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Explosions à Beyrouth : Beit el Baraka, l’ONG qui veut redonner un toit aux sinistrés

Couverts de louanges par les habitants des quartiers sinistrés par les explosions à Beyrouth, les bénévoles de l’ONG Beit el Baraka s’activent pour réhabiliter près de 3 000 logements endommagés et soutenir les populations démunies et fragilisées par la grave crise économique, financière et sanitaire qui frappe le pays du Cèdre. 

Un peu plus de deux mois après la double explosion qui a fait près de 200 morts à Beyrouth, et qui a ravagé plusieurs secteurs de la capitale libanaise, des dizaines d'ONG locales se démènent inlassablement sur le terrain pour assister les habitants sinistrés et pallier un État aux abonnés absents.

Parmi celles-ci, l'ONG "Beit el Baraka" (Maison de la Providence) qui est engagée dans une course contre la montre pour soutenir une population laissée à l'abandon et pour réhabiliter plus de 3 000 logements endommagés le 4 août.

"Nous avons quadruplé nos forces depuis l'explosion du 4 août, nous avons maintenant 14 employés fixes et 212 volontaires explique à France 24 Maya Chams Ibrahimchah, la fondatrice de l'ONG. Nous sommes en train de réparer 3 011 appartements localisés à Rmeil, Fassouh et Geitaoui, des quartiers situés dans l'est de Beyrouth qui ont été un peu laissés pour compte, car au début, tout le monde s'est précipité vers les zones qui étaient directement autour du port".

Elle ajoute : "on s'est dit qu'il ne fallait pas perdre de temps, et nous avons immédiatement commencé. Nous avons déjà réparé à peu près 20 % de ces logements, et les familles sinistrées ont pu rentrer chez elles".

Dans les rues de Rmeil, quartier populaire situé à quelques kilomètres du port, où des sacs de débris jonchent encore certains trottoirs, les volontaires de Beit el Baraka, masques chirurgicaux sur le visage et gilets beiges sur le dos, s'activent à l'approche des premières pluies de la saison.

Mobilisés dès le lendemain des explosions, les bénévoles se sont rendus dans les zones sinistrés pour proposer leurs services aux personnes touchées par les explosions, ou placarder leurs coordonnées sur les façades d'immeubles endommagés, afin que les absents puissent les contacter.

Leur objectif : faire réinstaller un maximum de portes et de fenêtres dans les habitations afin de permettre aux habitants de rentrer chez eux, mais aussi d'éviter des infiltrations d'eau qui causeraient encore plus de dégâts dans les appartements.

"En moyenne, il nous faut entre dix et douze jours de travail pour finir les réparations et réinstaller des portes et des fenêtres dans les appartements endommagés, cette étape, qui constitue la phase 1 de notre action, est prioritaire", indique à France 24 Elias Khalil, directeur des opérations de Beit el Baraka. "En phase 2, nous nous attachons à améliorer les conditions de vie des sinistrés, en restaurant l'intérieur des logements et en remplaçant par exemple les meubles qui ont été détruits".

"Les travaux sont confiés à des artisans ou à des entrepreneurs qui, en échange de l'attribution du chantier par l'ONG, qui finance l'intégralité des coûts, proposent des prix réduits", explique Georges Abou Arraj, architecte et chef de projet bénévole au sein de Beit el Baraka, en tournée d'inspection à Rmeil. Une fois les réparations dûment terminées, Beit el Baraka règle la facture.

Un système gagnant-gagnant, qui permet à l'ONG de faire des économies et de donner du travail à des entrepreneurs en difficulté, alors que le pays fait face à une crise économique aiguë doublée d'une crise monétaire, qui a gonflé un taux d'inflation déjà très élevé.

"Nous baissons nos tarifs autant que possible tout en garantissant la qualité des travaux, indique Charbel Nader, dirigeant d'une entreprise de construction spécialisée dans le bois, posté devant un immeuble touché par l'explosion. Cela me tenait à cœur d'aider les sinistrés, puisque j'ai moi-même vécu dans le quartier, et cela nous permet aussi de travailler et de payer nos ouvriers, puisqu'il n'y a plus de travail, les chantiers se font très rares à cause de la crise économique".

"Rester à la maison les bras croisés n'était plus une option"

Chaque jour, Georges Abou Arraj effectue une tournée dans les différents secteurs afin de superviser l'avancée des travaux. "Nous vérifions que le travail est bien effectué et que les règles sont bien respectées, nous voulons offrir le meilleur possible aux personnes que nous aidons", précise le jeune homme âgé de 32 ans, qui ne s'était jamais impliqué dans un projet humanitaire avant le 4 août.

"Depuis que j'ai décroché mon diplôme d'architecte il y a plus de dix ans, j'ai travaillé sur plusieurs projets au Liban, mais avec l'arrivée de la crise économique, tous les chantiers ont été arrêtés, et j'ai fini par perdre mon emploi, confie-t-il. J'étais au chômage depuis un an, lorsque la double explosion au port de Beyrouth a eu lieu. J'ai appris que l'ONG était à la recherche de volontaires pour aider à la reconstruction de logements, je me suis alors dit que rester à la maison les bras croisés n'était plus une option".

Après avoir connu sur le plan personnel une année noire, durant laquelle il a perdu sa mère, sa grand-mère et son oncle en l'espace de six mois, en plus de la perte de son emploi, le jeune architecte avait décidé de quitter le pays du Cèdre, avec sa compagne, elle-même employée au sein d'une ONG. "Je voulais trouver un monde meilleur et construire mon avenir, parce que l'herbe est toujours plus verte ailleurs qu'au Liban. Mais les explosions du 4 août ont changé la donne et mon cœur m'a ordonné de rester pour aider avant de tout quitter".

Georges Abou Arraj a rejoint les rangs de Beit al Baraka en septembre, un mois après la tragédie. Depuis, il y a trouvé toute sa place. "J'y ai rencontré des gens biens et honnêtes, déterminés à aider, c'est exactement ce que je recherchais au Liban, et je me suis dit que j'étais à ma place avec eux".

"Leur rôle est vital car nous n'avons pas d'État"

Lors de chacune de ses tournées dans les quartiers où l'ONG est active, il peut mesurer l'impact de son engagement auprès des populations qui se montrent très reconnaissantes à l'égard de ceux qu'elles considèrent comme des super-héros.

"Ils font un travail exceptionnel, ils passent tous les jours, deux à trois fois par jour, ils inspectent tout, ce sont des anges-gardiens qui travaillent avec le cœur, regardez-moi cette nouvelle fenêtre qu'ils m'ont installé ! Elle est splendide, la qualité est top !", s'enthousiasme dans la langue de Molière Wadad Abou Khaled, professeure de littérature arabe à la retraite, et habitante d'une résidence, construite dans les années 1930 par les jésuites français.

"Ils ont presque fini le travail dans l'appartement, et la qualité est au rendez-vous, ils sont phénoménaux, Dieu les bénisse", renchérit-elle en passant énergiquement d'une pièce à l'autre, sous le regard amusé et bienveillant de Georges.

Après avoir enseigné dans des écoles publiques et privées pendant trente ans, elle ne touche aucune retraite. "C'est l'ONG qui m'a contacté pour m'aider. Sans elle, je n'aurai jamais pu faire réparer mon appartement, tout a été endommagé, même mon lit était cassé, poursuit-elle. Leur rôle est vital car nous n'avons pas d'État, pas de retraite, pas d'argent, rien ! Personne d'autre n'est venu s'enquérir de notre sort".

"Seule, je n'aurais jamais pu me relever"

Plus loin dans Rmeil, dans une rue plus calme, mais néanmoins saturée par les bruits de travaux, une commerçante hèle le jeune architecte, lui demande de s'approcher un peu plus, afin de le remercier une énième fois et de couvrir Beit el Baraka de louanges. "Nous avons de la chance de les avoir, ils font la fierté du pays", dit "Madame Hachem", qui tient une épicerie spécialisée dans les produits fermiers, qui a elle aussi bénéficié des services de l'ONG.

Cette dernière a répertorié près de 232 dékénées, les épiceries typiques libanaises, endommagées, dont 50 % d'entre elles ont pu rouvrir leurs portes après les réparations assurées par l'ONG, qui ont contacté de grandes marques qui ont accepté de regarnir leurs étagères.

"Mon magasin a été soufflé par l'explosion, je n'avais plus de marchandise, plus de vitrine, plus d'étal, plus rien. Je n'avais plus qu'à mettre la clé sous la porte après cinquante ans de métier, raconte 'Madame Hachem'. Et encore, c'est une façon de parler, puisque je n'avais plus de porte non plus, j'ai tout perdu".

Veuve et mère d'un adolescent souffrant de retard mental, elle n'a bénéficié d'aucune aide gouvernementale. "J'ai à peine de quoi me nourrir avec mon fils. Seule je n'aurais jamais pu me relever. Je n'oublierai jamais leur humanité et tout ce qu'ils ont fait pour nous pour réhabiliter mon magasin, je prie la Vierge Marie pour eux tous les jours", chuchote-t-elle.

Signe de son extrême reconnaissance, l'épicière a même placardé sur sa nouvelle vitrine une affichette sur laquelle elle a inscrit en français "Baraka, que Dieu vous bénisse pour la bienfaisance", et découpé une feuille en forme de cœur sur laquelle elle a écrit au feutre rouge : "Baraka, je t'adore".

Même gratitude du côté de Reine Khoury, une mère de famille dont le fils, Pierre, a été blessé le 4 août, et dont le logement était devenu inhabitable. "Ils ont sauvé notre appartement, une fois que les réparations seront terminées, je compte rejoindre les rangs de cette ONG afin d'aider et de réconforter à mon tour mes semblables", sourit-elle. En attendant que les travaux soient terminés, elle s'est réfugiée avec sa famille chez les parents de son mari, alors que certains sinistrés, qui n'ont pu être relogés chez leurs proches, sont logés dans des hôtels aux frais de Beit al Baraka, le temps de récupérer leurs appartements.

"Les murs et le plafond ont été détruits, et les vitres ont volé en éclats, c'était l'apocalypse, se remémore-t-elle. Les travaux nous auraient coûté pas moins de 20 000 dollars, une somme impossible à réunir avec la crise économique actuelle. C'est l'ONG qui est venu nous voir pour nous demander si nous avions besoin d'aide, ça nous a redonné espoir, et la qualité de leur travail est bien au-dessus de ce que nous avions imaginé, notre appartement va être plus beau qu'il ne l'était". 

Cette reconnaissance est une bouffée d'oxygène pour Georges Abou Arraj et ses acolytes. "Ça nous réchauffe le cœur et donnent du sens à notre action, concède-t-il, un peu gêné devant tant de louanges. Cela nous motive encore plus à aider nos concitoyens, c'est pour soulager leurs souffrances que je me suis engagé dans cette ONG".

"On ne peut pas reconstruire une ville avec des pois chiches et des antibiotiques"

Un engagement et une détermination que partagent les bénévoles au gilet beige et les cadres de Beit el Baraka, dont les locaux sont situés à Karm El-Zeitoun, l'un des secteurs les plus pauvres d'Achrafieh, un quartier chrétien de l'est de Beyrouth.

"Ils sont tous jeunes, ce n'est pas de la discrimination, c'est juste que l'on veut leur donner une chance, explique Maya Chams Ibrahimchah, qui jette un regard admiratif sur les bénévoles de son ONG, dont la plupart sont des étudiants ou des jeunes diplômés sans emploi, s'affairer comme dans une ruche. On leur doit cela, car avec la jeunesse il y a toujours beaucoup d'amour, de respect de l'autre, de générosité et un dévouement incroyable. Ils savent où ils veulent emmener ce pays, ils n'ont aucune affiliation politique, ce sont des jeunes qui sont à la recherche d'un modèle politique sain pour le Liban, et c'est pour cela qu'il faut les encourager au maximum".

Fondée en 2018, l'ONG était destinée au départ à venir en aide aux personnes âgées isolées ou en grande difficulté. "Au départ nous aidions les retraités, qui ont épuisé leurs indemnités de fin de service et leurs économies, en leur proposant trois services, précise Maya Chams Ibrahimchah. Nous avons créé un supermarché gratuit, dans lequel nos bénéficiaires peuvent faire leurs courses en toute dignité en choisissant leurs produits, puis pris en charge les loyers impayés et la réhabilitation des appartements devenus insalubres au fil des années, et enfin mis à disposition un service médical pour les soigner".

Et d'ajouter : "l'explosion du 4 août a tout changé pour nous, nous ne sommes vraiment plus dans un cadre normal, puisque nous sommes passés soudain d'une petite ONG à une ONG qui se devait d'apporter son aide à 8 % de la population libanaise".

Beit el Baraka a reçu jusqu'ici 1,8 millions de dollars depuis l'explosion, "mais nous attendons plus de dons, car nous avons besoin de minimum 4 millions de dollars pour pouvoir venir en assistance à tous ces gens et mener tous les projets qui préexistaient à l'explosion", indique Maya Chams Ibrahimchah, assise à son petit bureau, situé à l'entrée du supermarché gratuit.

"Nous ne pourrons pas tout reconstruire uniquement avec l'aide de particuliers, car les donations ne suffisent pas, et on n'y arrivera jamais si les Nations Unies et plusieurs pays du monde ne débloquent des fonds", poursuit-elle, alors que selon la Banque mondiale, les explosions de Beyrouth ont infligé 4,6 milliards de dollars de dommages aux infrastructures et aux biens matériels.

Et de conclure : "nous avons besoin de cet argent, nous avons reçu beaucoup de nourriture et de médicament, c'est très bien, mais on ne peut pas reconstruire une ville avec des pois chiches et des antibiotiques. C'est pour cela qu'il faut continuer à parler du Liban, ne nous oubliez pas trop vite, nous avons encore besoin de votre attention".