
Des enfants jouent sur la plage de Deauville, le 24 août 2022, grâce à la "Journée des oubliés des vacances" organisée par le Secours populaire. © Lou Benoist, AFP
À l’heure des grands départs en vacances, partir en voyage reste un rêve hors de portée pour 40 % des Français. Selon une étude de l’Observatoire des inégalités parue fin juin et s’appuyant sur les données de janvier 2024, quatre Français sur dix n'ont pas les moyens de quitter leur domicile.
Partir dépend aussi du milieu social, rappelle cette étude : 78 % des cadres supérieurs partent en congé, contre 47 % des ouvriers. "Plus on monte dans l’échelle sociale, plus on a de chances de s’échapper."
Le réseau joue aussi : "En s’élevant dans l’échelle sociale, on dispose aussi plus souvent des moyens de se faire héberger gratuitement dans des lieux de vacances, comme les résidences secondaires", souligne l’Observatoire des inégalités.
"L’été, c’est un Français sur deux qui part, et 12 % partent à un autre moment de l’année. Dans les pays du Nord comme le Danemark, 80 % des gens partent en vacances. On pourrait se fixer cela comme objectif. On n’est pas très bons à ce niveau-là", analyse sur France inter le sociologue Jean Viard, coauteur de "Quand le Tourisme s'éveillera" (éd. de L’Aube, mai 2025).
Un constat partagé par l’Observatoire des inégalités, qui estime que les aides financières aux vacances sont insuffisantes.
Familles monoparentales, ouvriers, jeunes des quartiers
"Parmi ceux qui ne partent pas, on retrouve souvent des femmes seules, car voyager seule pour une femme n’est pas toujours évident dans notre société", observe Jean Viard.
Partir en vacances seul – ou pour un foyer monoparental – n’est pas facile, "tant sur le plan des représentations que sur le plan pratique et financier", abonde Sandra Hoibian, directrice générale du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc). Même si de plus en plus de femmes franchissent le cap, des freins existent encore pour se lancer dans un voyage en solo, notamment en raison des questions de sécurité.
À cela s'ajoutent les problèmes financiers communs à tous les petits salaires. "Le budget nécessaire pour pouvoir partir en vacances, pour les plus modestes, est bien supérieur au budget santé, par exemple. Partir en vacances est une variable d’ajustement importante. En cas de difficultés financières, on réduit un peu les soins, l’alimentation, mais on supprime surtout les vacances", précise Sandra Hoibian.
Autres grands oubliés des vacances : les jeunes des quartiers populaires, rappelle Jean Viard. "Et pourtant, c’est un énorme moyen d’intégration. Quand vous avez passé tout l’été à ‘tenir le pied d’immeuble’, ça n'est pas facteur d'intégration", souligne-t-il.
"Un sentiment d’exclusion"
Les vacances peuvent offrir un moment privilégié de brassage entre les différentes couches de la population, observe Sandra Hoibian. Selon les politiques mises en place, "sur la plage, dans les festivals, lors de visites du patrimoine, au travers des animations, il y a moins d’entre-soi, les couches sociales se côtoient plus qu’à l’habitude".
En soutenant les départs en vacances et en proposant des loisirs accessibles, on peut contribuer à "faire bouger les lignes des inégalités sociales", suggère-t-elle. "Les familles qui ne peuvent pas offrir de vacances à leurs enfants expriment un sentiment d’exclusion", ajoute-t-elle.
Le nombre de séjours au cours de l’année est lui aussi révélateur. "Ce n’est pas la même chose de partir une fois dans l’année ou six fois, en s’offrant régulièrement des week-ends hors de son domicile", estime la directrice générale du Crédoc. Selon des travaux de l’Insee, les cadres partent en moyenne 26 nuits contre 11 pour un ouvrier sur toute l’année.
Niveau de pauvreté "inégalé depuis près de 30 ans"
"Il y a encore du chemin à faire pour aller vers la démocratisation [des vacances] qui a été considérable depuis la guerre", estime Jean Viard. Pourtant, depuis une quarantaine d’années, le taux de départ en vacances est resté bloqué autour de 60 %. Une raison à cela : les niveaux de vie stagnent pour les catégories les moins favorisées.
Une tendance qui ne devrait pas s’arranger, si l’on en croit les derniers chiffres de l’Insee sur la pauvreté en France, que l’institut de statistique estime à un "niveau inégalé depuis près de 30 ans".
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Entre 2022 et 2023, le taux de pauvreté a augmenté "fortement (15,4 % après 14,4 % en 2022, soit +0,9 point du fait des arrondis)", précise l’Insee dans son étude annuelle parue le 7 juillet. Il s'agit du taux le plus élevé depuis le lancement de l'indicateur Insee en 1996.
En un an, 650 000 personnes ont basculé dans la pauvreté, ce qui a porté à 9,8 millions le nombre de personnes se trouvant en 2023 en situation de pauvreté monétaire, c'est-à-dire disposant de revenus mensuels inférieurs au seuil de pauvreté, fixé à 1 288 euros pour une personne seule.
Des chiffres "alarmants" mais "loin d'être étonnants" pour les associations, qui exhortent l'État à enfin passer aux actes.
Avec AFP