedi, incitant les habitants à se défendre, et liant "une fois de plus" insécurité et immigration. "Nous ne voulons pas de ces gens-là dans nos rues ni dans notre pays. Nous allons tous les expulser : il n’en restera pas un seul", a-t-il déclaré.
Presque deux ans auparavant, en France, le meurtre de Thomas, 16 ans, tué au couteau lors d'un bal à Crépol dans la Drôme par une bande de Romans-sur-Isère, avait produit le même genre d'enchaînement.
L’extrême droite française – Marine Le Pen et Éric Zemmour en tête –, avait alors dénoncé un "francocide", un crime "antiblanc", ou plus largement comme le résume Le Monde, "l’assassinat d’un enfant de la France rurale par une bande venue de la France des cités".
À ce jour, quatorze personnes sont mises en examen pour "homicide volontaire et tentative d’homicides volontaires en bande organisée" dans l'affaire de Crépol. Toutes nient leur implication directe, rappelle l’AFP.
Terrain d'affrontement politique
En Espagne, comme en France après Crépol, la question sécuritaire à Torre Pacheco devient le terrain d’une confrontation politique féroce.
Au pouvoir dans la région de Murcie, le Parti populaire (PP) oscille entre condamnation des violences et silence sur les discours haineux portés par Vox, son allié politique de circonstance dans plusieurs collectivités.
"Torre Pacheco doit retrouver la normalité […] Je comprends la frustration, mais rien ne justifie la violence", a écrit dimanche sur le réseau social X le président conservateur de la région de Murcie, Fernando Lopez Miras (PP), en assurant que l’agression subie par ce retraité ne resterait "pas impunie".
Une ambiguïté dénoncée par la gauche, qui accuse le PP de laisser prospérer l’extrême droite pour ne pas perdre l’électorat conservateur. Les partis Podemos, Sumar ou encore des figures de la gauche régionaliste alertent alors sur une "contamination idéologique" croissante, où les valeurs démocratiques reculent face à l’obsession identitaire.
De son côté, le maire de Torre-Pacheco, Pedro Angel Roca Ternel, membre lui aussi du Parti populaire (PP), a insisté à la télévision publique RTVE : "J’appelle les habitants au calme, à la tranquillité", a-t-il dit, insistant sur la nécessité de ne pas confondre les "délinquants" avec l’ensemble de la population immigrée, venue "pour travailler".
Dans un message sur le réseau social Bluesky, la ministre de la Jeunesse Sira Rego, membre du parti d’extrême gauche Sumar, a condamné "fermement les persécutions racistes contre les personnes migrantes à Torre-Pacheco", mettant en cause le rôle de "l’ultradroite" dans ces émeutes.
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Accepter Gérer mes choix"Les responsables de Vox ont encouragé les nazis à chasser à Torre Pacheco, en propageant et en encourageant des lynchages aveugles. Nous allons les traduire devant le parquet, et ils ne resteront pas impunis", a assuré lundi Maria Marin, députée et porte-parole de Podemos.
Cette flambée de violence à Torre Pacheco intervient dans un contexte politique où les thèmes identitaires et migratoires sont de plus en plus déterminants en Espagne.
Selon le dernier baromètre du CIS (juillet 2025), Vox grimpe à 18,9 % d’intentions de vote, au plus haut depuis deux ans – et très nettement au-dessus de son score des européennes de 2024 (10,3 %).
Les sondages révèlent par ailleurs une inquiétude grandissante quant à l’immigration. Quelque 80 % des Espagnols jugent le niveau d’immigration trop haut – un score plus élevé que celui de la France (69 %) –, selon YouGov.