Le mise en retrait de l'équipe de France de Wendie Renard - suivie dans sa démarche par Kadidiatou Diani, Marie-Antoinette Katoto et Perle Morroni – plonge les Bleues dans la crise à cinq mois du Mondial-2023. Derrière ces gestes forts, des griefs récurrents envers le management de la sélectionneuse Corinne Diacre et un espoir de faire bouger les choses alors que la fédération française est au plus mal. Décryptage.
Imaginez Kylian Mbappé, Raphaël Varane et Antoine Griezmann claquant la porte des Bleus à quelques mois seulement d'une Coupe de monde. C'est l'ampleur de l'onde de choc qui touche le football féminin français avec les mises en retrait successives de la capitaine Wendie Renard (142 sélections), Kadidiatou Diani (80) et Marie-Antoinette Katoto (34) rapidement suivies de Perle Morroni (11), sur fond de conflit ouvert avec le management.
C'est la capitaine tricolore en personne, Wendie Renard, joueuse emblématique de l'Olympique Lyonnais (15 championnats de France), qui a lancé la charge, vendredi 24 février, en annonçant vouloir prendre du recul et ne plus "cautionner le système actuel" dans un communiqué sur Twitter.
Peu de temps après, elle est rejointe dans cette démarche par deux de ses coéquipières chez les Bleues, Kadidiatou Diani et Marie-Antoinette Katoto qui affirment ne pas revenir en sélection tant que "les changements nécessaires ne seront pas appliqués".
Des gestes forts qui traduisant la frustration des joueuses vis-à-vis des méthodes de management de la sélectionneuse Corinne Diacre.
La méthode Diacre en question
Corinne Diacre est arrivée à la tête des Bleues en août 2017 après trois saisons en tant que coach du Clermont Football Club, auréolée du statut de première femme à diriger un club masculin professionnel. La Fédération française de football (FFF) lui indique alors deux objectifs après sa nomination : bien figurer à la Coupe du monde féminine 2019 à domicile et à l'Euro féminin 2022.
Dès le départ, les méthodes de Corinne Diacre crispent les joueuses. Son management cassant qui installe une ambiance délétère à Clairefontaine lui est vite reproché. Parmi les décisions qui ne passent pas en interne : le retrait à son arrivée du brassard de capitaine à Wendie Renard qui le portait depuis 2013 au profit d'Amandine Henry. La même Amandine Henry qu'elle écarte du groupe en 2020 après que celle-ci se soit plainte – déjà – de l'ambiance négative dans le groupe auprès du président de la FFF, Noël Le Graët. La sélectionneuse a vécu cela comme une trahison alors que la joueuse dit l'avoir fait pour le bien du groupe face à l'impossibilité de dialoguer avec la sélectionneuse.
Dans le même temps, les résultats ne sont pas au rendez-vous. La France est éliminée en quart de finale de sa Coupe du monde par les États-Unis – futurs vainqueurs – laissant un goût d'inachevé au regard de l'engouement née au début de la compétition. À l'Euro, les Bleues ont été éliminées par l'Allemagne au terme de la première demi-finale de leur histoire, avec toujours cette même impression d'inachevée. Pour les fans de football féminin, le sentiment de gâchis est immense au vue du talent du groupe des Bleues, dont la plupart des joueuses évoluent dans les plus grands clubs européens.
Corinne Diacre peine à trouver la bonne formule. À cinq mois du Mondial en Australie et en Nouvelle Zélande, le projet de jeu n'est pas clair, aucune équipe type ne se dégage et surtout les résultats décevants ne plaident pas pour Corinne Diacre. La troisième édition du tournoi de France qui vient de s'achever n'a guère rassuré les observateurs et a confirmé un certain désintérêt pour l'équipe nationale depuis la fin de la Coupe du monde en France, puisque les résultats n'ont pas su entretenir la flamme. Les reproches sont aussi techniques : certaines joueuses critiquent le contenu des séances des entrainements; pas "au niveau" de ce que requiert le niveau international.
Fin de règne à la FFF
Les stars de l'équipe de France n'ont pas choisi ce timing par hasard. La fragilité de Noël Le Graët a permis la libération de la parole face au ras-le-bol des joueuses. Le président de la fédération a été démis de la tête de l'instance à la suite d'une enquête pour harcèlement moral et sexuel. Le rapport de l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR) a jugé "les dérives de comportement" de Noël Le Graët "incompatibles" avec sa fonction. Et son avenir doit être tranché le 28 février prochain.
Cependant, la réaction de la FFF traduit également un profond décalage par rapport à la situation. À la suite du retraits des trois premières joueuses, la "3F" a indiqué vendredi 24 février qu'elle examinera la question lors de son comité exécutif le 28 février tout en précisant qu'"aucune individualité n'est au-dessus de l'institution Équipe de France". Imagine-t-on la plus haute instance du foot français partir tranquillement en week-end si un incendie similaire s'était déclaré pour l'équipe masculine ?
Parler d'"individualité" peut paraitre également déplacé, dans la mesure où Wendie Renard n'a jamais caché son amour pour le maillot bleu : même lorsque le brassard lui avait été retiré sans aucune explication, elle était restée exemplaire. Les réactions d'autres joueuses - françaises et étrangères - sur les réseaux sociaux prouvent bien qu'il ne s'agit pas d'une lubie ou d'un coup du "gang des lyonnaises", une expression qui resurgit épisodiquement pour désigner l'influence des joueuses de l'OL, le plus grand club français et européen, sur l'équipe de France.
Les légendes 🇺🇸 Megan Rapinoe et Alex Morgan apportent leur soutien à Wendie Renard et interpellent la #FFF !
Ça prend de l'ampleur alors que d'autres joueuses devraient également se positionner selon nos informations. pic.twitter.com/qvhXL0KxY0
Les Françaises ne sont pas les seules ces dernières années à se mobiliser pour tenter de faire bouger les choses. Ada Hegerberg, la première Ballon d'or Féminine, s'était mise en retrait en 2017 de sa sélection appelant à des réformes au sein de la sélection norvégienne, notamment au sujet des inégalités hommes/femmes dans les primes versées. Les joueuses du Canada, tout comme celles de l'Espagne, ont aussi récemment tiré la sonnette d'alarme pour réclamer plus de moyens financiers et de meilleures conditions d'encadrement sportif et médical.