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Les pays du Sud exigent que les nations favorisées partagent les bénéfices des ressources biologiques extraites sur leurs territoires, utilisées à des fins médicales, agricoles ou industrielles. Cette question de la biopiraterie constitue un obstacle majeur lors des négociations actuelles de la COP15 sur la biodiversité.
En 2016, l’écoféministe et écrivaine indienne Vandana Shiva est intervenue au Global Institute of Sustainability and Innovation de l'université d'Arizona pour expliquer ce qu’est la biopiraterie, en présentant le cas du brevetage des semences.
"Un brevet est le droit d'un inventeur d'exclure quiconque de fabriquer, utiliser, vendre, distribuer ce qu'il a inventé. Le problème, c'est qu'en ce qui concerne les semences, elles ne sont pas une invention", a-t-elle déclaré. "Ce qui se produit, c'est : 'Vous venez me voir et vous prenez la semence'. Et puis vous la brevetez et dites : 'Je l'ai créée et maintenant vous me payez des royalties'. C'est de la biopiraterie."
Les bioressources que l’on retrouve dans les pays riches – les graines, les plantes, les animaux et même les composés chimiques – ont longtemps été des ressources naturelles extraites durant la colonisation, lorsque les empires pillaient les territoires qu'ils occupaient.
Brevetées et exportées, ces ressources ont permis des découvertes révolutionnaires en médecine, en agriculture et même en cosmétique. Ces avancées auraient été impossibles sans les connaissances traditionnelles des communautés autochtones locales, qui n'ont souvent pas été reconnues ni rémunérées pour cela.
La question de la biopiraterie est devenue plus complexe avec la numérisation et le stockage en ligne des données génétiques des bioressources. Ce sujet épineux pourrait menacer l’accord mondial sur la biodiversité actuellement négocié à Montréal à la COP15 (jusqu’au 19 décembre).
Controverse autour d’un remède pour lutter contre le paludisme
La question de la propriété et du partage des bénéfices est au cœur de ce débat. Pourquoi les pays aisés devraient-ils se tailler la part du lion lorsqu'ils tirent des revenus de la riche biodiversité des pays pauvres ?
La Convention sur la diversité biologique (CDB) a tenté de répondre à cette question dès 1993 : un de ses objectifs était "le partage juste et équitable des bénéfices découlant de l'utilisation des ressources génétiques". Mais cela n'a pas empêché les cas de biopiraterie après son entrée en vigueur.
Des chercheurs français ont publié en 2005, par exemple, des résultats préliminaires de leur voyage en Guyane où ils ont mené des entretiens pour en savoir plus sur les remèdes locaux contre le paludisme. En 2015, l'Institut français de recherche pour le développement (IRD) a obtenu un brevet de l'Office européen des brevets (OEB) pour un composé dérivé de la quinine de Cayenne, une plante originaire de certaines régions d'Amérique centrale et d'Amérique du Sud.
La même année, la Fondation Danielle-Mitterrand a déposé un recours contre ce brevet, dénonçant un "cas manifeste" de biopiraterie. L’IRD "s'est approprié les connaissances traditionnelles et n'a pas reconnu la contribution des populations autochtones et locales à la recherche", a-t-elle aussi expliqué.
Bien que les chercheurs aient découvert le composé antipaludique dans la plante en utilisant une extraction à base d'alcool – plutôt que par l'infusion traditionnelle de la plante dans du thé –, c’est d’abord le savoir local qui les a guidés vers la quinine de Cayenne.
La Guyane et l'IRD se sont finalement entendus sur un accord rétroactif stipulant que l'Institut partagerait tout bénéfice scientifique et économique potentiel lié à ce composé. Mais en 2018, l'OEB a décidé que l'IRD pouvait conserver le brevet. Ce dernier peut donc toujours interdire aux communautés locales d'exploiter commercialement le remède.
En 2014, un an seulement avant que l’IRD ne se voit accorder un brevet, un accord international juridiquement contraignant était entré en vigueur : le protocole de Nagoya. Ce dernier oblige les pays à partager de manière juste et équitable les bénéfices découlant de l'utilisation des ressources biologiques. Mais cet accord n’étant pas rétroactif, les recherches menées par les scientifiques français en 2005 n’entraient pas dans ce cadre.
Quelque 137 États dans le monde ont ratifié le protocole de Nagoya, mais des pays comme les États-Unis, le Canada et la Russie se sont abstenus.
Les problèmes posés par l’Information de séquençage numérique
L’Information de séquençage numérique (ISN) des données génétiques a été révolutionnaire pour de nombreuses raisons : découverte de nouvelles thérapies contre le sida, création d'OGM, accélération de la création de tests et de vaccins contre le Covid-19…
Ces avancées technologiques comportent aussi des complications. Les bénéfices de la recherche utilisant des bioressources sont censés revenir au pays d'origine afin de préserver sa biodiversité. Mais avec l’ISN, la traçabilité devient floue. Amber Hartman Scholz, chercheuse à l'Institut Leibniz DSMZ en Allemagne, estime que la question du partage de ces bénéfices "est une zone grise".
Avec ou sans brevet, les scientifiques sont tenus de divulguer et de télécharger leurs données dans des bases de données publiques. Ainsi, lorsqu'un brevet est déposé et que l’ISN est publiée, cela crée des tensions. Plusieurs pays d'Afrique, d'Amérique latine et des Caraïbes ont fait valoir que l’ISN en libre accès est devenue une échappatoire pour les grandes entreprises pharmaceutiques pour éviter de partager leurs bénéfices.
Cette situation conduit à une impasse actuellement, selon Amber Hartman Scholz : "Les pays du Sud disent qu'ils n'accepteront pas le cadre (de l'accord de la COP15, NDLR) s'ils n'obtiennent pas un accord sur les (bénéfices tirés des) ISN, et les pays du Nord disent qu'ils n'accepteront pas d'accord sur les ISN si les pays du Sud n'acceptent pas le cadre."
L'inquiétude pourrait découler des failles existantes dans le protocole de Nagoya : plutôt que d’être justes et équitables, certains pays ne réglementent pas l'accès à leurs ressources génétiques et désavantagent les pays ayant des réglementations plus strictes en la matière. "C'est un système international incohérent", affirme Amber Hartman Scholz. "Les intérêts commerciaux trouveront le chemin de la moindre résistance. (...) Cela signifie que les pays d'où pourrait provenir la ressource seront perdants dans le partage des bénéfices."
Mais un espoir existe. En amont de la COP15, une union de pays africains a proposé de créer un mécanisme : taxer de 1 % sur les prix de détail tous les produits en lien avec la biodiversité afin de favoriser le dialogue sur la biodiversité sur le terrain. Dans cette hypothèse, les mêmes règles s’appliqueraient alors pour tous les pays. "Le plus grand défi est de convaincre tout le monde que c'est la bonne décision, surtout à une époque où l'inflation est en hausse", conclut Amber Hartman Scholz.
Cet article a été adapté en français, vous pouvez lire ici la version originale en anglais.